mercredi 27 octobre 2010

27 octobre 2010 - New York vol. 27



La course au morceau de pomme a repris.

Je ne dis pas que je ne m'y attendais pas un peu. Mais je suis matérialiste, athée, voire incrédule. Alors bien sûr je m'efforce de cacher mes instincts dans un coin, car irraisonnés, car infondés, car ridicules. Et parfois, il faudrait juste suivre le chemin qu'ils nous indiquent.
Mais tout de même pour ce que ça m'a coûté (600$), me voici avec une jolie histoire. Je vous raconte l'histoire.


Très vite, je vous passe les indices : après avoir échangé la caution de 600$ (tout ce que j'avais pu retirer) contre les clés d'un joli studio, dont j'avais pu vérifier le fonctionnement sur les différentes portes, j'ai pu voir que la propriétaire de mon morceau de pomme avait re-posté son annonce juste après mon départ, puis j'ai essayé de la contacter par mail et sa boîte mail ne fonctionnait plus, et puis j'ai essayé de l'appeler, et… vous avez deviné la suite. Donc aujourd'hui j'étais avec une amie, et nous avons discuté un moment de comment il était possible de m'arnaquer alors que j'avais des clés en main. Bien sûr, il était possible qu'elle change la serrure de l'appartement, mais elle ne pourrait pas changer la serrure de l'immeuble, donc il aurait suffit que j'attende les visiteurs suivants et elle- même pour récupérer mon argent. Ou bien elle était simplement une junkie qui attendait son argent au plus vite, et donc louait son appartement au plus rapide pour avoir sa dose de crack, ce qui aurait expliqué son étrange comportement, son flot de paroles incessant, mais alors j'aurais eu l'appartement et qu'importe ce qu'elle était de son côté. Ou bien… Mais rien ne faisait sens. C'était une énigme aux nombreuses inconnues, mais les indices ne semblaient pas avoir de lien. Alors nous sommes allées à l'appartement, j'ai bien pu entrer dans le corridor, très bien, mais bien sûr la clé n'entrait plus dans la serrure de l'appartement lui-même. C'était fait. Le petit espoir timide qui avait encore persisté depuis une jour et demi de questionnements venait de s'envoler, et en réalité je n'en étais plus à m'en attrister. Une partie de moi voulait juste savoir COMMENT j'avais été arnaquée, puisqu'arnaque il y avait eu.


J'ai sonné chez la voisine, qui a juste pu me dire que de nombreuses personnes étaient venues visiter la veille et l'avant-veille, mais qu'elle n'en savait pas plus. Sur ce, alors que nous discutions de à quel point les arnaques étaient monnaie courante dans cette ville, et qu'elle me racontait celles qu'elle avait traversé (elle nous parlait jambes nues sous un T-shirt trop large de sport, jeune femme d'un film américain qui a peine réveillée enfile le vêtement de son homme pour aller répondre à la porte), un jeune homme a monté l'escalier, nous a regardé en souriant et nous a dit “vous êtes là pour l'appartement ?”. Il nous a invité à rentrer, ouvrant la porte sans forcer avec sa propre clé, nous proposant de nous asseoir, de faire… comme chez nous, en somme. Il nous a raconté une histoire.


Il était une fois, à Londres… Non, il n'y a pas d'erreur, il était une fois, à Londres, une mère et sa fille, deux blanches anglaises. La fille s'appelle Penny, la mère sera seulement “la mère”. Elles font partie de ces mères et filles très liées qui ne peuvent pas rester séparées trop longtemps. Elles sont aussi de classe très aisée. Penny, un jour, trouve un travail à New-York. New-York, c'est fabuleux ! Mais il serait un peu triste que la maman reste si loin de sa fille, donc Penny décide d'acheter un petit studio sans grand cachet mais très bien placé dans New-York pour que sa maman puisse venir la voir. La mère en question vient très régulièrement, plusieurs fois par mois souvent, parce qu'on ne se prive pas quand on a les moyens. Petit studio mignonnet, meublé, équipé… Petit studio qui a été mien pendant une heure.
Bien sûr, quand la mère n'est pas dans les pattes de sa fille à Manhattan, elle retourne à Londres, mais il serait trop difficile de rester loin de sa fille comme cela ! Qu'à cela ne tienne, la fille lui crée un compte internet, une boîte mail, et tout le barda, de sorte que les deux femmes ne se perdent jamais réellement de vue. Oui, tout cela a son importance.
Comme la mère va maintenant sur ses 75 ans, internet n'est pas vraiment une chose très évidente pour elle. Mais Penny, petite maline, lui a écrit sur un carnet l'adresse e-mail et le mot de passe de









sa propre boîte, de sorte que sa chère maman ne soit jamais prise au dépourvu. Bien.
Et donc il y a quelques semaines cette vieille dame atterri à l'aéroport de Londres avec son air de bourgeoise, sa valise de luxe et ses 75 ans, et un petit malin aguiché par l'opportunité, lui vole sa valise et s'enfuit.
Dans la valise, notre petit malin londonien trouve une clé d'appartement avec, écrit dessus, l'adresse de l'appartement en question à New York. Il trouve aussi une adresse mail et un mot de passe.
Ceci n'est que supposition, mais je ne crois pas m'éloigner de la vérité en disant que le petit voleur londonien aurait beaucoup aimé connaître quelqu'un à New-York. Peut-être qu'il connaissait cette personne, peut-être qu'il s'est débrouillé pour la connaître, mais la personne en question se fait appeler Patricia Carter. Si vous googlez “Pat Carter” sur internet, vous devriez atterrir comme moi sur trois pages de résultats divers sur un fameux joueur de football américain… qu'importe.
Ainsi le deal est fait. Pat Carter s'introduit dans la boîte aux lettres de la mère qui ne se doute de rien, et épie les correspondances des deux londoniennes. Là elle apprend que la mère reviendra à New York jeudi, et que la fille viendra mettre l'appartement en ordre mercredi. Mercredi, c'est aujourd'hui. Elle a donc quelques jours à sa disposition. Elle poste une annonce sur Craig’s list, demandant expressément aux gens de venir directement avec l'argent, qu'importe la somme, tout ce qu'ils ont, tout ce qu'ils peuvent : le premier-à-payer est le premier servi ! Bien sûr, elle parle vite et sans respirer, comme sous drogue parce que, simplement, elle est nerveuse. Et si la propriétaire arrivait ? Et si quelqu'un la retrouvait ? Et si… ? Les personnes ayant donné cette caution et qui se sont manifestées à cette heure sont : le jeune homme (qui a les mêmes plafonds de retraits que moi) à hauteur de 600$, moi-même à hauteur de 600$, un couple de japonais à hauteur de 1500$, un portugais d'une quarantaine d'année à hauteur de 1500$, et on en attend encore d'autres à la porte de ce petit appartement. La police supposait que la femme avait dû retirer plus de 8000$ de sa petite affaire.
Le dernier à donner l'argent a été ce jeune homme, qui s'est déplacé du New Jersey à 00h30 pour verser sa caution, mais qui pour sa part a insisté pour passer la nuit sur place. La jeune femme lui a fait visiter l'appartement pendant que ses propres enfants dormaient dans le lit. Elle a rembarqué son petit monde et ce sera la dernière fois que vous entendrez parler de Patricia Carter. Le jeune homme va s'acheter un café le lendemain, et quand il revient, une femme l'attend dans ce qu'il pense être sa chambre, avec des policiers. Il s'agit de Penny. Il raconte son histoire, Penny fait changer sa serrure, les policiers assurent qu'ils ne peuvent rien faire puisqu'il n'y a pas eu d'infraction et s'en vont. Penny, gênée et gentille, autorise le jeune homme à présent sans domicile à rester jusqu'au lendemain, puisque demain, si vous avez bien suivi l'histoire, sa mère reprendra la place qui lui est dû. Deux heures plus tard, les japonais viennent avec leurs valises, puis le quarantenaire portugais, et enfin mon amie et moi. Et bien sûr je mettrai ma main au feu que pendant plusieurs jours des gens vont venir, clés en main et lourdes valises, pour emménager dans leur nouveau petit studio…






mardi 26 octobre 2010

26 octobre 2010 - New York vol.26



Les américains ont-ils la moindre idée de ce qu'est le style ? Les aberrations vestimentaires courent les rues, donnant a chaque quartier un cachet d'aberration. Agréable, improbable. Voyez cette jeune fille : elle porte le foulard de musulmane bien serré autour de sa tête, avec le savoir faire des années de pratique, mais aussi des cuissardes en faux cuir qui ne m'inspirent malgré moi que l'image des prostituées. Et cet homme de la sécurité, énorme noir en costard noir, chemise blanche, cravate noire, et sur la tête une large casquette a l'américaine a l'effigie des Yankees. Des dizaines de garçons se la jouent Buddy Holly avec leurs épaisses lunettes à montures noires et leurs chemises a carreaux, le tout monté sur ces Vans indémodables que tout le monde portait quand j'étais au collège, et que je voulais absolument parce qu'aussi affreuses que ces chaussures puissent être, elles m'auraient assuré, chose évidente pour moi a l'époque, le succès que je n'ai pas eu.

Les pseudos pin-ups portent des mocassins, les filles propres sur elles les jupes les plus courtes, et ainsi vont les gens, sans se poser de questions. La liberté vestimentaire, ici, est un fait avéré.


Alors en me baladant dans les couloirs de mon école, coincée dans l'ascenseur avec ces deux garçons, un petit rond et un grand maigre discutant de comment la vie était difficile quand ils étaient deux nerds adolescents, ou en retenant la porte pour se groupe d'asiatique qui se parle en anglais, car, c'est toujours bon de le savoir, tous les asiatiques du monde ne parlent pas la même langue… il y a toujours quelque chose a regarder.
J'aime mon école. J'aimerais y rester encore le reste de l'année. Vrai, je ne m'étais pas autant intéressée a mes cours depuis, peut-être, ma première année de prépa. La deuxième, j'étais trop déprimée pour, comme ils disent, “give a damn” (m'y intéresser, mais c'est une expression je crois difficile a traduire), mon année de licence 3 a la fac était une vaste blague, et mon école de cinéma à Toulouse plus constructive pour ce qu'on y fait que pour ce qu'on y apprend.
Ici, tout demande investissement, passion, patience. Peut-être que c'est la bonne élève en moi qui est comblée, peut-être que c'est tout le reste de ma personne. Et puis je vois ces élèves passer avec des peintures étonnantes, d'autres d'immenses photographies, d'autres taguent les murs, il y a des annonces étranges dans les couloirs (“éléphant a vendre, certifie de provenance africaine” ; “combien seriez vous prêt a payer pour ce sac d'air soufflé par une jeune artiste sur Union Square ?” ; “Perdu : Joe, mon meilleur ami, il me manque beaucoup si vous le retrouvez veuillez composer le…” ; et ainsi de suite), d'autres étudiants créent des alphabets (il ne m'étais jamais apparu que le design des alphabets était un métier a part entière)… je n'en finis pas de découvrir les choses étranges et extraordinaires que les gens font quand on leur donne le droit, l'idée, les moyens, l'ambition.
Aujourd'hui ma professeur de théâtre m'a définie comme une élève charismatique. Charismatique, voyons. J'ai été perçue comme timide, ou arrogante (parfois les deux en même temps, c'est l'apanage des premiers de la classe), ou bizarre. Mais charismatique ? Oh, je prends !


Ma journée pourrait être considérée comme difficile, parce que j'avais ce texte a écrire dont le thème était “un personnage surprend quelqu'un qu'il adore faire quelque chose d'horrible”. Les trois exemples qui nous étaient donnés à lire, trois courtes pièces d'un livre appellé Bash, portaient sur : un père étouffant son propre bébé pour retrouver son job, un couple tabassant a mort un homosexuel dans des toilettes publiques, une jeune fille de 14 ans, enceinte de son professeur de littérature, qui 14 ans plus tard noie son fils dans la baignoire. Le cours a donc été empli de textes de meurtres, de pédophilie, de viols, de tortures… Et parce que l'investissement était si entier, j'en suis sortie avec cette légère nausée que nous procurent parfois les mauvais films violents.


Mais les idées y sont parfois stupéfiantes de naturel. Les élèves semblent tous avoir ce talent particulier, peut-être parce que j'y ai été rendue plus sensible avec les années, j'ai la même sensation dans ma classe en France. Mais aussi imaginez la professeur, notre âge, qui avec sa nonchalance de mâcheuse de chewing-gum nous donne des petites idées qui paraissent toujours si simples et si









jouissives, qui éclatent au jour comme si elles avaient toujours étaient là alors que, vraiment, personne n'y aurais pensé. Sa phrase favorite : “rise the stake” (élève l'enjeu). “Et si par exemple ce fou dont tu parles qui propose un morceau de gruyère a tout le monde, il ne leur présentait pas un morceau mais la tomme entière ? Visuellement, ce fou faisant rouler une tome de fromage pour en proposer aux passants, ne serait-il pas plus intéressant ?”. Rise the stake. Vous commencez a voir pourquoi le cinéma américain est si différent du cinéma français : chaque professeur vous dira l'un après l'autre : ce qui est important, ce n'est pas que ça paraisse réel, c'est que ce soit passionnant. Les mots de mon professeurs d'adaptation de roman ont été plus précisément : “en écrivant un dialogue ne vous demandez pas si vous, dans cette situation, diriez une chose pareille, mais si votre personnage fictif a une raison de le dire.” On peut ne pas être d'accord. Mais après avoir entendu mon oncle me répéter deux cent fois que dans les films français il ne comprend pas ce que les acteurs racontent parce que l'ingé son, dans un souci de réalisme, a voulu que le son des voitures dans la rue soit aussi puissant que les dialogues ; après avoir vu tant d'acteurs français regarder dans le vide depuis la fenêtre, parce qu'ils vont mourir et qu'ils sont tristes (or c'est ce que l'on fait sans doute quand on va mourir et qu'on est triste, mais peut-être qu'un personnage, après avoir regarde dans le vide, peut faire autre chose, sinon autant qu'il crève tout de suite), eh bien… J'ai plutôt la tentation d'en prendre de la graine.


Je prends ce qu'on me donne, c'est l'enjeu du voyage, des études et des vacances en même temps, et qui m'aident à me recentrer sur ce que je veux vraiment faire de ma vie. Et vraiment, je ne sais pas pourquoi j'ai aussi longtemps nié l'évidence de ce simple fait : depuis que je suis née, je veux devenir scénariste. Lire des livres, en faire des films, écrire à longueur de journée, avec la liberté d'être chez soi ou partout ailleurs, ouvrir sa sensibilité au maximum pour aller trouver celle des autres… Y a-t-il vraiment une seule chose au monde qui me rendrait plus heureuse ? Je ne prétends pas en avoir le talent, et surtout pas l'expérience, bien sûr, mais l'envie, elle me paraît aujourd'hui une évidence. Je ne veux pas abandonner le décor pour autant pour l'instant, au moins parce que ça m'amuse, que les gens en m'entendant me proclamer “décoratrice de film” penchent la tête comme des jeunes chiens avec ce même regard d'intérêt et d'incompréhension, et que je me dis qu'une activité qui laisse les gens pantois est une bonne activité. Plus sérieusement, j'aime la matière, sans doute parce qu'elle est ce qui n'est pas dans l'écriture. Bref, dans quelques jours je serai à la moitié de mon séjour à New York, déjà, et j'apprends chaque jour des choses essentielles à l'existence.


Oh, et depuis quelques jours, mes pensées sont en anglais. J'ai supposé que c'était bon signe…




lundi 25 octobre 2010

25 octobre 2010 - New York vol.25

C'est l'histoire d'une jeune fille qui cherchait son morceau de pomme. Elle ne demande pas grand chose : un morceau de pomme avec de la lumière, un accès internet, un lit, une cuisine et une salle de bain. C'est courant, comme morceau de pomme ça. Car elle est grosse, la pomme, et haute, on aurait cru que les morceaux se trouvaient facilement, juste en se baladant dedans.





C'est dit : cette pomme, elle est pleine de pépins. Je suis retournée deux fois à Brooklyn, mais on n'y voulait pas de moi. Enfin moi, je n'étais pas le problème, au contraire, une petite fille qui sosotte en demandant chi oui ou non, chest pochible d'emménager le 1er novembre, ça ferait pas peur au plus petit froussard. Par contre, si j'ose au détour d'une phrase suggérer que mon petit ami pourrait venir se faire une place dans mon coin de pomme, alors là, le ver devient vert ! Non, non, non, qu'il dit le ver, les garçons ça prend trop de place, ça mange trop, ça salit la chair douce et après, et bien après c'est tout gâté, et là c'est un morceau de pomme à jeter, même les moineaux n'en veulent pas. C'est ce qu'il dit le ver. Alors la jeune fille elle remballe ses espoirs, reprend sa valise et va chez le voisin. mais le voisin il dit la même chose. Et ainsi de suite.


Il y avait ce loft merveilleux de Brooklyn où vivaient 7 artistes, tous sortis de mon école, qui utilisaient leur immense salle commune comme salle d'exposition, et cette grande chambre mignonette dont le petit escalier menait à un cube coloré dans lequel se trouvait le lit. J'étais prête à faire la cuisine pour 10 pendant deux mois, mais non, non, non, il n'y a que des garçons dans cette colocation, mais mon garçon à moi il gâte les pommes.


Il y avait ce petit endroit dans Harlem, des plus banal dans son emplacement, son prix, sa qualité… Mais non, non, non, mon garçon il gâte les pommes.
C'est injuste ça, de se battre pour deux quand on est seul, d'encaisser seule les refus qui ont été conçus pour deux. C'est épuisant, énervant, ça demande du souffle et une étrange capacité à aller chercher son sourire là où il a bien voulu se cacher. Mais je tiens la distance. C'est un marathon de mails, 10 par jour au bas mot, 3 réponses dont, systématiquement, 1 à 2 arnaques (il faut garder l'œil et l'esprit critique), 1 tous les deux jours qui peut décemment mener à une visite. Dire bonjour, répondre aux mêmes questions, avoir l'air sage et propre sur soi, et essayer de ne pas se poser de questions sur sa propre odeur, répondre encore aux même questions (l'autostop est un entrainement très efficace à cela), et si la personne vous dit qu'elle va y réfléchir, ne surtout pas s'abaisser à croire qu'elle va vraiment y réfléchir. Aller voir le voisin.


Et puis aujourd'hui, sur la Craig’s list, c'est-à-dire une liste d'annonces qu'on ne peut savoir lire qu'avec un diplôme d'ingénieur, j'ai vu cette toute nouvelle annonce à propos d'un morceau de pomme tout meublé à louer sur la 17ème. C'est-à-dire à 5 blocks de mon école, où je me trouvais. L'annonce était courte, comportait beaucoup de points d'exclamations, et demandait notamment expressément de venir visiter avec la caution en main, sur la base du premier-à-payer premier servi. Toutes choses qui semblaient un peu suspectes, mais après tout, je n'avais que cinq rues à remonter. J'ai pris contact, j'ai retiré 600$, soit moins de la moitié de la caution mais c'était de toute façon tout ce que je pouvais avoir sur moi à ce moment-là, et j'y suis allée. Les rues passaient et je regrettais de plus en plus d'être toute seule pour juger de la viabilité de cette offre. il faut dire que le loyer était extrêmement élevé pour un européen, mais très peu pour le quartier. Je trouve des appartements à ce prix-là dans Brooklyn, et en colocation, ou même sur staten island, et même eux ne veulent pas de mon monsieur gâteur de pommes. Or la voie de la raison c'est “ce qui est trop beau pour être vrai n'est pas vrai”. J'aurais voulu du temps pour réfléchir, j'aurais voulu voir, juger, décider, et le tout en trois temps. Mais la valse se joue à un temps par ici.


Devant l'appartement, j'ai emprunté un téléphone, et cependant impossible de contacter la propriétaire. Je me suis assise sur le porche, espérant qu'elle se réveille dans les minutes qui suivraient, et un couple gay s'est arrêté devant moi, a passé un appel, n'est arrivé à joindre personne,









a raccroché, et regardé à nouveau la porte. Bien sûr, ils étaient aussi là pour l'appartement. Le concept du premier-à-payer premier servi tombait à l'eau, mais malgré cette compétition inattendue j'étais soulagée d'entrer dans cet appartement avec eux, d'entendre ce qu'ils en pensaient, de profiter de leurs possibles réactions ou questionnements. Ils étaient portugais, des artistes travaillant avec un architecte dans le quartier de Brooklyn. Il faut se figurer que je portais un gilet à brandebourg et une veste en jean, l'un d'eux un foulard multicolore et une veste similaire, et l'autre un béret et une écharpe. Trois stéréotypes d'artistes fraîchement débarqués de Brooklyn, de sorte que quand elle a ouvert la porte, elle a cru que nous étions un ménage à trois. Car tous les européens sont libérés, voyons. Sa réaction a cela, malgré l'étonnement évident, était plutôt sympathique, ce qui m'a plu. Nous avons bien sûr remis les choses en ordre et avons discuté encore, chacun plus gêné que l'autre de cette double visite. Elle ne pouvait pas faire de choix devant nous, ce que je comprends, et nous voulions tous ce mignon petit appartement si bien situé. Finalement elle nous a invité à sortir, à ne pas trop s'éloigner et nous a dit qu'elle nous contacterai dans les minutes qui suivraient pour nous donner sa réponse. La scène était hautement ridicule, et en même temps parfaitement compréhensible. J'aimais déjà mes concurrents. Alors quand nous sommes sortis je leur ai proposé d'aller boire un café en attendant, et nous avons discuté un peu de choses et autres, et principalement de cette femme, bavarde, gentille, surexcitée, un peu bizarre… Et de s'il fallait ou non lui faire confiance. La paranoïa guette les chercheurs de morceaux de pommes : elle a mis un moment à répondre à la porte, peut-être qu'elle cachait des choses ? Elle parlait vite et fort, était-ce une junkie ? Elle ne semblait pas se soucier que nous soyons libertins, gays, célibataires, à la rue : est-ce mauvais signe ? Et pourtant pour tout dire, malgré mes méfiances de chat échaudé, elle ne m'inspirait avant tout que de la sympathie. Avant que nous n'ayons pu commander notre café, nous avons reçu chacun sa réponse : j'étais l'heureuse élue. Ils m'ont alors à nouveau raccompagnée à l'appartement, on a ri sur la possibilité qu'ils avaient maintenant de venir me voir s'ils ne trouvaient rien, et j'ai laissé mes deux amis trentenaires sur le pas de la porte, toujours inquiète cependant de comment les choses se passeraient. Tout ce que je voulais, c'était de ne pas avoir à donner la caution avant d'avoir les clés. C'est simple, et pourtant ce genre de décisions est difficiles parfois à tenir, et je me concentrais de tout mon esprit sur cette seule pensée : pas de clés, pas de caution. La première chose qu'elle m'a demandé était quand je voulais emménager. Je pensais “pas de clés, pas de caution”, et je n'avais pas assez de place pour penser aussi à une date d'emménagement. J'ai dû bredouiller quelque chose qui n'avait aucun sens, mais dans lequel je pouvais lire en filigrane “pas de clés, pas de caution”. Elle m'a regardé un moment avec l'air de chercher à lire mes pensées après cette réponse vraiment énigmatique et a repris tout naturellement (pas de clés, pas de caution) : voilà comment les choses se passent maintenant : je te donne les clés, tu vérifies si elles marchent, tu me donnes la caution, d'ailleurs tu peux ne me donner que $600, pas la peine de t'embêter pour le reste, je veux juste être sûre que tu prennes l'appartement, je signe un papier indiquant que tu m'as donné la somme de $600, tu me dis quand tu veux emménager, et j'aurai enlevé les quelques affaires à moi qu'il reste d'ici là. Et là mon esprit a débloqué. On a tout fait comme elle a dit, les clés que j'ai testé moi-même fonctionnaient parfaitement, je suis repartie clés en main en lui disant que j'emménagerai le mercredi, elle m'a assuré que je n'aurais pas à payer ces quelques jours en plus, et me voilà dans la rue, l'esprit encore encombré de pensées sur comment ça, ça pourrait être une arnaque. Mais j'ai beau chercher, je ne vois pas. Maintenant, rien ne m'empêche d'entrer dans cet appartement quand je le souhaite. Ça y est, c'est mon bout de pomme, et il est à croquer !






lundi 18 octobre 2010

18 octobre 2010 - New York vol.24




Recherche d'appartement dans Brooklyn. J'ai quitté le bon vieux Harlem pour Brooklyn, où on m'a dit que je pourrais trouver un appartement pour le même prix, plus près de mon école et mieux aménagé. J'avais donc ma liste de trois appartements à visiter, et en soit c'est bien une aventure. Une aventure sociologique, cela irait presque sans dire.


J'avais oublié que nous étions dimanche. C'est qu'à Harlem, la religion est discrète, en réalité presque transparente, et seule la forte proportion de mexicains me fait croire que ce doit être malgré tout un quartier pratiquant. Mais à Brooklyn le dimanche, des familles entières de noirs (je n'invente rien, ils le sont tous) se rendent ou sortent de l'église en habit du dimanche. Et quand je dis en habit du dimanche, j'entends que même ce que je trouverais trop élégant pour mon mariage, ils l'ont sur le dos. J'entends que même une bougne de deux ans qui a du mal à poser un pied devant l'autre peut au moins compter sur sa cravate sur mesure et son délicieux blazer beige pour lui donner un air de professionnel. J'entends que les petites filles toutes roses ont choisi leurs meilleurs mocassins, et les grands mères semblent tout à coup terriblement respectables. Non, rien à voir avec Harlem : même le dimanche, le jogging y est roi. Des gospels résonnaient un peu partout dans la rue, portés au travers des murs par des enceintes. La parole du Seigneur, comme ils disent, paraît tout à coup moins mystique quand elle grésille sur des amplis de mauvaise qualité, dans de petite églises que j'ai presque pris pour des cafés de quartier.
Le premier appartement était en réalité une maisonnette, jolie avec sa petite terrasse en bois. Trop jolie. Je m'imaginais 80 plus tard sur une chaise à bascule sur la terrasse grinçante à regarder les jeunes passer en vélo, les yeux plissés par un rayon de soleil.
J'y ai été accueillie par une femme et deux jeunes filles. La femme était afro-américaine, les deux jeunes filles arabes et voilées, et dormaient toutes deux dans le même lit, dans la chambre qu'elles comptaient me laisser pour aller dormir à l'étage au-dessus. Des fleurs grotesques décoraient chaque fauteuil, d'autres différentes la tapisserie, et au milieu de cette odeur rance de vieilles choses, j'avais quand même la sensation qu'on vient là pour mourir. La propriétaire me disait que son travail à elle était de laver la salle de bain et la cuisine tous les jours après notre passage, et je ne me sentais pas à l'aise d'avoir une propriétaire et une esclave à l'intérieur d'un seul et même corps de femme noire- américaine catholique hébergeant des musulmanes. Il y avait de l'harmonie dans ce foyer, il y avait du bien être. Mais il faisait sombre, vieux, mystique. Je suis sortie en ayant l'impression d'une renaissance.


Quand je suis arrivée dans la rue de l'appartement suivant, un joggeur m'a interpelée en me disant que mon gilet lui faisait penser à Sergent Pepper, et parce que j'avance un peu sous le signe des Beatles ces derniers temps, ça m'a fait rire et je me suis arrêtée. Il m'a dit que ce quartier là était très dangereux la nuit, et qu'à moins d'avoir des amis ici il ne voudrait pas lui-même y vivre, il m'a conseillé un autre quartier de Brooklyn (j'irai peut-être y faire un tour, mais sur internet je n'y vois rien de disponible), et puis finalement a repris sa course en me souhaitant « bonne chance », en français dans le texte.


C'est un gigantesque noir qui a ouvert la porte, dans une djellaba dorée. Il s'appelait Joseph, et il m'a proposé une chambre penchée, sans lit (il m'a dit qu'il avait commandé le lit, il doit arriver d'une minute à l'autre), des prises encore à nue, deux autres hommes dans deux autres chambres attenantes, un cafard qui a pointé son nez entre deux lames de faux parquet mal rapiécé : un squat en somme qu'il voulait me faire payer 300$ par semaine, plus 50$ par semaine le mois où mon petit ami est censé venir. Ce qui nous fait une coquette somme de 1400$ par mois pour du parquet sans fenêtre. Et là on commence à comprendre en quoi le logement à New York est un vrai cauchemar.


En sortant j'ai re-croisé mon joggeur qui courait toujours. Il a pris des nouvelles en courant sur place, et puis et reparti. J'ai croisé une petite fille en robe rose du dimanche, 10 ans peut-être, toute









menue toute noire, qui m'a regardé un instant sans me voir, et s'est mise à faire deux ou trois mouvements de danse classique. Je lui ai ôté mon chapeau, elle m'a fait la révérence, et j'ai passé mon chemin.


Le troisième appartement, dans un quartier de gangs qui n'a pas encore été réaménagé mais qui me faisait beaucoup penser à mon ancien coin de Harlem, était parfait. Le propriétaire était un peu timide, le prix très raisonnable, l'appartement très grand, la chambre parfaite et aménagée, le tout propre et ordonné, sans exagération. Mais il aimerait trouver quelqu'un jusqu'en juillet. Et à ce prix là et pour ce qu'il propose, je suis bien certaine qu'il trouvera ce qu'il lui faut en temps et en heure. Mais bien sûr, si ce n'est pas le cas, il m'appellera.


Je suis donc rentrée bredouille, toute mon énergie étant restée dans ces quartiers branlants, mal fichus, et revenir dans Manhattan c'était retourner vers le monde. Un jeune étudiant m'a alors acheté deux cigarettes. Pendant que je faisais la transaction, un SDF a profité de cet instant anonyme pour jeter un œil dans la poubelle, ouvrant les boîtes McDonald et les papiers à hot dog. J'avais dans mon sac un sandwich pas fini (malédiction du subway : les sandwich y sont soit beaucoup trop petits soit beaucoup trop grands). Je me suis approchée du vieil homme qui n'était pas si vieux mais se tenait déjà courbé et fatigué et lui ai proposé mon sandwich. Il a refusé. Bien sûr. Non mais de quoi je me mêle ? Les voies de la fierté sont impénétrables.
En partant, j'ai quand même laissé mon sandwich sur le banc. Sait-on jamais.


Je suis rentrée chez moi en espérant ne pas avoir attrapé de Bedbugs, ces petites bestioles de coussins et matelas qui inquiètent énormément les américains. Ça m'a rappelé que… ben, que la vie et quand même plus simple, quand on a de l'argent, dans des villes aux système social arriéré.






dimanche 17 octobre 2010

17 octobre 2010 - New York vol.23




Hier je suis allée à Philadelphie. C'était un voyage organisé par l'école : un bus, trente étrangers, deux accompagnateurs et c'est parti. Ça parlait toutes les langues (et ça ronflait de toutes sortes de ronflements), et finalement nous sommes arrivés au musée, rendus bêtes et patauds par le sommeil et la route. Je suis entrée dans le bâtiment kitchissime sans vraiment savoir où j'allais, rendue dubitative par les colonnes corinthiennes surplombées de gargouilles en métal, ça ne s'invente pas.


J'ai alors découvert une grosse collection inintéressante de Manet, une autre beaucoup plus impressionnante de Van Gogh, Degas, Monet, et autres impressionnistes placés sans ordre dans de longs couloirs, mais surtout une très belle collection mal organisée de cubisme classée sous le terme « art contemporain ». J'ai été stupéfaite car il y a quelques années j'avais écrit un mini-mémoire sur le thème de la naissance du cubisme, pour un cours d'Histoire de l'art, et absolument toutes les œuvres que j'avais prises pour exemple étaient exposées là. Les paysages de Cézanne, les natures mortes de Cézanne et de Picasso, leurs violons et leurs guitares, le Braque que j'avais glissé au milieu, et surtout il y avait une peinture dont j'ai cherché pendant plusieurs jours sur internet où elle pouvait être exposée, tant la seule photographie m'avait passionnée. Il s'agit du Nu descendant l'escalier, de Duchamp. C'est je crois mon amour pour le cinéma qui me rend si sensible à ce « nu », dont le mouvement est fait d'images fixes superposées, si bien qu'au final le carré crée l'arrondis, et le fixe le mouvement : le rien nous montre le tout. Et il était là, au détour d'une colonne, un peu perdu, un peu délaissé. Et devant lui je ne savais pas quoi faire. J'aime ce tableau, et bien sûr que j'aurais pu le regarder pendant des heures. Mais comme il aurait fini par m'embarrasser, après quelques minutes à le regarder d'un air béat, j'ai fait la chose la plus stupide du monde : je l'ai pris en photo.
Il y avait aussi, et je n'en revenais pas, la petite danseuse en bronze, avec son tutu en voile, de Degas. Plus fière que jamais, cela va sans dire.
Quelques Rodins un peu faiblard plus tard, trois statuettes de bronze fabuleuses dont les artistes, dont je ne connaissais pas les noms, m'échappent, je traverse les Miro en rigolant (c'est qu'il n'y a que cette façon de passer devant des Miro), je jette un œil aux Mondrian avec le sourcil levé qui dit « à quoi bon ? » mais ne vous gênez pas à me répondre, j'ai écrit bien 5 ou 6 dissertations sur des thèmes qui se cachaient à peine de simplement signifier « à quoi bon l'art moderne ? ». Et me voilà devant l'urinoir de Duchamp. Oh pardon, la Fontaine. Et puis à côté le porte-bouteille et la roue de vélo, puisque c'est dans l'ordre des choses. J'étais persuadée qu'ils étaient au Louvre. En fait j'en reste certaine. Je suis certaine aussi qu'ils étaient là. Une « copie » ? Mais dans ce cas-là qu'est-ce que la copie aurait à envier à l'original ? Un déplacement temporaire ? Je ne savais pas, mais je me suis posée devant en me posant ces questions, et vraiment qu'est-ce que ça changerait, et puis pourquoi ça ne serait pas « les vrais » puisqu'ils sont vrais… et puis je me suis dit qu'elle était chouette, cette œuvre de Duchamp, parce qu'après avoir passé des années à réfléchir sur les concepts auxquels ces œuvres nous invite à réfléchir, il suffit que je passe quatre secondes devant cet urinoir signé pour de nouveau me demander ce que c'est que l'art. J'ai vérifié en rentrant et ai appris que tous les urinoirs exposés sont des répliques « certifiées par Duchamp ». Un génie, je dis. Et puis comme j'étais au rayon « art contemporain » de ce supermarché sans prix, je suis passée aussi devant un nombre inimaginable de « rien du tout » : des ampoules cassées, une vidéo d'un type qui fume très très lentement, un néon avec écrit quelque chose (je ne me souviens plus de la chose, mais prenez n'importe quoi ça fera l'affaire), et je suis passée aussi devant La Mariée mise à nue par ses célibataires-même. Enchantée de vous connaître, on m'a beaucoup parlé de vous, vous n'avez pas pris une ride, je passe à la salle suivante. Là c'est Fernand Léger, et sérieusement je me demande s'ils n'auraient pas pu remplacer le titre « art contemporain » par « art français ». Mais bon, Picasso en est la cause, il faut croire.
Je suis passée très, très vite devant le mobilier et les armures du Moyen-Age, qui dans ma tête n'éveillent que des « chouette, ça ferait un bon film », je me suis arrêtée horrifiée devant une peinture de jeunes enfants blonds boursoufflés jouant dans un torrent aryen, censés représenter le









cycle de la vie. Et puis j'ai pris quelques photos des statuettes, Minerve, un enfant qui se bat avec un Coq, qui gagne de justesse, un chap un peu mauvais, la moustache lissée par le vent, un Icare dont l'aile droite touche déjà l'eau… Et je sais ce qu'il y a de ridicule à prendre des statues en photos, mais j'avais envie de rire avec quelqu'un en regardant les oeuvres, de dire « regarde celui-là ! » ou « Oh my lord ça c'est moche. » ou « t'as vu la tête du gosse ? »… Mais j'ai pris des photos.


En sortant du musée nous avons été lâchés dans la ville. Une chose bonne à savoir : Philadelphie est une ville affreuse, dont le patriotisme parvient à assécher toute once de poésie qui aurait pu résister au tracé de ces avenues sans âmes. Alors mes amis et moi nous sommes contentés de lécher le Liberty Bell, comprenne qui pourra, ou du moins de faire semblant devant le garde horrifié. Le symbole en lui-même est affreusement pervers. Sensée être la parole du respect des peuples et des religions on y trouve gravée une phrase de la Bible, sensée être la victoire de l'union, elle s'est brisée pas moins de 4 fois (les 4 exactes fois où on a tenté de la faire sonner), et sensée être la puissance de l'Amérique, elle fait la taille de ma jambe. Je comprends qu'ils aient préféré la statue, ça a un meilleur rendu sur fond de drapeau américain. On a ensuite navigué dans la ville, j'ai pris une photo de moi avec un monsieur semi-aveugle qui devait avoir écrit la constitution (c'est son costume qui indiquait cela), et dont en réalité la seule occupation de la journée était de prendre par le bras le temps d'un cliché un milliers d'asiatiques et, de temps à autre, une française qui a réussi à se débarrasser de son sens du ridicule.


Il a fallu quatre heure dans les bouchons new-yorkais pour revenir au port. Et je me suis surprise à dire à mes amis : « Hey, nous voilà à la maison ».






mercredi 13 octobre 2010

13 octobre 2010 - New York vol.22


Hier, c'était mon anniversaire.

Hier, en France, il y avait 3,5 millions de personnes dans les rues et à ma manière, j'y étais. 3,5 millions + moi.


Hier, je suis allée au restaurant ouvert par De Niro dans Tribeca. J'ai cherché de Niro, j'ai trouvé un hangar avec des chandeliers étranges, des tuyaux aux murs, un vieux bars en bois, des serveurs juste assez guindés pour être drôles, juste assez décontractés pour être rassurants. C'était un vrai, bon restaurant. Et étrangement aujourd'hui je me sentais bien. Vraiment bien. Et je sais que d'avoir mangé quelque chose de subtil, de sain, a aidé à cela.


Hier, dans le métro à côté de moi, un schizophrène se battait avec les voix dans sa tête. Il lisait tranquillement son journal, et puis tout à coup il s'est tenu la tête et s'est mis à pleurer en hurlant “get out! get out of my mind!” (“sortez de là, sortez de ma tête !”). Il s'est calmé, et puis quelques minutes plus tard il reposait son journal et sa plainte revenait, plus forte encore “It looks real ! It looks fucking real” (“Ça a l'air vrai, ça a l'air vrai, putain !”). Un peu inquiète, un peu choquée, je suis passée devant quelques personnes dont le plus sérieux effort était de faire comme si de rien n'était, et je suis allée le voir pour lui demander si je pouvais l'aider. Je savais qu'il me dirait non. Je savais qu'un homme de la quarantaine subissant l'humiliation de sa propre folie en public ne voudrait pas de l'aide d'une jeune fille par trop compatissante. Mais je n'avais pas d'autres choses à faire. Il m'a répondu “non”, il m'a répondu qu'il ne voulait pas de mon aide, et à l'arrêt suivant de métro il est sorti, me laissant à mes pensées sur deux jeunes hommes de ma connaissance, chacun de son côté de la frontière tracée par cette maladie entre la vie et la mort.


Et puis j'ai oublié, j'ai fait mes cours, j'ai fait ma vie, j'ai parlé de manifestations et de restaurations, j'ai reçu des cadeaux microscopiques censés me mettre sur la piste du vrai cadeau que je recevrai vendredi : une baguette de pain en pâte à sel, un puzzle de citrouille, du faux sang, et un puzzle de chaussure… Oui, je sais, moi non plus.


J'ai écrit un texte pour un cours sur un homme à cinq bras qui s'apprête à faire l'amour à une jeune femme, qui est en réalité une petite fille, fille de géants… et ça a eu un succès que je n'aurais pas soupçonné, confirmant l'idée que j'ai de l'Amérique avant tout à la recherche de divertissement.


Je suis allée à mon Starbucks habituel, accueilli par mes deux serveurs favoris, celui qui me dit toujours “How are you today Marie?” (et son application à prononcer mon prénom me fait soupçonner qu'il ne me pose cette question que pour avoir le plaisir de s'entraîner sur son accent français… pas plus déplorable qu'un autre, par ailleurs), et le black tout rond qui connaît mes commandes par cœur “alors ce sera un café épicé à la citrouille sans chantilly et un pain à la citrouille, comme d'habitude ?” -“Eh oui !”. En même temps je peux concevoir en quoi une commande pareille ne s'oublie pas… Bon, et en partant j'ai eu droit à un “joyeux anniversaire”, je me suis retournée, les deux me regardaient, je ne sais toujours pas lequel des deux était coupable, ça m'a bien amusé.


Hier j'ai rencontré deux australiens, acteurs (mais y a-t-il à New York autre chose que des artistes ?), qui doraient comme moi sous le soleil frais sur Madison Square Garden. On a parlé cinéma en riant énormément, ils étaient la gentillesse et la légèreté incarnée et, bien sûr, nous nous sommes rajoutés sur Facebook, puisque maintenant que 1/12ème de la population mondiale y est inscrit, ça devient une valeur plus sûre (et moins teintée de séduction) que le numéro de portable.






Hier, sur Facebook, parce que les gens ont ce calendrier intégré qui leur rappelle la date









d'anniversaire de la moindre de leur connaissance, je me suis parée d'une guirlande de “joyeux anniversaires” de toutes les couleurs et de toutes les langues. Mes cousins, amis, famille, et même certains camarades du primaire, personnes avec qui je travaille, tous sont passés pour laisser un mot, luttant contre la banalité en échangeant les lettres ou la langue de leur déclaration. mais on sait tous qu'il n'y a qu'une seule façon de dire “Joyeux anniversaire”, et c'est “joyeux anniversaire”.


Hier quelqu'un m'a dit qu'il y a 23 ans, il avait oublié mes habits et on avait dû me mettre en couveuse. J'ai entendu cette histoire une vingtaine de fois (23 ?), et ça me fait toujours sourire…


Hier au théâtre ma professeur m'avait mise à l'honneur parce que dit-elle, “les anniversaires c'est trop chouette”. Alors quoi que j'ai pû faire ce jour-là, c'était parfait. Elle adorait ma façon d'inventer ceci ou cela, de personnifier la gêne ou la colère. L'espace de trois heures, j'ai été la meilleure comédienne du monde. Eh bien, oui, à New York l'anniversaire c'est l'occasion de faire une journée encore mieux que les autres.


Hier, mon professeur m'a dit “oh, tu es balance, moi aussi”. Et il était tout content. Oui, oui, je sais, nous avons beaucoup en commun lui et moi. Il a été un peu choqué que le personnage du roman que j'adapte, Olivia, se permette de tailler une pipe à un pauvre petit garçon innocent, puis de le masturber juste après une appendicectomie. J'ai compris après que sa fille de trois ans s'appelait Olivia, et que le simple fait de prononcer ce genre de phrase avait un peu un goût amer pour le papa qu'il était. Il ne m'en a pas tenu rigueur.


Hier un petit garçon de six ou sept ans a tendu son jouet à une petite fille de cinq ans environ qui attendait derrière lui avec sa maman que le feu passe au vert. Le jouet en question était un T-Rex avec de grosses dents. La petite fille s'est réfugié entre les jambes de sa mère alors que la mère du petit garçon disait à son fils “soit doux et gentil, ne soit pas effrayant”, et le petit garçon, ne voyant vraiment pas comment il pouvait être plus gentil qu'en donnant son jouet préféré, de tendre de plus belle les énormes dents vers la petite, plus effrayée que jamais. Dans dix ans, elle ne comprendra toujours pas les gestes d'amours violents et incompréhensibles des hommes, et il ne saura toujours pas où est le problème.


Hier un écureuil s'est battu avec une petite fille, et a gagné.
Hier a été une journée New-Yorkaise des plus ordinaires. c'est-à-dire une bonne journée.






dimanche 10 octobre 2010

10 octobre 2010 - New York vol. 21



Je suis épuisée. Syndrôme des temps modernes : couchée à 2h, à 4h30 je fais une crise de spasmophilie. Ce qui est drôle dans l'affaire c'est que mon état de semi-conscience a confondu trois éléments sans lien les uns avec les autres : mon allergie à la poussière d'une part, qui m'empêche très légèrement de respirer dans ce lit de vieilles couvertures, ma spasmophilie, qui me donne la sensation de ne pas respirer, et mon rêve d'autre part, car je rêvais de Paul McCartney. Et là ça devient hilarant parce que la responsabilité de Paul McCartney dans mes difficultés à respirer ne faisait aucun doute, dans mon délire d'éveillée endormie. Salaud de Paul.

Je pensais à lui, un peu en l'honneur de quelqu'un que j'aime, avant de m'endormir, et je pensais à cette drôle de théorie “Paul is dead” selon laquelle il aurait été remplacé à sa mort le 12 octobre 1966 (j'aime que mon anniversaire serve aussi de date à la mort légendaire d'un homme encore vivant) par un sosie. Et je réalisais qu'il n'y a que deux personnes au monde qui puissent se prévaloir, grâce à leur notoriété, d'être mort et vivant à la fois : Elvis, que les gens croisent quotidiennement dans les rues depuis sa mort, et Paul. Je pense que ça fait plaisir au vieux Paul.


Je n'arrive toujours pas à respirer correctement. Il est 7h35 maintenant, l'épuisement de chercher une respiration correcte me rend presque un peu folle. Peut-être que j'ai encore une once de ce sommeil sans repos en moi, et que je parle encore un peu à Paul, comme hier sur le banc, où j'étais seule et parlais avec lui des filles, et où je lui expliquais pourquoi vraiment dans un monde parfait il aurait été jaloux de John Lennon d'avoir Yoko Ono (et pas l'inverse), et que peut-être s'il eût été plus jaloux, toute la face du monde en eût été changée. Je sais, ça ne fait pas sens, il faut discuter pendant une demi-heure en pensée avec quelqu'un qui n'est pas là (et qui, peut-être, est mort…) pour en arriver à quelque chose comme ça. Parfois j'essaie de discuter avec Yoko Ono, quand je suis devant chez elle. Mais elle m'énerve. Elle est trop triste. Paul croit tout savoir sur tout, c'est beaucoup plus drôle. Parce que je peux avoir des conversations incroyablement stériles (on apprend peu de chose à discuter avec soi-même) avec l'air d'apprendre à comprendre le monde. C'est tout un art.


En quoi tout cela est en lien avec New York ? Je ne sais pas. Mais ça l'est. Parce que tous vivent dans l'Etat ou la ville de New York.






mercredi 6 octobre 2010

6 octobre 2010 - New York vol. 20



Aujourd'hui a été de ces journées faciles où tout coule de source. J'ai commencé par regarder ce matin le film The Yellow Submarine, idéal pour commencer la journée du bon pied malgré les litres d'eau qui tombaient encore dehors. Mes cours ont été amusants, intéressants, constructifs, et en sortant de mon dernier cours à 21h la petite allemande m'a encore une fois prise sous le bras, cette fois-ci pour une soirée d'anniversaire dans Brooklyn.

Je m'attendais à une de ces soirées où les inconnus boivent une bière dans leur coin (et parfois trop d'affilées de sorte que le seul souvenir que l'on garde d'eux leur laisse peu de gloire), où les filles dansent sur des airs idiots et les garçons répondent en lançant de vastes rires pour de petites blagues, sans très bien d'ailleurs savoir pourquoi.
Mais arrivée là-bas, forcément… La soirée se passait dans un petit théâtre-cirque dans un bric-à-brac d'objets et de velours rouge à limite de la folie. J'ai cru d'abord à une soirée costumée. Mais non. Les filles étaient presque toutes de ces pin-ups des temps modernes, portant turbans, piercings et tatouages de pair avec des jupons de hippies ou des chaussures des années 20. Les garçons portaient des barbes hallucinantes, de longueurs et de formes diverses, des gilets, des chemises, des chapeaux avec ou sans plumes, des vestons avec ou sans fleurs. Et les autres étaient là aussi. Pendant une partie de la soirée, la moitié des gens présents ne m'inspiraient aucun “genre”. Les butchs (en français “garçonnes” quoique le mot français soit tellement plus doux que l'américain) se différenciaient difficilement des transsexuels d'une direction ou d'une autre. Celle/Celui que l'on appelait “baby willy” (bébé william) rayonnait d'une candeur rare.
Un gigantesque noir est arrivé en tant que DJ. A son arrivée je lui ai lancé un large sourire, auquel il m'a répondu timidement, froidement. 10 minutes plus tard, il était avec nous, des seins de la taille de ma tête, une robe de soirée scintillante et des talons qui faisaient de lui je crois la plus grande femme du monde. Et du haut de ses maintenant 2m il m'a alors adressé un gigantesque sourire d'une franchise revigorante. Et au milieu de ces fous punks-hippies, tous artistes, stylistes, sculpteurs, comédiens, troubadours, je m'attendais à tout instant à voir débarquer une Frida Kahlo de 25ans qui aurait laissé sa peine à l'entrée. Un irlandais dont la barbe rousse descendait jusque sur sa poitrine s'est entiché de moi dès mon arrivée, et je dois dire que pour faire ses premiers pas dans une soirée, avoir un prétendant rend toujours les choses plus faciles. Je ne devrais pas dire ça ? Pourtant c'est vrai. Il m'a présenté du monde, m'a aidé à me repérer, à me servir à boire, et même à la fin de la soirée à retrouver mon métro. Il était certes la gentillesse incarnée, cependant je reste persuadée qu'un mot toutes les dix secondes, c'est trop peu pour avoir une conversation. Moins d'herbe et plus d'amis, parfois c'est la règle. Mon entrée a aussi été aidée par ce fameux manteau (qui m'ouvre toutes les portes, on dirait une formule magique), qui me permettait un point d'entrée “I love your coat” dans à peu près tous les groupes. Il y a une chaleur naturelle chez les New Yorkais qui, j'en suis sûre, me manquera beaucoup à mon retour. En une demie-heure à peine, j'avais ma place. Ils étaient passionnants, à regarder et à écouter parler de leurs projets; de leur métier et… ils gagnaient tous leur vie en tant qu'artistes, à 25 ans, et ça m'a gonflée d'un peu d'espoirs. C'était bon ! J'aimerais leur rendre honneur par ma description, mais en réalité mes mots ne feraient que les “poser”, alors qu'ils étaient là dans le mouvement, la vivacité d'esprit et de rire, un joyeux déséquilibre permanent… C'était un tremblement de vivacité qui passait parmi eux jusqu'à moi. Un tremblement de jeunesse.
Quand je suis repartie, au moment de me serrer dans ses bras (oui ce salut américain me laisse toujours légèrement maladroite), la jeune fille dont c'était l'anniversaire (et qui était je le rappelle, l'amie de l'amie de mon amie) m'a glissé un petit carton sur un spectacle qui aura lieu dans ce même petit théâtre fou le week-end prochain. J'irai peut-être. Et cette fois-ci, ce sera mon anniversaire…






samedi 2 octobre 2010

2 octobre 2010 - New York vol.19

Trois écrits, matin, midi, et soir. Trois moments de la journée…





Aujourd'hui est samedi. Samedi, l'étudiante en moi concède un peu de place à la touriste et, guide à la main, je lève les yeux de mes bouquins pour les poser sur les cimes. Je regardais donc les beaux bâtiments qui longent la 23ème rue. J'étais un peu désemparée. Parfois en touriste, ou devant la plupart des œuvres d'art (et plus particulièrement les plus réputées), on se retrouve désœuvré : on a vu. Faut-il regarder encore ? Mais vraiment qu'y a-t-il à voir ? Bon… disons que c'est joli. Oh oui, c'est joli, c'est très joli. Je peux passer au suivant maintenant ? Non, non, quelques secondes encore et je pourrai cocher la case “vu” de ma petite tête…………………….. voilà. Bon, le prochain, il est où ?


Madison Square Garden : un groupe fraîchement débarqué de Nashville, Tennessee, chante une chanson sur le thème “falling out of love” (dé-tomber amoureux ?), et à côté de moi une vieille dame mange un sandwich dans lequel ce qui n'est pas pain est graisse. Je regarde les grands arbres que narguent les immeubles, comme je fais tous les mercredis sur Madison Square. Mes mercredis sur Madison Square.


Et j'ai cette musique dans la tête qui dit “Hey, les gars, je vis à New-York !” (des fois on oublie), et à ma façon ça veut dire surtout que je vis.
Le touriste ramène de ces lieux des visions à décrire, et le voyageur ramène des histoires à raconter. Marie, voyageuse. J'ai longtemps su décrire, et ici j'apprends à raconter.


Madison Square Garden. Bercée par la country je laisse mon cœur à la simplicité de la guitare et des voix, sous le frais soleil de New York. Je vous écris sur une serviette en papier. J'écris pour dire que je vis.
New York, où je vis. Jamais en foulant les trottoirs de Paris je n'ai trouvé d'endroit qui me soit chaleureux ou familier. Tout dit “Regarde, et fuis”. La beauté de Paris me fait l'effet des cathédrales, on en perd le sens de l'humour.


Ici, enchantée par la voix du restaurateur thaïlandais qui me chuchote des mots doux à base de politesse “passe une merveilleuse journée”, j'ai trouvé un lieu qui se vit comme un chez-soi. Marie, voyageuse, Madison Square, country… At home at last (enfin chez moi).


J'ai croisé ces deux français qui cherchaient leur chemin sur la 9ème avenue. Gonflée de la culture new-yorkaise, j'ai décidé de les aider. Bien sûr elle a pincé ses lèvres barbouillées de rose une seconde. Bien sûr son grand bonhomme s'est posé derrière elle comme un ours silencieux, et bien sûr j'ai passé trente bonnes secondes à leur expliquer qu'il n'était pas nécessaire qu'ils me bredouillent des phrases en anglais.


Les lèvres se sont détendues, l'ours a baissé ses épaules : un îlot de France dans l'océan de l'Amérique, enfin ! Je pouvais le lire dans leurs yeux embourgeoisés.
Ils m'ont demandé depuis combien de temps j'étais là, j'ai un peu menti pour le plaisir d'être une vraie new-yorkaise : “deux mois”. -“oh, et vous vous y plaisez ?” J'avais presque oublié ce vouvoiement, cette mise à distance perpétuelle, cette façon de se dire qu'on se parle à des pôles opposés. -“oui, énormément”. -“oh, nous on déteste. Mais c'est normal : vous, vous êtes jeune”. Il faut toujours une excuse pour aimer quelque chose. Et depuis cent ans être jeune est l'excuse de la bonté, de la politesse et de l'amour, soit. Je souris. D'un sourire de jeune. D'un sourire assez franc et et modeste pour lui permettre la condescendance dont elle rêve depuis la première seconde de cette conversation. L'ours n'a pas dit un mot. L'ours il pense à ce qu'il ferait, s'il était jeune. Il pense à quand il pouvait sourire. Le tigre de la bourgeoisie française est lâché, et il ne me semble pas plus qu'un chat feulant. Je réponds “je n'ai passé que peu de temps ici, peut-être que je suis encore émerveillée…”. Elle m'interrompt. Ses lèvres roses sont pincées à nouveau. Oh non, “émerveillée” c'est un mot de poète, un mot de jeune, c'est un langage qu'elle a un jour rejeté. Le jour où elle n'a plus été jeune. Elle me répète “c'est parce que vous êtes jeunes. Les jeunes aiment New-York”. Les jeunes aiment la ville de tous les possibles. Les idéalistes aussi, il paraît que ce sont souvent les mêmes. Les bourgeois intellectuels n'aiment pas les possibles, ça leur rappelle qu'il y a d'autres possibles que leur maison, leur voiture, leur rouge-à-lèvre rose et leur ours qui est à mille lieux maintenant, goûtant sans y croire au bref aperçu des possibles. Elle finit par me dire, et je savais qu'elle y viendrait : “Nous on déteste. Enfin mon mari (elle montre derrière elle d'un air absent, il aurait bien pu être trois avenues plus loin qu'elle n'aurait rien vu, mais il y a des choses qui ne changent pas, et les ours ne changent pas), mon mari ça va, mais moi cette ville me fait horreur”. Quand a-t-il été décidé que les tigresses au rouge-à-lèvre rose prendraient des bonshommes de maris ? Quand a-t-il été décidé qu'elles parleraient à leur place, les rendant objets coutumiers, bêtes comme des meubles, utiles comme des GPS ou des microphones, et dont l'âme triste n'est plus nulle part que dans les yeux qu'ils posent sur les gentils, sur les poètes et sur les braves




Elle parle. Elle dit quelque chose sur la vie qui est chère. C'est l'instant où je suis d'accord. J'ai toujours ce sourire, porte ouverte à toutes ses rancunes : dans notre manège chacun a sa place définie depuis un milliers d'années. Je suis d'accord.
On parle d'argent, c'est l'instant où le mari a sa ligne. C'est écrit comme cela. Le mari entre en scène. Quelque chose sur son fils qui paie une fortune pour son appartement. Heureusement, il a un travail ici. Ils sont fiers. Oui dans leurs quatre yeux rivés sur moi pour m'entendre dire à quel point leur fils est chanceux et débrouillard, je vois de la fierté. Ils sont enfin attachant. Je leur dit que je vis à Harlem. Je vois dans le tremblement de la lèvre rose un peu de ce que les joueuses de Bridge donnent à leurs lèvres quand elles parlent de l'Afrique. Un mélange de “les pauvres”, de “quelle horreur” et du bonheur de ne pas y être. Je pense à cette femme qui mange son croissant en lisant le journal dans Le temps retrouvé. Le plus beau passage de Proust, sans nul doute. Je l'ai devant les yeux, et pour un peu je vois le rouge à lèvre rose se déposer grossièrement sur un croissant imaginaire tout en prononçant ces mots : “Oh, Harlem ! Et même Harlem, c'est cher ?”. Oui, Madame, même Harlem. Le bâtiment que vous cherchez, madame, il est par ici. Merci, Madame. Au revoir, madame.


Au revoir, Monsieur.
Je suis entrée dans le Starbucks, je louchais niaisement sur les cartes de fidélité, un américain derrière moi m'a dit avec un sourire franc et amusé “oui, ces cartes valent le coup”. Je lui ai rendu son sourire. Eh oui, nous sommes jeunes. J'ai pris la carte. Et un croissant.







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