lundi 10 janvier 2011

10 janvier 2011 : San Francisco vol.9

Ai dompté le Golden Gate Bridge. Stop.

Bon, j'ai triché. Arrivé dans les méandres du parc j'avais peur de ne pas arriver au pont avant la nuit. J'ai donc, après maintes recherches (en réalité : un coup de chance) trouvé une ligne de bus qui y menait. Arrivée là-bas, la brume confondait le pont rouge (quelqu'un me souffle à l'oreillette qu'il est orange), orange, le pont orange, donc, avec le ciel. J'ai alors décidé, pour l'avoir fait, de traverser le pont dans un sens et dans l'autre, de rentrer dans la brume épaisse de ce pont et -peut-être- de me retrouver magiquement à Sausalito, pour la blague. Ma géographie s'est avérée lacunaire car il faut encore longer la côte quelques kilomètres pour mettre un pied dans Sausalito. Mais la longue traversée m'a rendue ivre de marche. Commencer à marcher c'est libérer ses pensées. Comme une caméra mes pensées se forment dans mon esprit : tant que la caméra tourne, il y a des choses à voir, quand elle s'arrête, tout s'arrête de la même façon. C'est pourquoi dans la journée j'ai marché quelques vingts kilomètres sans m'arrêter même une seconde. J'ai longé la côte, donc, tout ce temps, consciencieusement. Ma chance étant que la côte à cet endroit-là est entièrement occupée de parcs, de plages et de rochers, qui en ces jours de brouillard froid étaient quasiment déserts.
La nuit tombait au fur et à mesure, tout doucement, et le pont que le brouillard avait fini par engloutir presque totalement, luttait de tout le reste de son énorme structure contre l'obscurité grandissante. Je m'éloignais sans pitié, doucement. Je passais dans des forêts, sur des chemins de boue, sur le sable, sur les cailloux, dans l'eau, et je ne m'arrêtais pas une seconde. Je créais la vie que je n'ai pas tout en vivant le meilleur de celle que j'ai. Le ciel prenait des teintes roses et diffuses d'un horizon à l'autre. Des pêcheurs amoureux lançaient leurs fils dans l'eau de mer, derrière eux le pont imposant suffoquait toujours : ils ne le regardaient pas. Plus loin, beaucoup plus loin, des surfeurs se confrontaient aux vagues paisibles, maladroitement. Quand la vue de la plage ou du récif était dégagée, j'entendais le grondement des millions de grain de sable projetés par les vagues, ça faisait un tonnerre formidable auquel le phare, quelque part, répondait par une sirène grave et paisible, régulière.



Les ombres avaient maintenant englouti eaux et forêt. Je n'avançais plus que parce que mon chemin de terre blanche me renvoyait une très légère ombre blanche qui me guidait à travers les arbres. C'est un autre paysage que je découvrais alors : l'eau dont les vagues blanches étaient rendues fluorescentes par quelques rayons de lumière perdus, tout plus grand, plus mystérieux, plus chaleureux malgré le froid grandissant, car me voilà dans l'intimité de cette nature toujours changeante. J'étais seule encore, je suis passée d'un parc à l'autre, le décor changeant violemment pour ce qui était presque un décor de montagne. J'étais devenue autiste de tant de pensée, mais je savais qu'au bout, dans peu de temps maintenant, il y aurait les lumières, et que là je prendrai le bus, et que je rentrerai dans l'auberge où je discuterai comme si j'étais un être humain, alors que je n'en étais plus sûre, j'étais ce paysage, le bruit de l'eau était dans ma tête, les branches se tordaient au bout de mes bras pour s'abaisser jusqu'à la terre, mes pieds que je ne distinguais presque plus devaient être cette terre elle-même, et je n'avançais alors qu'à l'intérieur de moi-même.



Du fin fond de l'obscurité je me suis retournée : David venait de vaincre Goliath. Le brouillard et les ombres avaient libéré le pont, qui avait allumé ses lumières, ses lampadaires et ses phares, et fanfaronnait de ses couleurs dans le lointain, oubliant sans mal l'humiliation à laquelle je l'avais laissé.



Quelques temps plus tard, je suis sortie du parc, et plus tard encore suis parvenue à l'arrêt de bus où mécaniquement je me suis assise. Et dans un tremblement gigantesque de ma personne chaque aspect de moi-même, qui n'avait cessé de flotter autour de mon corps dans la plus grande liberté, m'a pénétré de nouveau.



J'ai rejoint l'auberge qui palpitait du battement des samedis soirs.




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