samedi 16 août 2014

5 au 14 août 2014 - Madrid

Je n'ai jamais eu d'attrait particulier pour l'Espagne. Peut-être parce que j'ai l'impression à Toulouse d'en avoir un aperçu quotidien. Peut-être parce que d'un côté à l'autre des montagnes on se fait des clins d’œils incessants, que c'est à peine l'étranger. Ou bien parce que les pays latins ne m'ont jamais touchée comme le font de façon si bouleversante les pays anglo-saxons, quelle que soit d'ailleurs la définition exacte du terme. Pour cette raison, et parce que pour la première fois depuis longtemps je ne voyageai pas seule, ce séjour de dix jours à Madrid était inhabituel.


Et d'ailleurs ce n'est pas pour la ville que je m'y rendais, mais pour une exposition temporaire que je ne pouvais pas manquer : une exposition sur Le Gréco. Et d'ailleurs c'est à peine de ce voyage qu'il est question ici, mais de mon premier voyage à Madrid, quinze ans plus tôt. Je ne me rappelle de rien ou presque, et mes souvenirs emmêlent joyeusement mon séjour à Barcelone et mon séjour à Madrid, ayant effectué les deux voyages avec mes parents, à deux ou trois années d'écart. Je croyais que les Ramblas étaient à Madrid, ils n'y sont pas. Pour l'un de ces voyages, j'avais dix ans, et un mal de ventre persistant. Je découvrirais le soir à l'hôtel que la raison de ce mal de ventre se reproduirait tous les mois, tous les ans, et faisait de moi, selon certaines et douteuses traditions symboliques, une femme. Une femme de dix ans. C'était peut-être à Madrid, peut-être à Barcelone.


Mais ce dont je ne doute jamais lorsque je parle de Madrid, c'est qu'il y avait là-bas un musée, du nom du Prado, et que dans ce musée j'ai découvert pour la première fois, à dix ans donc ou bien à douze, que je pouvais avoir ma propre sensibilité concernant la peinture. Une qui dépasserait enfin celle de mes parents, qui dépasserait le ludisme des œuvres modernes de Guggenheim à Bibao et qui ne naîtrait pas du grandiose, du magistral ou du comique : une sensibilité qui s'arrêterait sur un portrait d'homme, la main sur la poitrine, le regard dans le mien, l’œil doux et fatigué. Je n'avais pas vu encore d'autres œuvres du Gréco. Dans mon souvenir, personne ne m'avait d'ailleurs rien dit sur le bonhomme que j'avais devant moi, et mes parents continuaient de leur côté une valse compliquée : ma mère regarde les tableaux longtemps, au point parfois que l'on ne sait plus ce qu'elle y cherche, tandis que mon père papillonne d’œuvre en œuvre en espérant celle qui l'arrêterait malgré lui, et il y en a toujours une. En attendant, il fait des traits d'humour et s'impatiente sans même s'en rendre compte. Mais cette fois je ne suivais le rythme ni de l'un ni de l'autre, et c'est de cette façon que j'ai su que je m'étais créé mon goût : ce n'était pas parce que j'étais plus cultivée en matière de peinture, ni parce que j'aurais pu argumenter mon opinion ou même définir mon sentiment, mais simplement parce que la cadence de mon métronome avait quitté celles de chacun de mes parents pour se créer un rythme propre le long de la visite. Je restai longtemps devant le chevalier : mon métronome manqua peut-être un demi-battement, c'est énorme déjà. Alors en reprenant ma visite mon rythme était différent et ne reviendrait jamais à ce qu'il était auparavant. C'est peut-être bien là, s'il fallait que ce soit quelque part, que je suis devenue un bout de femme.


Aller voir les œuvres du Gréco une nouvelle fois au Prado, et en découvrir d'autres, relevait donc moins du voyage de vacances que du pèlerinage. J'y retrouvai une grâce inchangée, ces merveilleuses silhouettes admirées au travers d'un lac perturbé, et pour chaque œuvre du Gréco Le Prado en exposait trois autres, inspirées du travail de ce grec au nom imprononçable. Cézanne, Bacon, Picasso… Une façon d'ouvrir le cadre sur le monde, et de faire ce pour quoi les pèlerinages sont faits : nous amener plus loin que le lieu où l'on comptait aller.


Madrid a certes déployé d'autres qualités, d'autres belles choses au cours de ce séjour, dont la Plaza Mayor ou la maison pleine d'histoire et de caractère de Lope de Vega ne sont pas les moindres, mais ce séjour qui s'ouvrait sur la peinture du chevalier à la main sur la poitrine ne m'offrait pas toute la douceur et l'intimité que j'espérais de lui. Nous avions décidé à la fin de notre séjour, parce qu'il nous restait du temps et que nous avions vu de Madrid tout ce que nous voulions en voir, de nous rendre dans un parc naturel. J'y découvris avec amusement, voire émerveillement, les singes, les marmottes, les animaux nocturnes de races improbables, les flamands roses, les dragons de Komodo, les kangourous ou les pandas roux. Finalement je m'approchai sans y penser d'un pélican venu tout près, pour observer son bec irisé de petites couleurs tendres, mais ce n'est pas le bec qui retint mon attention : je découvris chez l'animal un regard dont la douceur était celle que l'on trouve parfois chez les chevaux, mais dont l'intelligence et la sensibilité paraissaient décuplées. Il nous regardait d'un œil intégralement rouge, presque triste ou fatigué, qui venait chercher dans le mien pour m'y rencontrer, comme l'avait fait en son temps, j'ose ainsi le dire, un chevalier.

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