mardi 4 janvier 2011

4 janvier (j'en reviens aux vraies dates) 2011 : San Francisco vol.5

Le petit conte de “Marie est entrée au Musée Mécanique” (plus connu sous le nom de “conte des trois M).
"J'avais un an en 1988. Est sorti un film sympathique, tout sauf phénoménal, où un tout jeune Tom Hanks faisait ses pas de jeune naïf (qui aboutiront un jour à Forrest Gump) : je parle de Big. Un petit film donc.
J'avais peut-être 7 ans quand je l'ai vu à la télévision. Parce que j'avais l'âge parfait pour ce film, il m'a plu. Moi aussi j'avais envie d'être grande. Et de danser sur des pianos musicaux. Mais pour cela il fallait que je me retrouve dans une foire, où aurait dû se trouver un vieux magicien en bois, laquelle machinerie m'aurait offert un voeu pour quelques cents. J'aurais demandé à être grande, et le vieil indien aurait exaucé mon vœu, que si l'on en croit le film j'aurais regretté. Mais voilà je n'allais jamais à la fête foraine, et quand j'en traversais une par hasard, je n'y trouvais que des jeux vidéos et des griffes de métal : le vieux magicien en bois enturbanné avait bel et bien disparu.


J'avais 22 ans bien tassés quand je suis venue à New York. J'ai alors lu sur mon guide que là, justement, à F.A.O. Schwartz, magasin de jouet, on pouvait trouver le piano de Big, et même danser dessus comme dans le film ! Occasion à ne pas manquer, je me suis exécutée. Ce qui a éveillé en moi l'envie de revoir ce film depuis longtemps oublié.
J'avais 23 ans tout juste lorsque je l'ai revu dans mon appartement de Brooklyn, et j'ai constaté qu'il avait vieilli, ce qui ma fois est logique puisqu'au fond c'était son souhait, qu'il l'ait regretté ou non. Et j'ai de nouveau rêvé de ce magicien enturbanné. Jeune j'en rêvais pour grandir, grande j'en rêvais pour revenir au temps j'en rêvais pour grandir. Simple comme bonjour ! Mais voilà les fêtes foraines étaient passées à l'Imax et je n'avais jamais été aussi loin de rencontrer le magicien.


Il y a trois jours, à San Francisco, je me baladais sur les quais et une étrange musique de vieille fête foraine a attiré mon attention. Je me suis retournée, et là, je me suis trouvée nez-à-nez avec le vieux magicien, en bois toujours avec sa barbichette et ses promesses d'avenir… si l'on peut dire. L'année allait sonner sa fin dans les deux heures, et il était là. Au-dessus de lui, un jeune homme fermait de grandes portes sur lesquelles était inscrit "Musée Mécanique de San Francisco”. The End"
Aujourd'hui donc j'y suis retournée, et sur le chemin j'ai croisé un vieil homme en costume en tweed, propre sur lui et très digne, qui tenait à la main un long fil. Son regard remontait souvent le long de ce fil avec précaution et émerveillement. J'ai suivi son regard et ai trouvé au bout du fil, un cerf-volant. Tout bleu, avec des grands yeux bêtes dessinés par dessus. L'homme a continué sa marche le long du quai avec une joie toute simple, m'abandonnant à mon propre sourire béat. Je n'ai pas même cherché à dissimuler le plaisir que j'avais à voir ce grand-père avec un cerf-volant. Je l'ai suivi du regard longtemps, avant de reprendre mon chemin. Mais au fond ce que je venais de voir était un prélude de ce que j'allais voir.


Dans le musée mécanique, se trouvent des centaines de machines à pièce en bois, d'époque. pour 25 cents on peut se faire lire son avenir par des automates, faire jouer un piano mécanique, faire une course de cheval, tester sa force ou regarder de petits films tels qu'ils étaient avant que les frères lumières n'aient l'idée de créer le cinéma tel que nous le connaissons aujourd'hui. Fait amusant, on peut y trouver un série de Zoetropes, dont Francis Ford Coppola est passionné et fait la collection. Son restaurant s'appelle “Zoetrope”, et ses menus sont décorés d'images de ces petites machines d'animation à l'ancienne. Bref, un bric-à-brac de machins bêtes et drôles, et surtout très vieux. A 11ans, le propriétaire de ces mécanismes a gagné un prix de valeur, qu'il a échangé contre une de ces machines. Cela a peu à peu fait de lui un collectionneur. Aujourd'hui il en a de fabuleuses, et écrit qu'il a toujours aimé lorsqu'il suffit de mettre une pièce pour qu'il se passe quelque chose. Alors le musée est gratuit. De sorte que tout ce qu'on a à faire, c'est de mettre des pièces dans tout ce qu'on peut, puisque de toute façon chaque machine ne coûte que 25 cents. Mais ma première rencontre a été avec un automate géant surnommée “Fat Lady” (“Grosse Dame”, officiellement “Laughing Lady”). Elle est énorme, elle a un grosse poitrine, des joues rouges et une dent en moins. Je la regardais un peu étonnée lorsqu'un homme est venu me voir. Il riait déjà. Il m'a dit “je la connais, elle ! Quand j'étais tout gamin elle était au-dessus des attractions du Parc ! Il a fermé maintenant. Mais on jouait et au-dessus elle était toujours là, à se tordre de rire. Elle fait que ça ! Attends, il faut que je te montre.”. Je n'ai pas eu le temps de dire quoi que ce soit qu'il avait déjà mis une pièce, et la grosse dame s'est mis à rire en se tordant d'avant en arrière, d'un rire au son parfaitement naturel et surtout très communicatif de grosse dame. Mais elle était si grosse et laide ! Et elle riait, elle riait, et l'homme à côté de moi riait aussi, et puis moi aussi parce qu'elle ne s'arrêtait pas, et une femme qui venait d'entrer aussi parce qu'elle n'avait trouvé dans la salle que trois idiots dont une automate riant sans pouvoir s'arrêter. Toujours riant j'ai continué mes vadrouilles, regardé quelques zoetropes, quelques automates, utilisé mes pièces dans des pianos, et des vieilles machines, et des jeux idiots. Et puis pour finir ma balade dans ce passé de jeu et d'enfantillage, je me suis fait lire les lignes de la main par une machine automatique. laquelle m'a beaucoup fait rire : si l'on presse la main sur le tableau gelé en métal, en faisant glisser une pièce, des dizaines de petits pistons de métal en sortent et rentrent doucement, donnant l'impression de palper savamment la paume de celui qui s'y risque. A la fin de cette petite manœuvre, un petit bout de carton sort de la machine. Je m'attendais à une petite phrase mystérieuse comme on en trouve dans les cookies chinois, mais au lieu de cela je me suis vu offrir un texte extrêmement précis, pour ne pas dire ridiculement précis, qui valait bien mes 25 cents : “votre main indique qu'un grand changement se prépare dans votre vie avant la fin de l'année. Le plus tard ce changement sera remis, le plus profitable il sera. Votre chance ne va cesser d'augmenter. Un grand succès sera permis par un ami, aussi essayez d'être apprécié par tous. Votre bonheur ne dépendra pas seulement de votre argent. Pour avoir un porte-bonheur de poche, gardez la plus vieilles pièce que vous avez jusqu'à votre prochain anniversaire. Faites-la d'abord porter par votre meilleur ami pendant une journée.
Jours de chance : les samedis.
Les meilleurs jours : le 6, 10 et 21 de chaque mois sauf janvier.
N.B. Si vous voulez d'autres révélations secrètes, demandez la carte suivante.”
On ne pourra donc pas dire que la fortune a épargnée sa salive, et c'est toujours le sourire aux lèvres que je suis sortie, en passant à nouveau devant la Fat Lady, qui riait encore à gorge déployée, actionnée par une petite asiatique qui riait devant sans très bien savoir elle-même pourquoi.
Cependant, et là est le mystique de la chose, en retournant au musée cette fois-ci, le magicien au turban n'était plus présenté. Je suppose que la fortune d'un vœu ne se présente qu'une fois dans une vie…


J'ai pris le tramway. Le chauffeur s'est arrêté pour moi à un arrêt qui n'en était pas un, juste parce que je le regardais avec l'air d'avoir l'envie irrépressible de monter dedans. Il y a quelque chose de flottant dans la circulation à San Francisco. Il n'y a pas de feux pour piétons, et parfois pas de feux du tout, et alors les gens s'organisent d'eux-mêmes, sans bruit ni klaxon, le plus souvent aimablement. les bus s'arrêtent et repartent sans ordre particulier, juste parce que ici et maintenant, ça parait un bon choix. Parfois ils ouvrent leurs portes pour papoter avec le conducteur du bus d'à côté, au feu. Et ils repartent sans se presser. Cette fois-ci dans le tramway une très vieille chinoise grondait sans ménagement une autre chinoise que je supposais être sa fille, qui avait elle-même plus de 50 ans. Ça bataillait fort, dans une langue déjà puissante, et j'ai réalisé à ce moment-là que nous étions très peu comme moi dans le bus à ne pas savoir ce qui se racontait : tous ici étaient chinois. Il y a une proportion gigantesque de chinois à San Francisco. Ils ont eux-mêmes aidé à construire la ville, et fidèles à leurs traditions n'ont pas généré beaucoup de mixité, mais quasiment toutes les publicités de la ville sont en anglais et en chinois. J'étais en minorité, donc, ce qui m'a paru une raison suffisante pour descendre avec eux et me retrouver dans Chinatown. Des montagnes d'objets kitschissimes m'y attendaient, pourtant  de qualité remarquable par rapport à l'ensemble des objets chinois qu'on peut trouver en Europe ou dans le Chinatown New-Yorkais. Mais tant de couleurs, de théières et de bouddhas entassés, c'est trop pour moi. Je suis entrée dans un temple, ironiquement placé dans un immeuble étroit à l'américaine, au dernier étage, seul de tous les étages qui ait été aménagé à la chinoise, donnant à l'immeuble, à l'instar de tous ceux de la rue, une drôle de silhouette métissée. Là, donc, des centaines de lampions au plafond, quatre vieilles chinoises rabougries travaillant en m'ignorant royalement, et une décoration magnifique tout de rouge et d'encens. Des oranges étaient posées ici et là à travers la pièce. Les cierges que l'ont trouve dans les Eglises catholique, que l'on ne peut allumer qu'en faisant une donation, étaient ici remplacées par de l'encens. Je ne suis pas restée longtemps : ce lieu était un lieu de culte, je m'y sentais étrangère et bourrue, déplacée magiquement d'un décor à un autre, sans que j'ai quelque droit que ce soit à cela. D'ailleurs les quatre femmes riaient de plus belle, et ça, et les oranges, et les lampions, et l'encens, et les lettres chinoises, ça ne faisait aucun sens dans mon esprit, comme un enfant qui ne sait pas lire et regarde les lettres avec curiosité, espérant y voir magiquement ce qu'on est censé en faire.


Quelques boutiques plus tard, lesquelles m'avaient mené bien loin de Chinatown, je me suis posée à l'arrêt de bus, où le mien était annoncé pour dans 25 minutes. Un petit homme d'une cinquantaine d'années s'est assis un peu plus loin, a fait une remarque sur l'heure, je lui ai répondu en souriant. Je savais qu'il allait parler. il était de toute évidence de ces fous innocents, intarissables sur le monde parce qu'ils n'y comprennent rien, et que c'est en soit une raison suffisante d'en parler. J'en veux pour preuve cet article et tous les autres. Mais après tout puisque nous avions tous les deux 25 minutes devant nous, la folie c'est toujours une nouvelle façon de regarder la planète. On ne prend pas l'avion pour autre chose. Nous sortions tous les deux de la même boutiques de musique et films, avec tous les deux à nos pieds la même poche jaune. Il m'a demandé si j'étais française. Je portais une casquette de papi et un pull à rayure bleu marine, le tout épicé d'un accent aux couleurs latines : je n'avais pas de mal à voir comment il avait deviné. Il a alors repris “Je parle 16 langues couramment. Dont le français”. Il disait cela en anglais. “Grâce aux livre Berlitz. J'ai lu les livres Berlitz et maintenant je parle couramment”. Précautionneusement, pour ne pas le froisser mais ne pas le laisser passer avec ses douces aberrations sans les regarder de plus près, je lui ai fait remarquer que je ne pensais pas qu'on pouvait parler une langue couramment simplement en lisant un livre. Il a relevé sa casquette avec un grand sourire jusque dans ses petits yeux asiatiques et m'a lancé “moi si. J'ai une mémoire photographique”. Et après quelques secondes : “Q.I. très élevé”. Après quoi il m'a adressé une courte phrase en français. Du moins j'ai supposé qu'elle était en français à son air fier de chat qui dépose une souris morte sur le paillasson. J'ai réfléchi très vite. Il n'était pas question que je remette en doute ses talents. J'ai acquiescé avec un grand sourire. Ça a eu l'air de l'ébranler un peu : apparemment sa phrase n'était pas une question rhétorique. Bien tenté. Mais il n'était pas cavalier à abandonner son cheval. Il a eu l'air perdu quelques secondes, je lui ai alors demandé ce qu'il avait acheté. Remontant illico en selle, il a sorti 5 films de sa poche. Tous de sombres navets. Charlie et ses drôles de dames, Wanted, etc. A chaque film il me disait pourquoi il l'avait acheté : le premier parce que c'est du son surround ; le deuxième parce que c'est une qualité d'image “deluxe” ; le troisième il l'avait déjà mais ce DVD-ci avait les bonus, et ainsi de suite. J'ai alors découvert un homme fasciné par la technologie moderne. Pendant toute notre discussion, internet revenait comme un leit-motiv, ou bien c'était les téléphones portables, et si j'avais écouté ses conseils, j'aurais visité San Francisco seulement sur ordinateur. J'acquiesçais le plus souvent, parfois je débattais un peu quand le terrain ne semblait pas trop sensible. J'aimais chercher chez cet homme l'équilibre, que je sentais fragile, qui lui permettait de vivre dans son monde et d'évoluer dans le nôtre. Il disait être fiché dans plusieurs casino parce qu'il ne cesse de gagner -il compte les cartes- il me parlait des Carrousels, qui sont pour les enfants mais c'est bon aussi pour les adultes parce que les adultes produisent alors de l'endorphine, ce qui est bon pour le corps. A San Diego il y a un Carrousel où on peu attraper un anneau qui pend, et si on arrive à l'attraper, il faut le jeter dans la bouche d'un automate, et si on arrive à le mettre dans la bouche, alors on a une peluche. Mais lui il a gardé l'anneau. Il s'exprimait parfaitement normalement, mais ses pensées n'avaient pas d'égal. Je l'écoutais donc avec un intérêt non-feint, intérêt qui le rendait de plus en plus excité par ses conseils et découvertes. Il me disait aussi que son père était américain et sa mère chinoise (ce qui pouvait aisément se vérifier sur son visage) mais qu'au fond ses deux parents devaient être des “juifs chinois, si tu vois ce que je veux dire”. Je ne voyais sincèrement pas. Il m'a alors expliqué qu'il devait être juif parce qu'il avait des poils sur tout le corps, et que les chinois n'ont pas de poil. J'ai dû avoir l'air déstabilisé par son argumentation, parce qu'il s'est alors rattrapé sur le fait qu'il était juif de religion maintenant, qu'il ne l'avait pas toujours été mais que maintenant tout allait bien. Il a alors jugé que c'était le bon moment, (mais de toutes ses qualités je n'ai pas vu qu'il soit excellent juge), et m'a demandé si j'avais un petit copain. J'ai répondu oui, craignant que son enthousiasme n'en soit balayé, mais en réalité il n'en était plus là. Il m'a lancé deux-trois banalités sur à quel point mon copain avait de la chance et que je pourrais être actrice si je le souhaitais (ce qui s'avère être le compliment suprême, “parfaite” arrivant en seconde position), et a embrayé sur les restaurants où son frère et sa sœur l'amènent parfois, qui sont très chics mais où tout est dans la présentation et rien dans l'assiette. Je ne sais pas de tout ce qu'il disait ce qui était vrai et ce qui était faux. Et en réalité, le tout avait une cohérence curieuse, qui me fait penser que tout était vrai. Qu'il était peut-être un de ces génies idiots comme on en voit surtout dans les films. Qu'il avait autant de capacité à comprendre la technique qu'à rester étranger au monde, comme ces films dont il aime la le son digital ou la possibilité d'un transfert sur Iphone, mais ne tient pas compte une seconde du scénario.
Quand il est descendu du bus, nous parlions depuis moins d'une demie-heure. Il m'a serré la main en me disant “bonjour”.

Ça voulait dire “au revoir”.


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