dimanche 21 août 2011

Dimanche 21 aout : Roumanie vol.13


J'ai passe une bonne partie de la nuit a maudire en pensee notre camping qui a ose s'installer au coeur d'un parc qui, de nuit, sert de boite dansante.

Et j'etais encore d'humeur massacrante quand nous avons pris notre petit dejeuner dans un restaurant tout proche, dans le parc, dont les heuts-parleurs hurlaient des problemes existentiels aux rimes riches et rythmes pauvres (“je t'aime a mort, c'est pourquoi je t'epouse a la vie a la mort, meme si je dois en souffrir a mort, a mort, a mort…” : j'aime voir a quel point la culture francaise exporte facilement ses joyaux d'art et de philosophie).

La transition des monasteres au centre de la superficialite bruyante et du mauvais gout criard avait ete trop rapide. Les attractions elle-memes etaient sans interet : seulement des rotissoires pour bofs en maillot de bain et une tripote de fast foods.

Quitter cette ville, laide jusque dans ce qui fait sa fierte, nous a donc allegees chaque minute un peu plus dans le bus qui nous menait a Bicaz. La, une voiture puis une autre nous ont embarquees et deposees a Gheorghini. Mais nous avions prevu notre itineraire de telle sorte qu'entre Bicaz et Gheroghini nous traverserions les gorges de Bicaz, dont je suis encore fremissante. Comprenez que c'etaient les premieres gorges de cette envergure que j'admirais. Elles s'imposaient a moi, a mes pensees, emplissant tout a la fois l'espace et mon esprit, a croire que les univers de la physique et de la metaphysique ne font qu'un a l'egard du grandiose.


Et si cet article n'a pas de chute et pas de fin, c'est qu'au fond notre arrivee a Brasov, ou nous resterons toute la fin de notre sejour, n'est pas assez decisive pour m'oter l'envie de terminer ce texte a l'image de ces falaises, par un point apres lequel on suppose devoir trouver quelque chose, mais apres lequel, justement, il n'y a rien.


samedi 20 août 2011

Samedi 20 aout : Roumanie vol.12

Il y a des jours comme celui-ci ou tout entre dans la categorie “bien, mais pas top”.
Je crois qu'etre reveillee ce matin par les vepres n'a pas eu l'effet spirituel escompte. Deja parce qu'un reve erotique se terminant par des moines psalmodiants, c'est bien, mais pas top. Mais aussi parce qu'etre, des l'ouverture des paupieres, l'etrangere absolue (a ce pays, et a son dieu) recele une forme de violence. En realite je peux le dire, malgre les beautes incomparables que nous avons vu ces derniers jours, on en a soupe du Saint Machin et de Truc l'Eternel. On avait toutes deux des regards de cocker quand on a quitte le monastere de Secu pour celui d'Agapia la Nouvelle. Differentes voitures nous y ont menees malgre l'heure matinale, et de chaque cote de la route je regardais encore une fois ces murs interminables de sapins, et je pensais a la foi. Pour conclusion de toutes mes pensees je donnais cette finalite evidente et terrible : il est tout aussi horrible pour moi de penser que, auraient-ils tort de croire, des milliards de religieux de toutes epoques et de toutes confessions auront sacrifie leur vie au neant, humiliation ultime ( dont fort heureusement personne ne sera en mesure de temoigner) que de me dire que, aurais-je tort moi-meme, pour avoir donne ma foi a l'homme et aux petites choses, j'aurais moi-meme sacrifie ma mort, seule a etre veritable -terreur ultime.
C'est toujours a des dilemnes sans originalite de ce genre que je suis ramenee quand je baigne trop longtemps dans une atmosphere mystique. Ca impregne l'air que je respire, et parce qu'au fond je refuse de laisser place au doute ca ne laisse que des impressions pegueuses a la surface de mes idees.

Agapia la nouvelle, donc, bien mais pas top, aura marque notre passage des monasteres d'hommes a ceux de femmes dont la particularite (outre leurs miels et leur delicieuse confiture de cerise amere) est la quanite de fleurs tapissant sols et maisons.
Toutes ces taches de couleurs n'eveillaient plus de grand interet ni chez C. ni chez moi, et nous sommes bien vite sorties en soupirant.

Une micro-rendonnee d'une heure devait nous mener de la a Agapia Veche (Agapia la Vieille) a travers bois, et je profitais de cet instant, je l'avoue tres honteusement, pour cesser d'ecouter C., qui avait decide de combattre sa propre morosite en faisant ce qu'elle sait faire de mieux : parler et chantonner. Je ne repondais pas, toute a mes pensees, de sorte qu'un regard etranger aurait pu trouver notre duo bien comique. C'est ainsi que la carpe et la pie sont entrees dans le petit monastere recule d'Agapia Veche. Personne ici si ce n'est la dizaine de nonnes qui y vivent. L'une d'ailleurs ramenait de l'eau a la surface du puit, une deuxieme portait le linge pendant qu'une troisieme, m'arrachant malgre elle un leger sourire, balayait la paroi inpeccable de l'Eglise. Je dois bien reconnaitre cependant que ladite construction etait fort belle, toute de bois arrange en differents motifs. Le tout noye dans un ocean de fleurs, de sorte que deux armees a rayures, guepes et abeilles, se sont chargees de nous envoyer valser aux portes du monastere, et nous avons redescendu bien vite la route que nous avions mis du temps a grimper.
Comme de coutume, des chiens errants nous suivaient, et C. semblait dorenavant preferer s'adresser a eux qu'a moi, ce dont je me rejouissais plutot, tout en reconnaissant avec amertume que les cabots eux-memes avaient plus de repondant que moi.

Apres le dejeuner, une voiture nous a menees au monastere de Varatec, dont nous avions decide de faire le dernier de notre sejour. Il en reste encore de nombreux dans la region, dont les merites sont loues aussi bien par notre guide que par nos rencontres, mais a peine avions-nous decide de mettre fin a cette splendide tournee de monasteres que nos coeurs se sont alleges (le repas qui avait selle cette decision ne devait pas y etre pour rien non plus). C'est alors que les milliers de fleurs du monastere de Varatec ont pu nous toucher de leur beaute toute naive.

Une charette (sans foin cette fois), puis une voiture, nous ont portees jusqu'a la grande ville betonnee de Piatra Neamt ou le hasard a fait que nous nous sommes effondrees sur la place centrale… devant l'eglise. C. etait extenuee au-dela de toute mesure et nous n'osions pas nous decider a chercher ou dormir. Nous avons du rester la une heure, a ne pas meme nous laisser aller a ne rien faire, comme perpetuellement sur le point d'agir et perpetuellement retenues par le banc sur lequel nous etions assises. Pendant cette heure, l'eglise s'est revelee a nos yeux une usine a mariees. Les robes blanches, immenses tasses renversees, se percutaient dans le parc ou nous etions, et s'avancaient vers le photographe, avec differents degre d'elegance, allant de la grace relative a la franche vulgarite.

Nous avons quitte ce bal involontaire pour prendre un taxi vers un vcamping qui s'avere etre en realite un gigantesque (et je le dis sans exageration aucune) parc d'attraction. A l'heure qu'il est les 4 ou 5 chansons (electro, dance, pop… bien, mais pas top) qui font collision a mes oreilles pour ne plus former que l'habituelle bouillasse de fetes foraines, me donnent mal a la tete. Tout ce que j'espere, c'est que ces musiques s'arreteront rapidemment et ne sont pas supposees durer toute la nuit.

S'il vous plait…

… priez pour moi.



vendredi 19 août 2011

Vendredi 19 aout : Roumanie vol.11

La citadelle de Targu Neamt, du haut de sa collinem est ce genre d'endroit que l'on prefere avoir vu que voir. Bien sur, c'est le moyen-age, et des mannequins en costume avec de longues epees sont la pour mimer statiquement les habitudes d'un autre age, mais au fond ils ressemblent a des automates casses, et habitent un lieu massif mais decharne. On y tue le temps a coup de vieilles pierres, mais pour un peu on s'y emmerderait carrement.

C'est pourquoi nous n'etions pas mecontentes de prendre le chemin de Neamt. La route etait longue, et nous sommes dans une region de la Roumanie ou l'on croise plus de monasteres que de commerces, aussi nous avons demande notre chemin a une nonne, qui nous a guidees quelques kilometres durant jusqu'a ce qu'une voiture nous embarque. Nous n'avions meme pas eu a tendre le pouce. Le couple qui nous prenait en stop se rendait au monastere car y etait enterre le grand-pere de la jeune fille. Elle avait ce visage ingrat des jeunes femmes roumaines, mais celui-ci etait sublime par des milliers de taches de rousseur et une tignasse rousse et frisee, qui donnaient volume et petillant a son corps sec et anguleux.
Son grand-pere avait ete moine a Neamt, et nous l'avons suivie jusqu'a la tombe de l'aieul, puis nos chemins se sont separes. Qu'importent a Neamt l'eglise ou le monastere : la beaute de l'endroit, quoique reelle, n'etait qu'une rivale parmis d'autres dans la region. Mais tout pres du charmant cimetiere, dans la cave, on trouve les ossements des moines deterres, leurs cranes principalement sur lesquels sont peints leur nom et l'annee de leur mort. Cette salle devrait exister dans tous les monasteres, tant il me semble qu'on comprend mieux la vanite de l'homme et la puissance de Dieu (si tant est que l'on ait la foi) au contact de ces ossements. On croirait un raccourci du temps, ou le vivant rencontre sa propre mort, ou la vie est un clin d'oeil et la mort un espace infini. Mon coeur d'athee trouvait bien cruelle la vison d'un marquage inutile sur des bouts de memoire brisee, et en meme temps je m'accrochais malgre moi au vertige de toutes ces epoques qui se rejoignaient enfin dans la mort ou le temps ne cesse de diviser.

Apres Neamt nous avons rejoint le monastere de Secu (apres un crochet par celui de Sihastria) ou mous nous appretons a passer la nuit. Nous avons ete accueillies par un tres jeune moine, roux encore, qui nous a presente notre chambre monacale et le reste du monastere dans un francais assez approximatif pour etre charmant. Je crois pouvoir dire sans me tromper que je suis plus agee que le moine en question, et je ne pouvais le regarder avec ces yeux que les fideles posent sur tous ceux qui portent la robe. C'etait sans malice, mais sans devotion, que je m'adressais a lui. Au fond de moi d'ailleurs je me disais que des yeux jeunes aussi doux, perpetuellement amuses, ne devraient pas trop ce tourner vers les cieux, ou rien n'est drole, et regarder plus souvent les jeunes filles (ou les jeunes hommes car -pardonnez-moi l'expression- je ne preche pas pour ma paroisse) ou se trouve la joie superficielle,la seule que j'ose appeler joie. S'il commet des fautes alors, il faudra que son Dieu lui pardonne, car il lui a donne ce visage. Peut-etre que c'est pour cela que l'on brulait les roux sur des buchers : ils peuvent agir en toute piete, leur visage penche deja vers le “peche”. Mais quel peche sans envergure je souhaite a ce mome de 20 ans ! Tenir une main, embrasser une bouche !
Pour toute reponse a mon regard il n'a rien a dire : son seul bonheur, evident, suffit a me prouver que j'ai bien tort de lui souhaiter ce qu'il ne souhaite pas.
Enfin le bonhomme en robe nous a mene en toute hate dans la cantine ou deux tres longues tables se faisaient face. A droite, les moines, a gauche les autres, dont beaucoup d'enfants. Le repas consistait seulement en une soupe au navet. Je n'imaginais pas un hamburger-frites, quoique depuis quelques jours sans que je m'explique pourquoi je donnerais un bras pour un plat de lasagnes, mais tout de meme, une soupe au navet, il n'y a bien que des moines pour accepter d'appeler ca un repas. Le moment difficile aura ete de supporter le long benedicite au cours duquel chacun des membres de la salle aura accompli pas moins de 6 signes de croix, C. et moi mises a part. J'etais tellement curieuse des coutumes de mes hotes que j'en oubliais ma gene, et me contentai de baisser le regard respectueusement en attendant que l'interminable litanie prenne fin. Apres quoi tout le monde s'est penche silencieusement sur son assiette pendant quelques minutes, avec empressement, jusqu'a ce qu'une petite cloche resonne. Alors tout le monde s'est leve, un des moines a a nouveau recite quelque litqnie auquel chacun a repondu par deux-trois signes de croix, avant de quitter la table.
Notre rouquin est venu nous voir pour nous dire de prendre notre temps, aussi nous sommes restees assises, interdites, pendant quelques secondes, mais de se voir seules dans la grande salle qui se vidait peu a peu nous a mises mal a l'aise et nous avons laisse la notre soupe (il se trouve que j'abandonne sans remord les plats a base d'eau et de navets) pour nous rendre dans notre petite chambre. Notre jeune hote etait bien desole d'apprendre aue nous ne resterons pas demain pour le petit dejeuner (et n'assisterions pas ce soir a la messe, ou je ne sais comment l'appeler, a laquelle il nous a convie ce soir entre 23h30 et 1h du matin), mais secretement nous n'etions pas bien desolees de ne pas connaitre un second repas comme celui-ci, tout instructif et passionant qu'il fut. Notre seul remord etait de ne pas rejouir ce garcon qui serait si vite devenu notre ami, n'etait cette soutane encombrante.

Car aujourd'hui comme chaque jour, ces eglises dont on eleve la beaute a la gloire de Dieu ont rivalise de couleurs et de finesse, mais leur beaute n'a pas pu rivaliser avec les simples traits d'un jeune homme.



jeudi 18 août 2011

Jeudi 18 aout : Roumanie vol.10

Le monastere de Dragomirna en soi n'etait pas a la hauteur de mes esperences. Il etait une etape d'une longue serie, mais sa renovation nous a empeche, malgre le billet que nous avons paye plein tarif, de voir rellement l'interieur de l'Eglise. Photo-photo-autostop, rien que de commun.


Nous sommes ainsi arrivees a Suceava, ville laide et industrielle, composee de longs boulevards de HLM et de vieux commerces ou, comme mangee par le beton tout autour, la petite eglise de Saint Dimitri nous a offert encore une fois le reconfort de ses parois entierement peintes. Reconfort perturbant toutefois car a bien y regarder chacune des vignettes sur les murs represente la mort d'un martyre religieux. Alors imaginez des disaines de saints, la gorge tranchee au sabre et dont les tetes aureolees, roulant les unes aupres des autres, donnent l'impression de tas de pieces d'or qu'un Mario ou Zelda viendrait recuperer plus tard. Ici un homme meurt sur un bucher. La, Judas se pend. Et ainsi de suite. Un instant j'aurais cru une parodie de fresque medievale, d'autant que dans l'entree nous sommes accueillies par un plafond decore des 12 signes astrologiques, chose unique au monde dans une eglise, et pour cause : je ne me souviens pas que la Bible ait dit quoique ce soit sur les Capricornes et les Balances, les Verseaux et les Cancers.

De Suceava nous avons vite decide de prendre le train pour Probota, dont nous comptions visiter le monastere. Il nous aura fallu seulement une petite heure de trajet et des que nous avons vu le panneau de la gare “Probota” nous sommes descendues, pressees par la controleuse qui ne voulait pas perdre une minute avant que le train ne redemarre.

Un moment qui m'a semble des heures nous sommes restees prostrees, sacs sur le dos, sans savoir que dire ou faire. Mais la seconde d'apres nous riions a gorge deployee. Il n'y a pas bien d'autres facons de faire quand vous vous trouvez comme nous dans une telle situation : nous n'etions nulle part. Reellement nulle part : aucune route, aucune habitation, aucun chemin, des champs a perte de vue et au milieu les rails se rejoignant a l'horizon d'un cote et de l'autre du petit panneau bleu “Probota” qui maintenant ressemblait a une blague. L'endroit n'existe pas sur la carte routiere, et pour cause, ni sur le guide du routard. Ni nulle part ailleurs je n'en doute pas.

Apres quelques minutes de desoeuvrement nous avons decide de longer un champs. Il semblerait que la chance ait alors rejoint notre equipage car nos pas nous ont mene sur un chemin de terre cabosse que nous avons remonte un moment. Et puis tout d'un coup devant nous : une charette. L'homme, accompagne de sa petite fille d'une dizaine d'annees, nous regardait de ces yeux noirs qu'ont par ici les villageois qui n'aiment pas les etrangers. Nous lui avons demande ou se trouvait le monastere : sur l'autre versant de la colline, a 3km. Rassurees, C. et moi avons repris notre marche. Mais la chance nous accompagnait toujours et ne l'entendait pas de cette oreille, de sorte que la charette en question allait dans la meme direction que nous et que pendant quelques minutes nous la suivions gaiement, chargees et fatiguees, mais motivees. Le spectacle de ces deux jeunes filles chargees comme des anes suivant au meme rythme qu'elle une charette tiree par un cheval vigoureux et conduite par un homme rigoureux a du paraitre trop cynique a cet homme aussi, car il nous a bientot fait signe de grimper. Sur le foin de la charette brinqueballante, j'etais une petite fille joyeuse que la promenade ne laisserai pas.
L'homme parlait beaucoup a son ch..mais ne disait pas un mot aux etres humains), et parfois il sifflait et soufflait en venant presser sa langue a l'arriere de sa bouche, ce qui est exactement ma facon naturelle de former les “s”, et je me disais que moi aussi, alors, quand je serai grande, je pourrai conduire des charettes.
Nous avons traverse le village, ou il n'y a pas une seule route mais quantite de charettes immatriculees (?!) et de vaches, de chevres et de dindons rentrant au bercail, pour enfin arriver au pied du monastere.

Les nonnes de celui-ci nous ont accueillies avec un sourire apaisant qui renouait avec l'idee que je me faisais de l'ordre religieux : le coeur tourne vers Dieu et les mains vers le prochain. Vous vous moquerez de moi si je vous decris encore fresques et tapis, alors je dirai seulement qu'apres Sucevita, c'est peut-etre le monastere qui m'aura le plus touche. Mais il a bien fallu repartir, alors que le soleil commencait a decliner, baignant l'eglise d'une lumiere a proprement parler divine alors que les nonnes chantaient leurs louanges.

La question etait de savoir comment repartir. Car la difficulte de ces villages de pas grand chose, c'est qu'ils sont entoures de beaucoup de rien. Ca protege du trop que l'on trouve partout ailleurs. Mais quitte a s'enfoncer dans le rien, et planter notre tente dans des limbes de verdure, autant faire les choses bien et tracer notre route aussi loin que possible avant que le soleil ne disparaisse definitivement. Nous avions vu assez de merveilles pendant la journee pour mediter tranquillement en regardant passer vaches et chiens errants, et de fait nous avions un bon rythme de marche. Nous avons depasse une famille dont les membres les plus jeunes lavaient la voiture sous l'oeil averti de la grand-mere, assise sur le perron au milieu de ses poules et dindons. Ces betes sont aussi laides et grosses qu'elles ont l'air stupide, et parce que C. aime surprendre personnes et animaux de reactions inattendues, elle s'est mise a imiter le dindon, les yeux gros, et le cou en avant, avec des bruits ridicules, tout en continuant sa marche. La vieille femme a alors eclate de rire de bon coeur et nous a demande ou nous allions. Nous avons repondu de notre meilleur accent roumain, et pour toute reaction elle est entree dans sa maison. Elle en est ressortie quelques secondes plus tard avec 4 enormes tranches de brioche a la puree de pavot qu'elle nous a tendues. Nous etions heureuses, avec en main notre petit dejeuner de demain, et avons repris la marche.

Nous avons alors croise deux jeunes et beaux italiens venus rendre visite a leurs familles. Une des charettes que nous avions croisees avait du leur parler de nous (du moins leurs conducteurs, je ne pretends pas encore que le foin et les chevaux parlent de nous a toute la Roumanie), car ils nous attendaient. Ils ont alors decide de nous mener en voiture a la gare la plus proche (a une demi-heure de trajet, 1 heure aller-retour pour eux). Ils sont meme alles jusqu'a nous aider a prendre nos billets a la derniere minute, courant a droite et a gauche avec nos sacs, a negocier avec le controleur et a faire monter nos sacs dans le train. Cette pure gentillesse, jointe a ce sourire dont ils ne se departissaient pas, nous a desarmees. Tant d'effort juste pour nous aider (et sans doute un peu par ennui, mais qu'importe), c'etait le clou de la journee !

De la gare, un taxi nous a mene a l'hotel ou nous avons palabre longtemps sur les hommes bons et les gentils et tous ces gens qui nous ont file un coup de pouce. Ca nous donnait un air beat un peu ridicule, et honteusement on se mettait a croire que l'homme est essentiellement bon.



mercredi 17 août 2011

Mercredi 17 aout : Roumanie vol.9

Hier j'ai pu enfin savourer un repas traditionnel roumain. Ca n'avait pourtant pas ete faute d'aller dans des restaurants (qui sont particulierement bon marche au demeurant, un restaurant de bon standing offrant des menus entiers a 5 euros), mais a part quelques polenta agrementees, je n'avais pas ete retournee par les repas roumans.

Mais hier nous etions huit hotes, tous francais (dont deux d'origine roumaine) dans ce gite, et nous avons profite ensemble de roules au fromage, de soupe aux legumes avec de la creme, de porc roti, de pommes de terre bouillies, de salade de tomates, et de gateaux aux noix et au miel. Le tout sonne malheureusement avec beaucoup moins de finesse que ca ne l'etait en realite. L'ambiance etait d'autant plus assuree que le repas etait largement arrose de “palinka”, une eau de vie aromatisee a 55o, et d’“afinata”, une liqueur de myrtille tres epaisse et inoubliable (a part peut-etre si on en abuse, je suppose). Nous avions bien chaud, parlions beaucoup et jusqu'a tard nous avons ri de choses et d'autres et raconte nos voyages qui ne se ressemblaient pas. Ils se sont tous proposes de faire partir mon rhume a coups de Palinka, ce qui n'etait pas loin de faire effet. Mais a 6h j'etais quand meme reveillee par ma gorge irritee et, de fait, mon incapacite presque totale de respirer. Vous devinez alors mon enthousiasme quand notre hote nous a servi pour le petit dejeuner un lait bien chaud et du miel (que vendent les moines du monastere), des confitures de fraise et de cerise amere, un caviar d'aubergine, des tomates, une brioche a la puree de graines de pavot sucree, de petites tranches de porc, un beurre blanc et onctueux prepare par elle-meme, du pain, du the, du cafe… ma gorge se rejouissait de tant de douceur et j'aurais aime ne jamais finir de manger. Mais il a bien fallu rendre les armes quand ma panse a ete sur le point d'exploser (et que j'ai eu vide le lait et le miel jusqu'a leurs dernieres gouttes).

Nous avons alors plie bagage, et le couple de parisiens qui nous avaient tenu compagnie durant la matinee nous ont depose avec leur decapotable (je le souligne car c'etait une premiere pour moi) jusqu'a Marginea, ou nous avons trouve quelqu'un pour nous conduire directement au monastere de Solca. Un petit monastere au charme champetre, dont l'interieur de l'eglise est couvert de tapis au sol et de tentures aux murs, ce qui, ajoute aux foulards que portent toutes les femmes (nous comprises), apporte un sentiment de chaleur et de maternite que je trouve tres inhabituel. Souvent, les eglises et leur echo me font me sentir au coeur d'un pere severe et sterile, un corps caverneux ou les cierges sont des bouts de foi qui ne rechaufferaient pas un orteil. Un pere qui ne se penche jamais et ne sourit pas. Mais a Solca c'est tout l'oppose, et les couleurs, drapes et indispensables lustres rechaufferaient sans degout meme le chien le plus galeux.

De Solca nous avons trouve quelqu'un pour nous mener a Arbore, tout a cote. Nous voulions visiter ce village betement a cause de son nom, et y avons encore une fois trouve un petit monastere a l'eglise peinte, couplee a un charmant cimetiere ou poussent dans un meme elan les pommiers, les fleurs et les pierres tombales. La mort a toujours quelque chose de charmant dans les cimetieres roumains.

D'Arbore enfin un camion nous a mene jusqu'a Patrauti, ou le conducteur m'a surprise d'un baise-main. Dans la region de Bucovine ou nous nous trouvons, il y a en ville autant de voitures que de charettes. Nous avons visite la mignonne eglise de Patrauti, avec ses nombreuses fresques, avant de nous rendre a pied jusqu'au monastere de Dragomirna, que nous visiterons demain. Ce furent 6km de chemin dans une foret de hetres tres dense malgre tout, tres haute et belle, qui me faisait penser a mes souvenirs lointains de forets norvegiennes. Un bien beau chemin, le long duquel j'esperais trouver des cepes : on en trouve en vente partout sur les bords des routes et devant les monasteres, d'enormes et fermes. Il y aussi beaucoup de girolles et si je n'avais pas ete si encombree de mon enorme sac et de notre tente, j'aurais adore m'enfoncer plus profondement dans les bois pour en trouver, quitte a les offrir a un de nos nombreux chauffeurs.

Mais nous avons acheve notre route dans un petit bungalow facon “Hansel et Gretel”, dans lequel j'ecris actuellement, car on nous avait predit de la pluie ce soir encore, qui a en juger par la couleur du ciel ne viendra pas. C. ne cesse de me repeter a quel point les Maramures et la Bucovine, regions du nord de la Roumanie, sont le pays de Blanche-neige. Elle n'a pas tort, car des forets aux maisons, des noms sataniques (“Dragomirna”) aux sorcieres tziganes, de l'aspect medieval a la douceur des couleurs, tout est fait pour donner cette impression a la fois enchanteresse et superstitieuse ue j'attribue quant a moi a la predominance d'une religion orthodoxe aussi rassurante et confortable qu'exigente et effrayante.



mardi 16 août 2011

Mardi 16 aout : Roumanie vol.8

Deux vaches traversent la riviere paisiblement, mouillees a peine jusqu'aux epaules au plus profond du cours d'eau, et leurs “splotch, splotch” a quelques metres de la tente viennent en renfort du petit jour pour nous reveiller. Les courbes de la montagne se repondent en danses immobiles tandis que le soleil naissant peint des tableaux sans cesse changeants d'ombre et de lumiere. Nous tardons a repartir, les pieds dans la riviere. J'imagine volontiers des Indiens d'Amerique poser leurs arcs et carquois ici pour un moment de repis, mais c'est une charette qui entreprend de traverser le pont brinqueballant, sonnant tacitement pour C. et moi l'heure du depart.

L'autostop en Roumanie est un jeu d'enfant. A peine le pouce tendu sur cette route sans passage et nous montons dans notre premiere voiture, d'une longue serie aisee. A Ciaconesti nous nous emerveillons des maisons peintes aux motifs de tapis orientaux, et repartons. A Iacobeni, ou nous pensions passer l'heure du repas, nous ne voyons pas grand raison de nous attarder, aussi nous tendons de nouveau le pouce en direction de Sucevita. Je suis malade, d'un tres gros rhume epuisant qui m'accable d'un ganglion gauche que je jurerais gros comme la boite jaune des kinders surprise, lequel en chaine semble presser contre mon tympan. Je n'ai donc pas fiere allure, malgre ma bonne humeur inattaquable, c'est pourquoi nous avions decide de nous rendre dans une maison d'hote de Sucevita, une petite ferme a quelques kilometres du monastere. Nous avons ete deposees par un camion de Tzigane (huit en tout, dont 5 femmes, de tous ages) festoyant dans le camion sous le patronnage joint d'un grand Jesus Christ en croix accroche au retroviseur et d'une musique techno-dance a laquelle il manquait la moitie des frequences graves… une experience en soi. L'une des jeunes filles, de mon age a peine et deja enceinte de quelques mois, parlait italien. Nous n'avions donc pas trop de mal a communiquer avec la totalite du camion qui redoublait de curiosite a notre egard. Le plus jeune voulait nous ajouter sur Facebook, ce qui, dans une region ou la plupart des foyers n'ont pas jusqu'au telephone, m'a paru decale, assez pour que j'accepte de bon coeur. Que serai Facebook si les gens n'echangeaient pas leur contact en se parlant un melange de 4 ou 5 langues et saluant d'un geste de la main une charette de foin et deux vaches ?

Nous avons fini par rejoindre notre ferme, ou une vieille femme en fichu clair nous a accueillies de quelques mots francais : elle avait bien une chambre pour nous cette nuit. La ferme, tout en bois, et toute verte, est mignonne comme une maison de poupee “facon rustique”. Je l'appelle ferme mais elle ne renferme a ce que j'en vois qu'un cheval et une vache, dont s'occupent cette dame et son mari bucheron. La chambre est un peu kitsch mais, a sa maniere, tres authentique. Nous avons laisse la nos affaires pour tendre le pouce en direction du monastere, a seulement 5km de la.

Arrivees la-bas, les nonnes, toutes de noir, nous ont ouvert les portes d'un splendide monastere couvant comme un nid une eglise peinte des plus remarquables. Je sais bien que je ne cesse de repeter cela, eglise apres eglise, et pourtant c'est vrai, et chaque fois plus vrai que la precedente. Cette eglise est entierement couverte de peintures, non seulement a l'interieur, mais aussi a l'exterieur ! De magnifiques scenes se jouent sous nos yeux en centaines de vignettes a l'interieur, en continuite a l'exterieur, et les proportions parfaites de cet ensemble leger en fait une de ces tres rares eglises dont a proprement parler “l'envers vaut l'endroit”. J'y serais restee des heures, je m'etais d'ailleurs isolee un peu pour donner plus d'envergure au spectacle, rejoignant un peu les moines et les nonnes dans leur spiritualite.

Des que nous avons mis le pied dehors, il s'est mis a pleuvoir des trombes d'eau. Heureusement tres vite une ame charitable nous a conduit jusqu'a notre auberge. Nous avions eu une bien belle idee de choisir de passer la nuit dans une maison, a en juger par les cordes qui sont tombees ! La pluie s'est arretee, a l'heure qu'il est, mais mon rhume enserre ma tete dans un etau tel que d'un moment a l'autre je m'attends a ce que mes yeux sortent une fois pour toutes de leurs orbites. Je prendrai un cachet ce soir, pour me faciliter le sommeil, mais quoiqu'il en soit je me rejouis a l'idee du repas qui nous attends ce soir dans cette demi-pension, et dont C. me decrit l'odeur de roti, que je ne peux pas sentir, pendant que derriere elle des dixaines de charettes rejoignent le bercail a grand bruit de sabots pour retrouver leur propre repas fumant et la douceur de leur propre lit.



lundi 15 août 2011

Lundi 15 aout : Roumanie vol.7

Pendant l'organisation de ce voyage j'ai fait un caprice, de gamine, que je rendais incontournable : je voulais prendre le tchou-tchou a vapeur. Pour cela nous avons du faire un detour gigantesque, nous arreter a Viseu de Jos, marcher une dixaine de kilometres de nuit jusqu'a Viseu de Sus, planter la tente au milieu d'une rue ou les chiens errants ont passe la nuit a nous engueuler, nous depecher jusqu'a l'antique gare, apprendre que nous etions arrivees trop tard pour l'achat d'un ticket et enfin monnayer une place dans le wagon des marchandises ou nous nous sommes assises par terre en contemplant le paysage et notre locomotive a vapeur qui sifflait, et sifflait tres fort, dans nos oreilles. On recevait des poussieres de charbon et a l'heure qu'il est je sens encore la fumee mais c'est le moins que je puisse dire : ca valait le coup.
D'abord a cause du train lui-meme, qui me renvoyait sans cesse aux “Retour vers le Futur” et autre “Mecano de la Generale” qui avaient fait mon emerveillement. Ensuite parce que ce train forestier qui suit une petite riviere dans la lumiere du matin etait absolument enchanteur. J'etais dans un de ces rares etats de beatitude absolue que rien ne semble pouvoir venir briser. Ah! Quel chemin! J'emprunterais volontier la plume de quelque romantique pour decrire les lieux avec la verve que je leur dois, mais mon propre bien etre et la simplicite de mon etat m'interdisent des elans par trop excessifs ou pompeux. Gloire au train, donc, j'etais assez heureuse en l'instant pour justifier la totalite de mon voyage en Roumanie mais puisque voyage il y a nous avons repris nos sacs et tendu le pouce.

Quelques minutes d'autostop ont suffi pour qu'une dame d'une cinquantqine d'annees qu'en France j'aurais qualifiee de Hippie mais qui n'est que Roumaine, nous embarque jusqu'a Borsa. Quelques heures auparavant j'avais emis la supposition que toutes ces vieilles dames de noir vetu que l'on croisait avaient du perdre leur mari (chose relativement naturelle a leur age avance), et auraient alors troque les fichus a fleurs, les jupons colores et les chemises a flanelle pour la couleur la plus repandue du deuil. Par curiosite, C. a demande confirmation de cette hypothese a la conductrice, laquelle a hoche la tete gravement avant de designer son T-shirt noir : “j'ai moi-meme perdu quelqu'un”. Note a moi pour plus tard : ne jamais parler de mort dans une voiture, ca tue l'ambiance.

Un homme a pris la releve a Borsa pour nous mener a Iacobeni. En realite nous allions trop vite dans ce voyage a notre gout. Mais une fois dans la voiture, nous etions trop hypnotisees par le paysage qui defilait pour penser a autre chose : des montagnes sublimes couvertes de la foret de sapin la plus dense qu'il m'ait ete donnee de voir, me forcaient pour la seconde fois de la journee a laisser parler en moi tous les romantiques du XIXeme pour trouver du repondant a mon emerveillement.
En haut d'un col, une eglise avait la plus belle vue qu'une eglise ait jamais eu a ma connaissance, et tout autour d'elle des millions de conniferes, sur les versants qui se faisaient cirques, s'elevaient vers elle pour lui rendre hommage, comme la secte noire la plus puissante et la plus impassible. Je pensais un moment au Roi sans Divertissement de Giono, ou l'Eglise serait un arbre d'infini complexite regnant en maitre sur ses freres.
C'etait trop de beaute pour la laisser filer au travers du blindage d'une voiture, aussi quelques kilometres plus loin nous avons demande a notre conducteur de nous deposer. Il avait ce torse massif, front haut et pommettes saillantes qu'ont la plupart des roumains, un bel homme en soi, tres austere jusqu'ici comme de bien entendu, mais qui en nous deposant nous a saluees d'un gigantesque sourire auquel il manquait une dent sur deux, ce qui a passablement diminue sa prestance a nos yeux, et d'autant augmente notre sympathie pour lui.

Nous avons alors monte la tente au coeur des montagnes, pres d'un ruisseau, tout a cote de deux chevaux et d'un poulain -pour la bonne augure de cette fragile renaissance- et c'est ici que je suis, ecrivant a la lumiere de ma lampe tout en me figurant regulierement, les yeux fermes, le paysage qui nous entoure.



dimanche 14 août 2011

Dimanche 14 aout = Roumanie vol.6

Parenthese.


Parce que mon voyage en Roumanie ne se fait que quelques mois apres mon retour de New York, je ne peux m,empecher de comparer ces deux experiences. Ne serait-ce que parce que chque jour, au reveil, ma premiere pensee va vers mon grand appartement de Brooklyn et mes huit colocataires.

Je ne pense pas qu,il soit pourtant possible d'imaginer (j'ai trouve l'apostrophe) deux experiences plus eloignees. D'abord, et vous pouvez rire tant que vous voulez de cette remarque, parce-que personne ici ne parle anglais. Quand on me parle, je rassemble en esprit tant que je peux mon francais, mon anglais, mes rudiments d'italien et d'espagnol, de sorte que j'entends ce que l'on veut me dire. Leurs mains s'expriment avec une clarte que je leur envie. Mais quand il s'agit de leur repondre, je suis muette. Je bredouille quelques mots d'amglais qui les desarconnent, et ils finissent le plus souvent par s'eloigner en m'ignorant souverainement.

Je pense que si l'anglais est aussi peu rependu, c'est que la jeunesse est inexistante. Je rencontre des enfants et des vieillards en quantite suffisante pour peupler les villes, mais la Roumanie semble desertee par ses jeunes. Ca donne un teint de decadence aux grandes villes, et un charme moyen-ageux aux petites. Les rares adolescents ou trentenaires que je rencontre sont Tziganes, mais j'ai peut-etre deja trop dit a quel point leurs visages, a l'oppose de leurs ames, sont en tous points depossedes de leur jeunesse. Ils sont des tableaux de jeunes gens parcourus de craquelures et de vernis jaunis, de sorte qu'on reconnait leur jeunesse mais ne la sent pas. Ou est-elle donc, l'ame petillante de la jeunesse ? Les touristes sont trop rares pour donner le change, et je vois les Roumains a l'image de leurs maisons, beaux et divers, decrepis et poussiereux.

Je trouve d'ailleurs d'autant moins de jeunesse dans leurs visages que les Roumains ne sourient pas. Ils savent rire, quoique jamais de mon fait, etre aimables voire affables, mais le sourire leur est etrangers. New York est loin ou le sourire et la familiarite sont de mise partout ou l'on met les pieds. Ici, meme lorsque quelqu'un vient me poser la question la plus futile, j'ai l'impression de me faire gronder. Sans animosite, mais sans compassion. Je me dis que la culture du sourire est une chose etrange, et qu'elle est le presuppose de toute communication. Quand je m'avance vers quelqu'un pour un renseignement ou pour lui acheter un objet, que je lui sourir, fidele a une culture fierement ancree (culture encore plus feminine que masculine en France d'apres ce que j'ai remarque de nombreuses fois), et que mon interlocuteur me repond avec ce regard neutre, presque blase, qu'ils ont tous, je realise que meme si je parlais Roumain et connaissais les rues de ces villes par coeur, la communication serait tuee dans l'oeuf des l'instant de ce premier regard. Les Americains, qui n'aiment pas les francais (surtout les hommes) du fait de leur posture naturellement froide et distante… que penseraient-ils des Roumains ? Peut-etre du bien, car ils n'ont pas cette arrogance naturelle propre a notre culture. Pour etre plus precise, on peut dire que les americains posent entre eux et leur interlocuteur une bulle de savon, que les Roumains y mettent un petit mur de beton et les francais une fine couche de glace. Alors aussi peu de jugement que l'on puisse en tirer, c'est tout l'exercice du voyageur de ne pas s'en inquieter.


En Roumanie enfin, on peut fumer dans les restaurants, les bars et les trains, mais pas dans les gares. Alors j'ai l'impression que les lois sur le tabac sont elles aussi une sorte de reflet de l'etat economique d'un pays : quand les gens ont peur du cancer, c'est qu'ils sont sauves de la peur du manque.


samedi 13 août 2011

Samedi 13 aout 2011 = Roumanie vol.5

J,ai eu froid toute la nuit dans ma petite tente, et j,etais presque soulqgee au matin de pouvoir sortir la tete et de voir le soleil -froid encore- me baiser les pieds. J,ai l,impression que chaque etape de notre voyage, chaque fois un peu plus au nord, nous amene dans un plus bel endroit que le precedent. Nous sommes en plein coeur de la Roumanie, et deja autour des villes on ne se deplace plus qu,en charette. Dans les villes des Dacia d,un autre age survivent sans mal a l,air de la montagne. Slors dans cette ambiance d,un autre temps, il faut imaginer Sighisoara comme une Carcassonne sur laquelle on aurait verse des pots de peinture. Des que C. et moi y avons mis les pieds, nous avons decide d,y rester une nuit de plus.

La ville d,enfance de Vlad Dracul, dit Dracula, aurait a mon avis du le mener sur les voies de l,art, de la poesie ou de l,horlogerie, alors qu,il se soit tourne vers le massacre en masse, la decapitation et l,empalage de cadavres sur pieu me rend un peu perplexe. Mais comme on aime tous a le rappeler de temps a autres Hitler aimait les chiens… alors tout est possible.

Quoiqu,il en soit nous avons passe une de ces journees paisibles a tout et ne rien faire, vagabondant dans la ville au gre de nos envies (et de nos appetits voraces) comme deux ames simples incapables d,autre chose que de voir, et de se laisser emplir de la poesie des lieux. Par exemple nous nous sommes reposees dans ce cimetiere ronge par les plantes, ou les morts nourissent fleurs et arbustes dans une representation bucolique (et ecologique) de la vampirisation.

Je crois que la paix eternelle n,est pas dans la tombe, elle est a Sighisoara.



vendredi 12 août 2011

Vendredi 12 aout 2011 - Roumanie vol. 4

Aucun ours ne m,a rendu visite pendant la nuit. Tout au plus quelques cretins qui suite a un desaccord se sont crus autorises a nous appeler “cunt” (putes) une bonne partie de la nuit, jusqu,a ce ce que nos airs de dormir -dents serrees, gorges aussi- viennent a bout de leur amusement. Nous avons quitte l,auberge tot le matin pour Bran = nous troquins un monstre contre un autre, l,ours pour Dracula. Mais c,etait vain encore une fois =le chateau dit “de Dracula” (qui n,z a sejourne qu,une ou deux fois) est une ravissantepetite villa, ideale pour les vacances, un dedale de salles blanches et ensoleillees, paresseusement meublee par son ancienne proprietaire et aujourd,hui decoree de touristes, 6 ou 7 par salles, qui se prennent en photos les uns les autres en gromelant. Joli, surfait, mais en aucun cas Draculesque. Nous avons aussitot quitte Bran pour Sighisoara, sautant pour ce faire dans le premier train a disposition, en l,occurrence le moins cher… et pour cause. Un instant je mne suis crue en Inde. Le train etait si lent que les charettes lui faisaient la course. C,etait un amas de bois et de metal delabre, qui qvait la splendeur de son insalubrite. Rien n,etait a sa place, les banquettes dures etaient decharnees, les fenetres bloquees en position ouverte, des planches de bois en recouvraient parfois des parties… Mais surtout, qui hqbitqient tout le wagon avec le plus grand naturel, des Tziganes faisaient leur vie sans nous preter la moindre attention = une grand-mere cousait, des jeunes dansaient sur une musique de mauvais poste radio, les enfants courraient, deux jeunes femmes faisaient des comptes en riant, les hommes -rares- palpaient, regardaient, commentaient. On aurait dit une villea l,interieur d,un wagon. Ils s,echangeaient a manger, se baladaient dans l,allee centrale et je les regardais faire, betement intimidee. J,essayais de comprendre pourquoi ils s,habillaient de loques (la pauvrete, bien sur, mais j,ai le sentiment qu,ils n,ont au-dela de ca aucun conception esthetique du vetement, ou du moins une conception tres differente de la notre, mais je me trompe peut-etre), pourquoi ils sentaient si mauvais, pourquoi a trente ans ils avaient deja l,air centenaire… Et je me demandais comment a un certain niveau definir le racisme = est-ce qu,admettre tous ces faits est raciste ? Est-ce que de cacher mon appareil photo l,etait ? Si etre raciste c,est avant tout etre ignorant, et que je reconnais parfaitement mon ignorancem que suis-je ?


J,ose esperer qu,en reconnaissant ma betise on pardonnera un peu mes prejuges, car j,etais aussi emerveillee que j,etais inquiete du monde dans lequel je venais de penetrer. C,est pour cela je crois (mais je pense que je n,arriverai jamais a comprendre mes reactions a ce niveau-la) que quand une des plus belles Tziganes du wagon s,est penchee vers moi pour me parler, ma premiere reaction a ete… de l,ignorer. Pendant quelques minutes, casque sur les oreilles et regard sur le paysage, j,ai fait comme si je ne la voyais pas. Elle insistait tellement en riant avec ses amis que tres vite j,ai realise mon ridicule. Je me suis retournee, un peu penaude. Elle voulait l,heure. Et la, dans un stupide reflexe de rapport touriste-mendiante, j,ai dit que je ne l,avais pas. J,avais l,heure, au fond de ma poche, et il ne m,aurait rien coute de la lui donner. Ca se donne l,heure, a l,infini. Mais j,avais repondu tellement vite, et maintenant il etait trop tard. Elle m,a cru. Elle me parlait un melamge d,italien et de roumain, avec force signes, qui faisaient que je n,avais aucun mal a les comprendre, elle et son amie. La grand-mere derriere elles avait pose son tricot et regardait ce cirque de jeunes femmes d,un oeil amuse. On avait l,air de chiens qui se reniflent. Si les chiens savaient rire, s,entend. Elles nous ont demande notre age. 4 mains et 3 doigts pour C. et moi, 4 mains et 6 doigts pour elles. Une gamine est passee avec une bouteille vide que lq Tzigane a attrappe au vol et m,a tendu effrontement. Je l,ai remplie avec ma gourde, elle m,a demande si j,avais des enfants, c,etait comme si elle me demandait combien j,avais de richesse. Ca les faisait toujours autant rire. Le controleur est arrive, bien entendu aucun d,eux n,avait de billet, et apres un court tango d,autorite, tous les Tziganes ont quitte le train, marchant sur les rails jusqu,au chemin suivant. C. et moi sommes restees seules dans le wagon -devenu a mes yeux une veritable ville fantome- jusau,a Sighisoara.


jeudi 11 août 2011

Jeudi 11 aout 2011 : Roumanie vol.3

Sur la route de Brasov (a prononcer Brachov), j'ai vu ma premiere charette. J'etais heureuse comme si j'avais voyage dans le temps, petite citadine naive que je suis. Dans le bus, l'instant d'apres, les gens autour de moi se signaient des qu'on passait devant une eglise. Et les pauvres etaient bien courageux, car les eglises y sont nombreuses. Et c'est au point qu'aussi pres du chateau de Dracula, tant de superstition me causait cette peur agreable que l'on tate du fond de la langue, et qu'on retourne soi-meme pour la faire de durer.

Ville de montagne, Brasov est somptueuse de petites choses cachees, de maisons dont les peintures, vives et ecaillees, repondent simplement aux grosses forets de montagne qui l'entourent. On y aime ou pas les ours, mais les bestioles viennent se servir la nuit dans les poubelles des Fast Food roumains (compter des hambugers a base de choux).
On compte dans la ville d'autres eglises merveilleuses, et des noms qui donnent des envies de messes noires : l'Eglise noire (rescapee d'un incendie, ceci explique cela), la Tour noire et la Tour blanche (j'ai cherche Sauron, ou au moins Dumbledore… pardon, Gandalf, mais en vain), la citadelle (rescapee et restauree, surplombant la ville avec une grace simple : 4 petites tourelles et au centre un petit village ou tout est si avenant que meme les canons, encore sur place, ont du mal a prouver l'hostilite passee qui regnait en ce lieu). Ainsi de suite. Nous avons marche et marche sous le soleil renaissant, et vu et regarde et aime, mais la ville est d'une joliesse si simple et sans fioritures, que trop de mots lui rendraient mal justice.

Aussi je rends le clavier, il est deja tres tard ici et je compte bien trouver un de ces ours, cette nuit en rentrant a l'auberge, au coin de mon chemin.



mercredi 10 août 2011

Mercredi 10 aout 2011 : Roumanie vol.2

“Buc-” dit la goutte d'eau en quittant le rebord des toitures et des portails.
“-aaar-” gronde-t-elle en fendant l'air au milieu des maisons, aussi subrepticement que ses congenaires.
“-essst” souffle-t-elle en s'etalant sur le bitume et le beton.

“Bucaaaressst”, “Bucarest”, “Bucarest”, entonne la pluie autour de nous dans un choeur familier, et nous gele, et nous epuise. Perfides petites choses qui se joignent en armees pour nous frapper les reins : on a beau rire, a la fin elles chantaient encore la litanie roumaine -Bucaaaressst- quand nous etions en retraite sur les lits de l'auberge.

Pourtant, nous nous sommes battues vaillament, bras a l'air et sans courber l'echine.
La premiere vague traitresse nous attendait des que nous sommes sorties de l'auberge, chaude et minuscule. Nous l'avons repoussee nonchalament d'un geste de la main pour entrer dans le Palace de Ceaucescu, maintenant Palais du Parlement. Du grendiose a en gerber des metres cubes, entasses sur des tapis jusqu'aux somptueux luminaires qui n'en pouvaient plus de peser leurs tonnes au-dessus de nos tetes. Un palais plus grand que les pyrqmides, des milliers de pieces, si bien que si un homme se mettait a crier, des echos lui reviendraient de toutes parts et ferait croire alors a des milliers d'enrages scandant la revolution. Mais c'est un lieu ici ou les hommes applaudissent. Ils louent les superbes pieces de marbre et d'or travaillees jusqu'a la voute. Dans ce palais la grandeur se mesure au vide, vanite des vanites, et tant de spectaculaire betise en fait un tableau des plus rejouissantss, et d'une beaute toute particuliere.

Nous sommes sorties les ventres tordus par la faim, mais la pluie qui pour tout repqs ronge les murs et leche les statues ne voulait pas de cette treve. Le ciel avait des envies de nuit quand nous avons de nouveau traverse de laids quartiers de Bucarest -abandonnes, eventes, de terre et de beton arme contre rien- pour rejoindre la vieille ville ou dans une rue eventree nous avons trouve un restaurant au nom imbitable (il y est question de charette). Dehors, la pluie hurlait “Bucarest” et nous n'ecoutions pas, trop amusees par cet endroit a mi-chemin entre la Baviere et l'Angleterre Gothique : du bois et du marbre du sol au plafond, des serveuses aux corsets si ouverts que pour un peu on aimerait dejeuner sur leurs poitrines, et au milieu un quatuor a cordes tres charmant. Le tout permettait d'oublier le repas plein de bonne volonte (viande hachee dans des feuilles de vignem polenta, creme fraiche, sauce aigre-douce) que j'aurais bien glisse au chien s'il s'en etait trouve un.

‘Buc-aaar-essst". La pluie avait au sortir la voracite sans pareille du combattant qui ne se dilue plus. Elle noyait la ville et la drapait de froid et son chant de victoire -“Bucarest”- sonnait partout ou elle plantait fierement son drapeau. La pluie est un diable comme les autres, et c'est dans la plus petite et la plus ravissante de toutes les eglises que nous l'avons fui. Si belle en realite avec son minuscule cloitre qu'on aurait bien fait un nid au milieu de toutes les peintures qui recouvraient chaque pqrcelle, chaque poussiere de cette cabane dans la ville. Toutes les fresques, d'un bleu de ciel d'aout, nous rappelaient a notre guerre. Nous sommes sorties avec les armes de la foi… peut-etre pas la meme que les autres.

Mais Bucarest nous fondait dessus de grosses lapees de beton, et jusqu'aux plus jolis coins de la ville nous crachaient des averses. Un petit passage en fer a cheval nous a offert un abri, et c'etait un petit Eden de fortune que nous venions de trouver. Le passage etait couvert de plaques jaunes et translucides qui baignaient toute la petite ruelle couverte d'une lumiere doree surreelle. Et tout au long, des chichas aux doux parfums de fruit. C'etait le repos du guerrier : nos visites de la ville avaient aussi bien devoilees des merveilles qu'enroue nos qrmes. On avait beau entendre la pluie s'enerver, eclater “BUCAREST! BUCAREST!” sur les toits sourds, la musique et le the chaud nous rendaient paisibles et inconscientes. Notre fumee s'elevait -parfumee a l'orange-, la pluie s'abattait, et la douceur de l'une embrassait la violence de l'autre a l'occasion de ce toit dore.

Enragee par notre couardise -Bucarest!- la pluie s'est emparee de nous avec une force decidement inalterable des que nous avons quitte l'anneau dore ou mon coeur voulait elire domicile. Je n'etais plus drapee que de pluie, mes pieds creusaient nonchalament des flaques chaudes… j'etais vaincue, et la pluie se chargeait deja de m'enterrer sous ses tonnes. Quelques beaux batiments ne m'ont pas ouverts leur porte. Dans une vieille eglise, ou j'avais trouve maigre refuge, on disait la messe. Et les chants laconiques retombaient si imperturbablement sur les dalles froides que le chant et la pluie, les mots de Bucarest, avaient pour moi l'echo d'une meme torture.

Je suis entree a l'auberge et alors que j'ecris, la pluie dehors chante “Victoire!” et “Mort a l'ennemi!”, mais tout ce que j'entends, yeux fermes, yeux ouverts, c'est “Buc-aaar-essst. Bucarest.”


mardi 9 août 2011

Mardi 9 aout 2011 : Roumanie vol.1

Il faut tres exactement 40h pour faire le trajet en bus de Nice a Bucarest. Traverser l'Italie, la Croatie, une partie de la Slovenie. Faire des pauses toutes les deux heures : les femmes se jettent sur les toilettes, les hommes sur leurs cigarettes et les enfants sur les cailloux, et on remonte. C'est un peu ca, 40h de bus.

Ca avait mal commence. A 6h le matin, une demie-heure avant d'embarquer, je regardais depuis la voiture les enseignes colorees, et petit a petit je les sentis scintiller devant mes yeux, danser morosement. C'etait la fatigue, a n'en pas douter… Mais quelques minutes plus tard : je ne savais plus lire. Je connaissais. J'avais compris. Inutile de lutter. Plus que quelques minutes et je ne pourrais plus parler, mon nom me serait etranger. Je cherchais deja mes phrases. “Sportif” me venait alors que je cherchais desesperement “autobus”. Plus j'essayais de me concentrer et moins je pouvais retenir les mots qui filaient. “Bus”, ‘assise", “enfin”… 'coccinelle" ? Je perdais pied, mais gardais mon calme : c'etait une migraine, et pas ma premiere dans son genre. Bientot je ne pourrais plus rien dire, plus ecrire, plus compter, plus voir, et tout cela passerait quand une gigantesque douleur viendrait engloutir mon crane, et s'en aller d'elle-meme nonchalament pendant un sommeil durement acquis. C'etait un peu cela que je pensais dire a Chloe quand je me suis penchee vers elle. Mais j'ai articule “j'ai une migraine”, aussi vite que me le permettait ma febrilite, avant que les mots si durement retenus ne s'echappent a leur tour. Et sans rien soupconner du raz-de-maree qui sevissait dans mon crane, elle m'a propose des cachets. Ibuprofene ? Je connaissais ce nom. Et si j'avais pu convaincre les lettres d'arreter leur gigue j'aurais pu lui donner plus qu'un air de familiarite. Mais quand votre propre prenom vous parait absurde, qu'est-ce qui peut etre familier ?
J'ai pris le cachet, et me suis endormie. Je me suis eveillee quelques fois, quelques secondes, et illico le marteau venait s'enfoncer dans mes tempes. Et puis, plus rien. J'etais moi. Et j'etais en Italie.

Les heures ont avancees, et il etait de nouveau temps de dormir, d'un sommeil epice d'un reve de sorcieres et d'enchenteresses, d'un erotisme soft et surtout, aberrant. Chloe et moi nous cousions des oreillers dans nos epaules respectives, deux oeufs hysteriques tournant et retournant en palpant et tricotant et pourtant… dormant.

Quand nous avons ouvert les yeux (pour la centieme fois, mais celle-ci etait la bonne), nous etions en Roumanie. Je me suis avidemment collee a la fenetre du bus. Ce que je voyais alors m'a laisse perplexe : des superbes villes fantomes, emplies de mendiants. Des roms, peut-etre. Y a-t-il un pays ou ils n'aient pas a mendier leur droit d'exister ? Je lisais une page de Dracula sur les honneurs sanglants des guerriers roumains, et je me demandais quand les Huns avaient embrasse le vers de terre. Je regardais leurs beaux visages et leurs mains de deux cents ans, et dans leur regard, dragon dans une coquille d'oeuf, je trouvais la fierte noire, sans haine et sans pitie. Moi j'aimais mieux leurs crachats que leurs mains tendues.

Le bus quittait ces petites villes de rien et en trouvait de nouvelles. Tout y etait toujours abandonne pour moitie, comme si un beau matin des familles entieres avaient deserte maisons et usines. J'aimais cette sensation comme on aime les beaux films d'epouvante. Les couleurs chatoyantes et les formes bonhommes ne suffisaient pas a insufler de la chaleur dans les rues glacees. Tous partis, a croire. Ils avaient laisses derriere eux des chiens galeux et des croix gigantesques et nombreuses a la mesure de leur humilite ; mais c'est souvent que la religion se mesure a l'humilite des peuples.

Dehors, dans des hectares de terrains vagues plats comme l'ennui un drapeau flottait sous l'edredon de poussiere du ciel qui semblait rappeler que ce monde etait du passe. Le drapeau flottait, et j'y voyais un drapeau francais sur lequel un saoulard aurait pisse sa biere.


dimanche 20 mars 2011

Jean Vautrin

Jean H, dit Jean V, je n'aurais jamais mis la patte dessus sans l'aide d'un oncle, puis de Vautrin lui-même, puis de sa femme, douce comme sa voix et belle comme elle j'en suis certaine.
Vautrin et ses romans historiques, c'était un peu dur à avaler… Pas que je déteste l'Histoire, mais elle fait ses romans au fur et à mesure je pense. Alors ce roman sur la Commune, un peu par prétention je l'aurais bien laissé à Victor Hugo. Mais mon oncle, puis l'auteur, puis sa femme… et me voilà plongée dans “Le Cri du Peuple”. 7,50€ et je mets les pages dans ma poche, je trouvais le roman trop long avant d'avoir ouvert la première page, je prends une grande inspiration (n'arrête pas de lire, Marie, même si c'est sec et même si c'est sérieux, n'arrête pas de lire et quand tu en seras à la dernière page tu poseras le bouquin sur la bibliothèque, tu l'oublieras et le nom -Vautrin- sera un peu à toi)…

Je renâclais comme un âne ignorant, lecteur têtu d'américains ou de romantiques, mais dix pages plus loin j'en avais lu deux cents. Tout en argot : dialogues et narration. Tout chantant de poésie vulgaire. Tout sur les grands hommes du petit peuple, sonnant à l'oreille comme un hymne français mêlé de chansons paillardes : de la violence et de la bonhommie jusqu'au fond de la chair des Tarpagnan (et c'est Tartanpion que j'allais écrire) et autres Horace Grondin, des noms plus français qu'on ne saurait y croire.

Je réapprends à lire, je bute à nouveau avec délice sur des mots inconnus, je reconnais ma langue et la sens étrangère, je la redécouvre, parce qu'en littérature comme en amour il faut parfois renouveler ses vœux. Et pourtant qu'est-ce que je me fous des aventures de ces gavroches et militaires ! L'histoire de l'Histoire me laisserait de bois, mais la langue -et j'ai envie de jurer en patois quelque mot en “-bleu” pour me faire comprendre- suffit à me tenir aux lettres.

Les anars et les cocos, à l'époque d'hier et de maintenant ça fait toujours plaisir à voir, mais là j'aime la Révolution parce qu'elle est belle à entendre.


mercredi 12 janvier 2011

12 janvier 2011 : Los Angeles vol.1 : FIN DU VOYAGE

Mes dernières heures à Los Angeles sont là et, par conséquent, mes dernières heures sur le territoire américain.



C'est comment Los Angeles ? Je ne sais pas. Dépaysant, sans doute, pour voir les choses du bon côté. Grand, il n'y a pas à dire : la moindre « petite » rue a 6 voies et s'étale sur l'équivalent de trois villes différentes. Car il y a plusieurs villes à L.A. : Santa Monica, Universal City (non, vous ne rêvez pas, les studios universal sont si grands qu'ils ont leur propre police, leurs propres pompiers et leur propre code postal), et d'autres. La ville entière est folle. Je ne veux pas dire par là énergique ou vivante -loin s'en faut- mais décalée, hors du réel… toute la ville est touchée par ce fanatisme de la célébrité qui la rend vulgaire, vénale… Si New York est une grande enfant et San Francisco une hippie, alors Los Angeles doit être une prostituée.


Le mieux étant bien sûr que je raconte, mais après tout je n'y ai passé que deux jours…


De San Francisco à Los Angeles mon bus a traversé le désert. Des étendues plates et sans végétation si ce n'est de l'herbe sèche, que je pouvais imaginer salée par les vents de la marée. Parfois, hors de tout, quelques collines, mais certainement rien de ces rues penchées et de ces vallons de San Francisco. Sept heures donc, à regarder l'éternel recommencement de ces limbes plates dans le silence engloutissant de ce bus endormi. Parfois, un champ d'orangers, qui s'étale et s'étale avec ses boules de noël orange, et dont on ne vois pas la fin.

Et puis finalement, sans que rien ne semble le justifier, apparues de nulle part, une rue, des maisons, des lumières partout : vous voilà à Hollywood. C'est aussi simple que cela. Les palmiers gigantesques et extrêmement nombreux ne trompent pas, et quand bien même vous auriez encore des doutes, voici le bâtiment du Capitol Records et derrière -non, vos yeux ne vous trompent pas- les neufs lettres irrégulièrement posées les plus célèbres au monde : « Hollywood » (ceux qui pensent automatiquement « chewing-gum » à la suite : bienvenue dans l'univers affreux de la génération pub des années 90).

Mon auberge étant située sur une rue perpendiculaire à Hollywood Boulevard, et mes jambes me démangeant du manque de marche, je suis sortie avec mon appareil photo, et un anglais avec qui j'avais fait connaissance en 5 minutes montre en main, pour prendre des photos du boulevard, de ses étoiles avec les noms de stars, des empruntes de pas de mes acteurs favoris, du Chinese Theater où l'on célèbre les Oscars, etc.

Le résultat était piteux : un large boulevard bordé de Sex Shops et de boutiques à touristes, et des étoiles sur le sol à n'en plus finir : et bien qu'il ne faudrait pas faire un rapprochement trop évident avec les personnes qu'elles représentent -quoique- : « quand on en a vu une, on les a toutes vues » (et il faudrait être une fan absolue de Chantons sous la Pluie comme je le suis pour y voir une référence quelconque).

Seul moment de la soirée qui m'a fait éclater de rire (l'anglais m'a alors regardé avec un air incrédule) : j'ai croisé le magicien ! Le mécanisme à 25 cents du film « Big » !. Il était là, il donnait sur la rue, sur la devanture d'une boutique. Si j'étais sérieuse, je supposerais qu'il y en a plusieurs aux Etats-Unis, sans doute encore plus depuis le film, mais comme je ne le suis pas je pars simplement du principe que celui de San Francisco a été transporté jusqu'ici pour me donner une dernière chance de le voir. Je l'ai pris en photo. C'est donc vraiment là que se termine l'aventure « Zoltar », parce que c'est son nom.

Photo-photo-dodo, donc, aura été le signe de ma soirée.


Tous ceux qui étaient allée à Los Angeles avant moi m'avaient prévenus : Los Angeles, c'est sans intérêt. Ils m'avaient aussi dit qu'étant donné que j'étais étudiante en cinéma il fallait ABSOLUMENT que j'aille voir les studios Universal. Oui, oui, très bien ! Un petit détour à Capitol Records, un autre à Amoeba (qui étaient mes arrêts « musique ») et me voilà enfin devant Universal Studios, où à ma grande surprise j'apprends qu'il s'agit en réalité d'un parc d'attraction incluant la visite des studios. Le parc est atrocement cher, et parce que j'apprends aussi qu'il ferme à 17h (la vie est dure), je consens à payer encore plus pour un billet « Front of the Line », qui permet de ne pas faire la queue devant les attractions, et donc me permettrait en théorie de toutes les faire malgré le fait qu'il soit déjà 12h. Quelques $120 pour un parc d'attraction, donc, il avait intérêt à avoir des ressources ! Je n'ai pas pu tout faire, mais ce que j'ai fait valait le coup. Car il ne s'agit pas d'un Futuroscope au rabais, comme j'en avais l'impression au début : leurs activités sont tournées vers le studio auquel le parc est attenant. J'explique : passé un concert très très chouette des Blues Brothers (non pas les vrais, ils n'ont pas ressuscité le mort, encore que j'ai failli le croire), et un court-métrage exclusif de Shrek en 4D sans intérêt, je suis allée faire l'attraction « Studio Tour » : un tour du studio, donc, dans un petit train pour touriste. D'abord nous traversons les décors de Western les plus utilisés au monde (six rues dont chacune a son poste de shériff, son bar à double volet, son croque-mort et son bordel : on ne lésine pas sur les moyens ; puis le décor des Dents de la Mer qui n'a pas été transformé et qui sert encore à beaucoup de films (où le véritable requin qui a servi au film sort tout à coup de l'eau pour se jeter sur le train, s'arrêtant à quelques centimètres à peine) ; le décor de Psychose de Hitchcock, gardé consciencieusement en l'état, avec un petit plus : le personnage du film qui sort, met une blonde morte dans la malle de sa voiture et s'approche du train avec un long couteau avant d'attraper quelqu'un par le col, au moment où le train redémarre. Effet garanti.

Puis nous sommes passés devant les voitures mécanisées qui sont utilisées pour les scènes de carambolages, lesquelles nous ont donné un aperçu de leur utilité, avant de… danser. Oui, des voitures qui dansent. Pourquoi pas.

Puis une petite visite des décors de Desperate Housewives, où devant l'une des maisons une équipe se préparait.

Un passage dans le décor de Jurassic Park tout compris : voitures, jungle, barrières électriques… (si j'avais été un brin moins fière j'aurais sauté dans tous les sens, je vous jure), puis devant la grande cuve qui est utilisée pour faire les scènes-sous marine, puis devant le mur bleu le plus long du monde (quelques chefs op’ de ma connaissance baveraient déjà à l'heure qu'il est), puis dans le plateau complètement détruit de la Guerre des Mondes (version Spielberg) où un véritable avion a été explosé et désossé (mes velléités de décoratrices n'en revenaient pas), puis sur le lac qui a servi dans une vingtaine de film à représenter à l'heure qu'il est 5 mers et océans différents, dans la grotte où a été tourné « la Momie » (circulez, y'a rien à voir)… Nous voilà alors dans un décor de métro new yorkais entièrement mécanisé qu'on croit au premier abord tout a fait ordinaire quoi que parfaitement reconstitué. Voilà même le métro qui approche ! Et alors qu'il nous dépasse, tout explose : le métro déraille, s'ouvre en deux à 20 centimètres du train (ai-je dis qu'il n'y a aucune paroi à notre train sinon un sol et un plafond ?), des centaines de litres d'eau se déversent tandis que le sol s'ouvre et le plafond tombe, et les étincelles des fils électriques brisés et mouillés sont projetées en tout sens. Quelques secondes plus tard : plus rien : tout est sec (sèche-cheveux ultra-puissants), sols et plafond sont retournés à leur état d'origine, le métro se reconstitue par magie et rentre tranquillement au bercail. C'est quelque chose à rendre le cerveau malade.

Après ça nous passons au milieu des studios d'enregistrement son, que nous ne pourrons pas visiter aujourd'hui : ils sont tous utilisés, et nous nous retrouvons sur le décor du dernier King Kong, dans une caverne tapissée de squelettes et de vieilles pierres. Il commence à faire noir. Sacrément noir. Et là le petit train s'arrête. On nous donne des lunettes 3D, qu'on enfile sans trop comprendre, et s'ensuit l'activité la plus géniale au monde (j'en suis encore toute retournée… « l'envers vaut l'endroit ») : Peter Jackson, donc, le réalisateur de King Kong, a aussi conçu cette activité, que je vais avoir bien du mal à décrire : il y a des écrans tout autour de nous : nous sommes dans une sorte de sphère d'écran, sur laquelle est projeté en 3D un combat entre King Kong et un T-Rex, dont on a vraiment, mais alors vraiment la sensation qu'ils se battent au-dessus de nous : et ce d'autant plus que le train vibre et bouge et percute à chaque fois que l'une des deux énormes bêtes le touche. Il y a encore bien d'autres techniques utilisées lors de cette attraction, mais de toute façon le tout est du domaine de la sensation. Nous sortons de là excités, énervés et mouillés (oui, ça aussi), et continuons la visite. Celle-ci dure une heure. Encore des décors, des visites, des effets : la ville s'étend à l'infini avec ses noms de rues modernes à souhait (le carrefour de l'avenue Steven Spielberg et la rue Bob Marley m'a laissé un brin cynique).

Après quoi je ne savais pas très bien quelle activité faire : je savais avoir vu la partie la plus passionnante du parc, qui aura plu en moi autant à l'étudiante en cinéma qu'à la jeune fille en vadrouille. J'ai choisi au hasard une attraction portant sur les effets spéciaux, qui ne m'aura pas appris grand chose, mais il faut dire que pour ce qui est de la technique, les étudiants en cinéma sont un public très difficile. Et puis sans trop y croire mais parce que c'était la dernière attraction ouverte, je suis allée voir « les animaux du studio »… ce que je n'ai vraiment pas regretté. Il s'agit des animaux qui sont véritablement utilisés par les studios pour leurs scènes. Pas de lion, de tigres ou de girafes, seulement des singes, beaucoup d'oiseaux, des chats, des chiens, des porcs, etc. Et en réalité je crois que l'absence de bêtes par trop impressionnantes a rendu le tout beaucoup plus intéressant. Comment par exemple un réalisateur parvient-il à filmer un oiseau en vol ? Vous savez, cette scène où on est juste à côté de l'oiseau, qui comme par magie reste parfaitement au milieu de l'écran ? Eh bien explication avec un perroquet. Vas-y coco ! Coco (qui ne s'appelle pas Coco, je le précise, mais dans une volonté de vulgarisation je lui donne un nom qui vous aidera à garder à l'esprit qu'il s'agit d'un perroquet, ce qui n'a pourtant aucune importance)… Coco, donc, vole jusqu'à un énorme ventilateur, et à côté du ventilateur se trouve un écran vert (qui sera ensuite remplacé numériquement par le bleu du ciel, sait-on jamais que certains lecteurs ne sachent pas ce qu'est un écran vert). Coco vole contre le vent, sauf que -Hallelujah- le vent est trop fort, ce qui fait que Coco il a beau voler, il fait du sur-place. Tout bénef pour la caméra qui sans bouger d'un micro-centimètre a son coco volant eu centre de l'image devant un écran vert. C'est tellement évident que je n'y aurais jamais pensé.

Et puis après il y a les chats (impressionnant) et une petite dispute très drôle entre un coq et un porc sur le repas du jour (c'est très drôle et très bien fait mais je vous épargne les détails), un orang-outan (c'est toujours impressionnant : non seulement il fait ses tours, mais tout singe qu'il est on dirait qu'il « pense » ses tours, et cela rend l'animal particulièrement fascinant, d'aucun de ma connaissance diront « dérangeant ». Et puis bien sûr des chiens qui font tout un tas de choses mais c'est de la triche, eux ils sauteraient volontiers d'un avion sans parachute si on leur promettait un susucre. Il y a ensuite les pigeons, l'aigle, le faucon qui a été éduqué pour aller trouver la seule main du public qui tient un billet de banque plié pour le récupérer et le ramener au dresseur (pratique), un aigle, un cochon (il a fallu 48 porcs pour filmer Babe, les petits porcs grandissent trop vite), etc.

J'ai fini mon tour du parc, et ai pris le chemin de la sortie, certes pas mécontente de mon expérience, mais frustrée de l'heure de fermeture.

J'ai décidé parce qu'il était tôt de prendre le bus jusqu'à Primitive Sound, magasin d'instruments de musique où sont censés travailler le chanteur et le bassiste d'un groupe que j'adore. Il fallait environ 1/2h en voiture pour arriver là-bas d'après internet, je comptais une heure en bus, ce qui me laissait une heure pour voir environ de quoi il retournait et, peut-être, trouver un vinyle du groupe que j'aurais pu faire signer par « The Preacher » et « Sonic » (ceci étant censé donner une idée de la nature du groupe en question). Il m'a fallu 3h30 pour arriver à destination. Note à moi-même utile aux autres : Los Angeles, c'est la ville où les gens sont fiers d'une chose : leur bagnole. Si tu n'as pas de bagnole, t'es un guignol (ou un clodo, ce qui revient au même, on est en Californie), alors pourquoi diable envoyer des bus toutes les 10 minutes comme dans toutes les villes du monde ? Et à quoi servirait-il de faire en sorte que ces bus aient des correspondances faciles ? Et pourquoi est-ce qu'il y aurait des taxis alors que les riches ont des voitures et que les pauvres ne prennent pas le taxi ? Hum ? J'ai donc pris trois bus différents, que j'ai attendu 1h, 1h et 1/2h. Je ne pouvais même pas faire demi-tour et juste rentrer chez moi parce qu'il me fallait 5 autres bus si je retournais chez moi par Universal Studio, et seulement 2 si je passais par ce fichu magasin. Je suis arrivée là-bas à la nuit noire, dans cette rue déserte, devant le magasin fermé, sans bus à l'horizon, et sur cette énorme route à 8 voies qu'ils ont le culot d'appeler une « rue ».

Je me suis avancée pour prendre une photo du magasin qui avait fermé d'après la pancarte 1h30 avant, et j'ai vu une ombre bouger, et fermer la grille sentencieusement. Difficile de ne pas le reconnaître, il s'agissait de Sonic, donc, le bassiste du groupe. Je lui ai demandé où je pourrais trouver leurs vinyles : ils n'en ont plus en stock pour le moment, et nous avons échangé deux-trois mots sur son groupe et la France. Il est rentré dans son énorme voiture et est reparti. Je pourrai au moins dire que j'ai rencontré, en Californie, le bassiste d'un des premiers groupes que j'ai appris à aimer dans ma vie (je m'y suis pris tard, n.b.). Comme j'avais le sourire aux lèvres, la loi de Murphy m'a lâché les baskets, et je suis passée d'un bus à l'autre sans encombre, attendant entre un quart d'heure et une demie-heure l'arrivée de chacun des deux bus. Je suis arrivée à l'auberge un peu tard, mais il était assez tôt encore pour aller manger au Hard Rock Café de Los Angeles, parce que j'ai un esprit de collectionneuse qui fait que je ne pouvais pas résister, après avoir mangé au Hard Rock Café de Venise, de Lisbonne, de Barcelone, de New York et de San Francisco, à aller dans celui-ci. Ce qui a clos une journée étrange, où j'avais réalisé à quel point Los Angeles est une ville où je ne pourrais pas vivre.


Mais le lendemain, un programme tout autre m'attendait.


J'avais préparé un programme bizarre. Il faut imaginer que je n'ai pas de plan de la ville (tous les plans que j'ai pu trouver ressemblaient à s'y méprendre à des cartes routières, desquelles je ne comprends pas une ligne), pas de guide (ces deux dernières semaines je n'ai jamais tant regretté mon guide du routard adoré), et une simple feuille illisible donné par l'auberge pour aller aux principaux points intéressants de la ville à partir de l'auberge (mais pas entre eux). Donc j'ai fait confiance à mon semblant d'intelligence (et je parle là au sens basique de « inter » « ligere » à savoir « lier les choses entre elles ») pour retrouver à partir de ces indications quelles étaient les activités qui se trouvaient peu ou prou dans les mêmes zones et comment aller de l'une à l'autre. Je ne saurai jamais à quel point j'avais juste ou faux, puisque de toute façon les transports sont restés ce jour-là l'aberration qu'ils étaient la veille.

Tout d'abord, tôt le matin si l'on peut dire, je me suis retrouvée à El Pueblo et sur la rue attenante dont j'ai oublié le nom (que le dieu mexicain me pardonne, il a mille autres raisons de me bannir) : bref, c'est comme d'aller au Mexique. El pueblo, c'est une petite place mignonne devant l'ambassade du Mexique, et la rue en question est une rue tout ce qu'il y a de plus mexicaine, dans sa structure, son architecture, sa population, son ambiance, ses boutiques et son marché. Comme je ne savais pas à l'avance où j'allais mettre les pieds, me retrouver sur un autre territoire en moins de temps qu'il ne faut pour le dire m'a plutôt plu. L'ambiance était chouette, les couleurs éclatantes de tous ces objets et vêtements suffisaient à compenser la pesanteur des images religieuses qui fleurissaient un peu partout.

Après quoi j'ai décidé d'aller à Beverly Hills. Pourquoi pas après tout ? Non que je sois très attirée par les maisons de star, mais ça a l'air d'être un coin étrange et différent. Deux bonnes raisons, donc.

Un métro m'a mené à la place sur laquelle je devais prendre le bus 720. Ce chiffre m'est resté coincé dans la tête pendant deux heures et demie. 720, 720… non je ne vois pas. Je regarde sur la carte affichée au mur, et pourtant je crois savoir lire une carte, mais celle-ci était à s'arracher les cheveux. Je voyais bien le bus 720, mais impossible de deviner où il s'arrêtait. Alors je vais voir le Shériff (ça, j'adore) et je lui demande. « 720, 720… » Il ne sait pas, il va voir la carte, il ne comprend pas la carte, il me donne une indication (il a un gros ventre, un fort menton, des yeux bleus et un rire gras : il est tellement shériff comme devraient l'être tous les shériff que je lui aurais fait un bisou pour si peu) : l'indication est fausse. Quelqu'un m'arrête pour me draguer à base de « ouah les cheveux rouges ! Trop cool ! » je lui demande le bus 720. « 720, 720… » oui, il sait, « tu montes jusqu'à Grand Street, tu prends à droite et c'est là, sur Wilshire ». Je monte, je prends à droite, pas de Wilshire. Je croise une bande de jeunes qui chantent des cantiques derrière une affiche représentant Barack Obama avec la moustache d'Hitler, je n'ai pas le temps de leur cracher dessus, et de toute façon je suis trop énervée pour être cynique, j'arrête une petite bourgeoise (sûrement du coin, on est dans le quartier des affaires). « Wilshire ? C'est de l'autre côté ! » De l'autre côté, rien. J'arrête deux hommes en costard « c'est une impasse, Wilshire, tu ne peux la voir que de l'autre côté de la rue ». de l'autre côté de la rue : Wilshire. Pas de 720. Homme en costard : « 720 ? Attends je regarde sur mon Iphone… C'est sur la 7ème et Hope ». « Hope », ça veut dire espoir. On va dire que c'est bon présage. 7Ème et Hope, pas de 720. Une femme est là avec un sticker « ask me » (demandez-moi) alors je demande. « 720 ? C'est sur Wilshire, non ? ». Ben oui, peut-être, on m'a dit ça aussi mais Wilshire c'est aussi long que Los Angeles. « Attends je demande ». Elle sort son micro « 720 ? Sur Wilshire et Flower ? Ok » Ok, Wilshire et Flower, après Hope, ça fait trop hippie tout ça pour un quartier d'affaires. Je repasse devant les chanteurs de cantiques qui chantent toujours et ont l'air de huit crétins coincés dans un monde de série télé des années 50 « Honey I’m Hoooome », du coup ça me redonne un peu le sens de l'humour. Wilshire et Flower : pas de 720. Homme en costard : « je ne sais pas ». Autre homme en costard « prochain carrefour ». Pas de 720. Homme en costard : prochain carrefour ». Pas de 720. Un noir à vélo vient me voir : « 720 ? Deux carrefours plus haut ». Pas de 720. Tiens, un mexicain. J'ai dû quitter le quartier des affaires. Ça ressemble à rien ici. Un mexicain : « je ne sais pas ». Un clodo : « prochain carrefour ». Pas de 720. Un autre clodo : « je ne sais pas ». Un vieil homme « quoi ?! Quoi ?! 720 ? Je ne sais pas ». Un mexicain : « prochain carrefour ». Pas de 720. Une femme enceinte « no hablo inglés ». Un mexicain : « 720 ? Ah, tu vois le bus qui s'appelle 20 et qui s'arrête là ? ». Oui, j'en ai vu passer au moins deux cents depuis que je cherche. « Eh bien il fait exactement la même route que le 720, seulement il s'arrête plus souvent ».


C'EST UNE BLAGUE ?!!!




Bref, je suis arrivée à Beverly Hills beaucoup, beaucoup plus tard que prévu, et je n'avais vraiment pas envie de reprendre le bus après ça pour aller sur la plage comme prévu. Si je dois chercher un bus encore une fois je m'arrête en chemin pour acheter un flingue (j'ai vu des magasins qui en vendaient un peu partout le long de ma route) et je tire dans le tas. Californian way.

Et puis bon, c'est riche, hein, Beverly Hills, mais j'y fais quoi maintenant ? Y'a quoi à voir ?

Un homme avec une veste rouge et un chapeau haut-de-forme me hurle dans les oreilles « Hey ! D'où viens-tu, miss ? » -De France- « Bonnjur, commenn talé vu ? » Très bien, merci. Puis en américain à nouveau «Si tu as des questions, pose, je suis payé par la ville pour ça. Tu veux faire une visite ? $45 en bus, tu verras la maison des stars, l'ancienne maison de Brad Pitt et Jennifer Aniston et tutti quanti » Non merci. Et là il s'arrête de parler. Il me regarde trois secondes, c'est de toute la journée le plus long moment de silence auquel j'aurai eu droit avec lui et me dit « pourquoi est-ce que les français ne veulent jamais faire la visite ? » J'essayais de ne pas être snob (« parce que les français ne sont pas des groupies sans cervelles ») et ai simplement répondu vaguement : « on est peut-être plus pauvre que les autres ». Il m'a dit « Pourtant vous avez la sécurité sociale et l'université gratuite ». Que répondre à ça ? J'ai fait mon plus beau sourire et sans le savoir je me suis mis le vieil homme dans la poche. Il m'a dit « écoute, il y a Rod Stewart qui mange au resto dans la rue d'à côté avec sa copine, si tu veux on va le voir, je le connais, et ensuite je te fais faire un petit tour de la ville. Tu as prévu de faire quoi après ? » Je lui réponds, un peu dépassée par son flot de parole, il faut imaginer qu'il s'arrête toutes les trente secondes pour dire bonjour à des touristes, chaque fois dans la langue qui leur est dû : « je pensais aller à la plage mais… » « eh bien très bien, j'habite à Santa Monica, là où ils ont tourné la première saison d'Alerte à Malibu avant d'aller tourner à Malibu, si tu veux je t'amène en voiture, on s'arrête chez moi trois minutes pour que je me change, et ensuite on y va. Après ça je t'indiquerai quel bus prendre pour rentrer ». Ça, ça pourrait être une scène d'un livre « dont vous êtes le héros ». Choisissez votre réponse et lancez vos dés. Si c'est 6, il s'agit d'un sale pervers tueurs violeurs d'enfants, de jeunes filles et d'éléphants (je m'emporte), si c'est 1, c'est un milliardaire qui vous offrira une villa sur le bord de la mer juste pour vos beaux yeux, si c'est 2, 3, 4 ou 5, il fera juste ce qu'il vous dit qu'il fera, assurant en fonction de votre score une plus ou moins bonne journée. Ou alors répondez « non merci » et ne lancez pas les dés.

Mais on ne fait pas de l'auto-stop sans être joueur, et on ne fait pas un voyage seule sans être attentive, donc j'ai dit « oui », en attendant de voir. On a fait le tour du centre de Beverly Hills. J'ai réalisé alors que mon compagnon était une star… à sa manière. Bon, il est timbré à sa manière, aussi : depuis onze ans qu'il bosse à L.A. dans le quartier des stars, il semble que sa réalité se soit confronté à celle divergente du monde des fans et des groupies. Il est resté coincé dedans, mais il en a vu tous les paysages. Il sait parler 20 langues couramment, et sait dire bonjour dans 100, ce qui lui a valu ce poste de « concierge de la ville ». Il est plus couramment appelé « l'Ambassadeur de Beverly Hills » comme j'ai pu réaliser quand un bus de touriste est passé avec son micro en disant « et à votre droite vous pouvez voir, dans son costume rouge, le célèbre Ambassadeur de Beverly Hills » (Je vous le présente : http://greggdonovan.net/). L'ambassadeur donc, m'a mené dans l'hôtel de luxe où a été tourné Pretty Woman « Ils n'acceptent pas normalement qu'on prenne des photo, mais comme tu es avec moi, tu peux. ». Il a donc pris une photo de moi dans le hall d'entrée, m'a raconté une histoire croustillante sur Julia Roberts plantant la Ferrari (je crois) qu'elle conduit dans le film en plein dans la façade de l'hôtel. Elle n'était pas encore assez connue à l'époque pour que cela passe sans l'énervement et le cynisme du reste de l'équipe. Mais comme dit Gregg (l'ambassadeur), aujourd'hui elle peut planter autant de voitures qu'elle veut. Nous passons en trombe devant Rod Stewart. Je pense que l'ambassadeur allait vite pour ne pas avoir à réaliser qu'il ne connaissait pas plus Rod Stewart que Rod Stewart ne le connaissait : de vue, de nom, de réputation. Gregg passe en disant « Bonjour Rod ». Ledit « Rod » se retourne, sourit vaguement. Il était exactement comme j'imaginais qu'il serait. Gregg poursuit sans s'arrêter de marcher « je te présente Marie, elle est française ». Rod me fait un signe de la main. Cela aura été l'histoire passionnante de ma rencontre avec un rockeur dont je n'ai jamais écouté un album, amen.

Et hop la visite continue à la vitesse de l'éclair, pendant que mon compagnon me raconte toutes les stars qu'il a rencontré « Ma préféré c'est Yoko Ono. J'ai une photo avec mon bras autour de ses épaules, mais elle ne veut pas que je la mette sur mon blog ». C'est joli Beverly Hills. Plus chaleureux que je ne pensais. Il continue à dire bonjour à tout ce qui passe. Au bout d'un moment, sans demander leur origine, il balance quelque chose dans une langue inconnue à trois jeunes filles, ce à quoi elles répondent dans la même langue avec un grand sourire étonné. Il me dit « c'est de l'hébreu. Tu sais comment j'ai deviné ? » Non, vraiment pas. « Elles ont des jupes en-dessous du genou, les jeunes filles ne portent plus de jupes en-dessous du genou aujourd'hui, à part les juives très pratiquante ». Ah bon… Je passais à ce moment devant une affiche de la ville où l'on voyait Gregg, bras ouverts dans son costume rouge, offrir la bienvenue aux touristes. Visite terminée : nous sommes arrivés dans un parking : « devine laquelle est ma voiture » Je vous laisse deviner : j'avais le choix entre plusieurs voitures quelconques « GMC » (la marque la plus appréciée aux States), une Renault (qu'est-ce qu'elle foutait là, elle ?), une Chevrolet verte, une Jaguar grise et une Mercedes rouge. Roulement de tambour… C'est votre dernier mot ? Eh bien oui, c'était la Mercedes rouge ! C'est qu'un concierge aussi fier et aussi bienheureux, surtout s'il pose cette question, doit avoir une belle voiture, pas une GMC ou une Chevrolet (oui la Chevy est une marque banale aux states). Mais la jaguar, pour être une belle voiture, était magnifique et discrète, d'un gris lustré. Non, les vrais riches achètent des voitures grises, ils n'ont rien à prouver. Les pas-assez-riches qui voudraient avoir l'air de l'être les achètent rouges (ou noires), car c'est l'image de la richesse selon la télévision.

Quoiqu'il en soit j'avais pu vérifier tout d'abord qu'il était vraiment payé par la ville, mais aussi que malgré son grain certain, la plupart des employés des hôtels et restaurants le couvaient du regard comme un gentil timbré qu'il est. Il me faisait beaucoup penser à « Pompédup », que tous les Toulousains connaissent : il est le fou le plus célèbre de la ville, qui chante du James Brown à tue-tête et à qui rien ne fait plus plaisir que de s'entendre répondre « Pompédup » par des passants amusés. Il a aussi la manie de faire des High Five aux inconnus quand il est très content, et il l'est toujours.

Je rentre donc dans la Mercedes -heureuse comme tout de ne pas avoir à trouver le bus jusqu'à la plage-, on discute tout le long du trajet qui s'est avéré très long (j'ai dû dire quelque chose déjà sur Los Angeles étant effroyablement grande). Il continue à parler de star. Il a une énorme culture, mais en même temps je sens bien que la seule chose qui importe c'est que lui-même soit une star : « je suis le concierge le plus célèbre du monde, tu vois ! Pense un peu à ça… ». Il me racontait comment Robbie Williams avait été jaloux parce que Gregg prenait une photo avec des filles plus belles que les siennes, et comment Pénélope Cruz était allé le voir en disant « mais je sais qui vous êtes ! » alors que deux jeunes filles les avaient rejoint et, ne reconnaissant pas Pénélope Cruz, l'avaient reconnu, lui. Puis on a parlé tabac. « Tu vois les cigares que je fume ? Avec le bout en bois ? Tu sais qui fume ces cigares ? Elvis Presley, Kennedy et moi. » La formule m'est resté dans la tête tout le reste de l'après-midi. On est arrivé chez lui. Ça c'est le moment difficile, après tout est plus simple. J'ai demandé à rester dehors pendant qu'il allait se changer dans sa mignonne petite maisonnette. Il n'a pas insisté, c'était un bon point. Après ça nous n'avons jamais quitté des rues où des plages fréquentées (quoique peu).

Santa Monica n'est pas une belle plage. Le soleil couchant et l'absence de touristes la rendaient un peu bucolique, mais c'était tout. Pour le reste ça sentait ce que j'appelle -seulement les jours où je suis méchante- le touriste « rôti de porc » : à savoir des touristes blanc et rose dont les maillots sont réduits à l'état de ficelle trop petites (parce que le régime « perdez 25kg en 8h » du magasine de ce printemps n'a pas fonctionné) et qui s'aplatissent au soleil en espérant que ça donne de l'appétit à une âme charitable, de préférence David Hasselhof, de préférence jeune. Bref, il n'y avait rien de tout cela mais tout était réuni pour qu'aux premiers jours de grosses chaleurs les-dits touristes viennent s'agglutiner sagement. Mais au bout il y a le quai où Tom Hanks court dans Forrest Gump, alors ça vaudrait presque le coup.

Gregg, mine d'information, continuait à me faire la visite en ramenant autant que faire se peut toutes ses anecdotes à sa propre personne. Je pouvais voir qu'il n'était vraiment pas dangereux, et même pas si fou que ça d'après les critères de la ville. Mais il était terriblement seul. Un vieil homme seul, qui a joué dans une centaine de films (la plupart du temps son propre rôle, la plupart du temps quelques secondes, la plupart du temps dans de mauvais films tels que « Crocodile Dundee à Los Angeles », « entre chiens et chats » ou « le flic de Beverly Hills »), célèbre sans l'être, cultivé sans l'être, fou sans l'être et même, c'est la le fin mot : triste sans l'être.

Il racontait donc. « J'ai été concierge ici, puis là, c'est surtout ma faculté avec les langues qui m'a permis tout ça. Et puis j'ai été embauché par la mairie de Beverly Hills pour accueillir les touristes. Je suis payé pour parler eux gens et aux stars. C'est formidable comme métier. Et je suis le seul au monde à faire ce métier ». Et il montrait des photos de lui avec Cameron Diaz, et puis David Carradine (« avant qu'il meure. C'est vraiment trop humiliant la façon dont il est mort ». Je vous laisse chercher…), et une autre avec Arnold Schwarzanegger : « il est sympa. J'ai voté pour lui. Mais il n'est plus gouverneur depuis hier. Là il était venu me féliciter pour la façon dont je représentais Beverly Hills ». Je l'attends à l'arrière du bar, désert ou presque, pendant qu'il va commander les boissons en me laissant volontairement avec quelques prospectus et photos où il apparaît, toujours avec sa sacrée veste rouge et son chapeau haut-de-forme. Il est revenu avec un pichet de bière et un pichet de vin blanc.

L'alerte était lancé. Pourquoi faut-il que tous les hommes avec qui je discute veuillent me rendre ivre ? Alors j'ai enclenché le mode « retrait en douceur » que je n'aurai jamais autant utilisé qu'en Californie. Je me sers un verre, je lui dit que c'est le dernier, tout en sachant que ça ne le sera pas. Il dit oui, je bois mon verre. Je lui dis que je dois y aller, il veut me resservir de force. Je refuse, mais ce genre de refus a tendance à rendre les hommes seuls tristes (c'est-à-dire impuissants), donc j'accepte. Je me sers un petit verre, il est content de cette petite victoire, je finis mon verre, lui dis que je dois y aller, et je m'y tiens. Il a eu sa victoire, et il sait qu'il ne pourra pas gagner à tous les coups. Là en général en fonction de la fierté de l'homme en question ça retombe en enfance, tape du pied et boude (ou presque, mais avec Gregg c'était quasiment le cas), c'est le moment facile : le moment où tu te lèves, tu prends malgré tes 23 ans la voix de berceuse la plus maternelle possible et tu lui dis « voyons, je t'avais dit que je devrais y aller, non ? On a passé la moitié de l'après-midi ensemble, c'était très bien, maintenant je dois prendre mon bus ».

Il m'a indiqué l'arrêt de bus en ne sachant pas s'il devait bouder ou pas, et a finalement ôté son air d'enfant pour en revenir à ce qu'il faisait le mieux : il m'a dit au revoir en français, m'a fait la bise, ma dit quelque chose sur lui-même et Facebook, et m'a regardé partir.

Seul il ne semblait plus maintenant qu'un pauvre homme triste avec deux pichets d'alcool dans la cours arrière d'un bar de poivrots. C'est en attrapant le bus que j'ai réalisé que j'aurais dû lui demander une photo de lui. Ça lui aurait plu, pour sûr ! Et puis il n'est rien moins que le concierge le plus célèbre du monde !


Pensez un peu à ça.


Je vous passe les détails que vous connaissez maintenant parfaitement sur la galère que cela a été de rentrer jusqu'à chez moi (malgré le fait que les indications de Gregg aient été parfaitement justes). Mais je suis arrivée sur Hollywood Boulevard relativement tôt. J'avais aussi inscrit sur ma liste de la journée d'aller voir le panneau Hollywood de plus près, mais l'idée d'aller à la chasse au bus encore une fois me donnait la nausée. J'avais fait assez d'heure de route comme cela : chaque déplacement d'un endroit à l'autre, c'est au minimum 1h30 de transports. J'ai donc décidé de trouver quelque chose à faire sur Hollywood Boulevard. Je suis passée devant le Chinese Theater, où l'on fait depuis quelques années la remise des oscars. Le film qui y passait semblait assez mauvais (Nicolas Cage est en pleine crise du « père » : divin, spirituel, de famille) qui lui fait choisir des films de mauvais goût, et à la morale douteuse. Mais la place n'était pas très chère. Je suis entrée dans ce magnifique cinéma de carton-pâte comme je les aime, très grand, où j'étais quasiment seule. Le film était aussi mauvais qu'il promettait de l'être. Avec une mention spéciale pour la morale « vous savez les femmes qu'on traitait de sorcières et qu'on pendait à une époque ? Ben on a bien fait, c'était vraiment des sorcières. D'ailleurs toutes les femmes du film sont des sorcières et les héros, ben ce sont les croisés, parce que c'est bien connu les croisés c'était les gentils et tous les autres c'étaient les ennemis de Dieu ». Au passage, je remarque que ça fait le deuxième film en deux ans que je vois et dont le thème est « toutes les femmes sont des sorcières (je parle de Antichrist de lars Von Trier et de Season of the Witch) et ça commence à m'inquiéter sérieusement quant à la mentalité grandissante des réalisateurs (j'irai me consoler en allant voir le dernier le film de Sophia Coppola avec mon papa, parce que c'est l'histoire d'une jeune fille en vadrouille avec son père, apparemment).


Ceci dit j’‘aurai donc vu la salle des oscars, et aujourd'hui je repars vers San Francisco, que j'ai appris à aimer pendant ces deux semaines. Demain mon avion m'attend pour la France, j'aurai je pense un pincement au décollage, après 4 mois et demi aux Etats-Unis, mais comme on se dit toujours « j'y retournerai ». Puisqu'il faut bien finir une histoire en beauté, je laisse mes derniers mots imiter les scénario que j'ai appris à écrire au cours de mon voyage :


« The End ».




lundi 10 janvier 2011

10 janvier 2011 : San Francisco vol.9

Ai dompté le Golden Gate Bridge. Stop.

Bon, j'ai triché. Arrivé dans les méandres du parc j'avais peur de ne pas arriver au pont avant la nuit. J'ai donc, après maintes recherches (en réalité : un coup de chance) trouvé une ligne de bus qui y menait. Arrivée là-bas, la brume confondait le pont rouge (quelqu'un me souffle à l'oreillette qu'il est orange), orange, le pont orange, donc, avec le ciel. J'ai alors décidé, pour l'avoir fait, de traverser le pont dans un sens et dans l'autre, de rentrer dans la brume épaisse de ce pont et -peut-être- de me retrouver magiquement à Sausalito, pour la blague. Ma géographie s'est avérée lacunaire car il faut encore longer la côte quelques kilomètres pour mettre un pied dans Sausalito. Mais la longue traversée m'a rendue ivre de marche. Commencer à marcher c'est libérer ses pensées. Comme une caméra mes pensées se forment dans mon esprit : tant que la caméra tourne, il y a des choses à voir, quand elle s'arrête, tout s'arrête de la même façon. C'est pourquoi dans la journée j'ai marché quelques vingts kilomètres sans m'arrêter même une seconde. J'ai longé la côte, donc, tout ce temps, consciencieusement. Ma chance étant que la côte à cet endroit-là est entièrement occupée de parcs, de plages et de rochers, qui en ces jours de brouillard froid étaient quasiment déserts.
La nuit tombait au fur et à mesure, tout doucement, et le pont que le brouillard avait fini par engloutir presque totalement, luttait de tout le reste de son énorme structure contre l'obscurité grandissante. Je m'éloignais sans pitié, doucement. Je passais dans des forêts, sur des chemins de boue, sur le sable, sur les cailloux, dans l'eau, et je ne m'arrêtais pas une seconde. Je créais la vie que je n'ai pas tout en vivant le meilleur de celle que j'ai. Le ciel prenait des teintes roses et diffuses d'un horizon à l'autre. Des pêcheurs amoureux lançaient leurs fils dans l'eau de mer, derrière eux le pont imposant suffoquait toujours : ils ne le regardaient pas. Plus loin, beaucoup plus loin, des surfeurs se confrontaient aux vagues paisibles, maladroitement. Quand la vue de la plage ou du récif était dégagée, j'entendais le grondement des millions de grain de sable projetés par les vagues, ça faisait un tonnerre formidable auquel le phare, quelque part, répondait par une sirène grave et paisible, régulière.



Les ombres avaient maintenant englouti eaux et forêt. Je n'avançais plus que parce que mon chemin de terre blanche me renvoyait une très légère ombre blanche qui me guidait à travers les arbres. C'est un autre paysage que je découvrais alors : l'eau dont les vagues blanches étaient rendues fluorescentes par quelques rayons de lumière perdus, tout plus grand, plus mystérieux, plus chaleureux malgré le froid grandissant, car me voilà dans l'intimité de cette nature toujours changeante. J'étais seule encore, je suis passée d'un parc à l'autre, le décor changeant violemment pour ce qui était presque un décor de montagne. J'étais devenue autiste de tant de pensée, mais je savais qu'au bout, dans peu de temps maintenant, il y aurait les lumières, et que là je prendrai le bus, et que je rentrerai dans l'auberge où je discuterai comme si j'étais un être humain, alors que je n'en étais plus sûre, j'étais ce paysage, le bruit de l'eau était dans ma tête, les branches se tordaient au bout de mes bras pour s'abaisser jusqu'à la terre, mes pieds que je ne distinguais presque plus devaient être cette terre elle-même, et je n'avançais alors qu'à l'intérieur de moi-même.



Du fin fond de l'obscurité je me suis retournée : David venait de vaincre Goliath. Le brouillard et les ombres avaient libéré le pont, qui avait allumé ses lumières, ses lampadaires et ses phares, et fanfaronnait de ses couleurs dans le lointain, oubliant sans mal l'humiliation à laquelle je l'avais laissé.



Quelques temps plus tard, je suis sortie du parc, et plus tard encore suis parvenue à l'arrêt de bus où mécaniquement je me suis assise. Et dans un tremblement gigantesque de ma personne chaque aspect de moi-même, qui n'avait cessé de flotter autour de mon corps dans la plus grande liberté, m'a pénétré de nouveau.



J'ai rejoint l'auberge qui palpitait du battement des samedis soirs.




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