vendredi 7 janvier 2011

7 janvier 2011 : San Francisco vol.7

A San Francisco aussi il y a un MoMA, Musée d'Art moderne. Que pour la forme on appelle SFMoMA. Je m'y suis rendue, un peu comme sans avoir le choix. L'art moderne est quelque chose dont je sais rarement quoi penser. Le plus souvent, ce sont des blagues ou des jeux : les trois tableaux blancs dans une pièce qui s'appelent “trois tableaux blancs” et l'artiste qui sur un énorme plateau de cire a enfoncé non pas sa main mais son genou comme une marque d'identité. Et en effet que je les aime ou pas la moitié des œuvres de cette exposition, quelque en soit la magie par ailleurs, est avant tout sortie de l'œuf d'un concept, et uniquement d'un concept. Je n'invente rien en disant que l'art moderne est la philosophie de l'art, mais je me demande simplement alors où est l'art ? Peut-on réfléchir sur l'art par l'art sans en avoir du brut, peut-être même beau (je sais que cela fait dresser les poils des artistes modernes), sur lequel penser ? Et quoi alors quand l'art finira par étudier ses propres formes d'études ? Mais puisque les artistes, à l'instar des philosophes, aiment à s'observer, le musée s'en fait leur reflet : une salle est dédiée au musée lui-même, non pas son architecture mais son existence, et il y est traité comme une œuvre.
Beaucoup de photos dans ce musée aussi, ce qui n'était pas pour me déplaire.
Et bientôt voici l'exposition sur l'espionnage, c'est-à-dire l'idée de prendre une photo, ou bien à l'insu des gens, ou bien contre leur gré, ou bien dans une situation de puissante intimité. Mais j'étais déjà exaspérée après être passée devant des images violentes de trois artistes différents présentant le sexe comme une activité violente de rabaissement de soi (c'est-à-dire qu'il faut absolument que la photo soit laide, et le personnage un déchet), ce qui est censé les opposer à la pornographie (et ce en quoi je préfère encore la pornographie). On pourra toujours me faire remarquer que c'est moi qui assimile ces gens à des déchets, et que c'est moi qui juge la photo laide à partir du simple fait que le sexe est représenté crûment, et qu'ainsi c'est moi qui donne à la photo cette signification dont l'artiste est innocent. Je n'argumenterai pas là-dessus avec moi même (je suis trop prompt aux arguments ad hominem). Toujours dans la même exposition je suis entrée dans la salle des paparazzi, où une petite Jackie Onassis courait pour détourner l'attention de son paparazzi le plus craint de son enfant. J'étais énervée que l'artiste ait le culot de croire que l'art peut se faire au détriment de la vie d'un individu. La qualité de la photo me fait voir qu'il n'est pas un paparazzi de bas échelle dont on peut pardonner le comportement en leur supposant une bêtise et un manque de talent flagrant (mais peut-être que je mélange un peu trop les deux) : elle est très belle, et très forte… mais voir le désespoir d'une mère qui fuit son enfant juste pour permettre à celui-ci quelques années de plus de tranquillité, je me suis dit que les valeurs politiques, sociales et révolutionnaires des artistes étaient bien loin. Et ainsi de suite dans une exposition où très vite il s'avérait que je n'avais plus envie de voir. Paradoxe imbécile : je faisais semblant de voir sans voir ce que les artistes avaient vu en faisant semblant de ne pas le voir. Je ne comprend pas pourquoi ces situations “d'espionnage” doivent toujours être synonyme de complaisance. Je suis persuadée qu'il y a des instants de vie incroyablement puissants à voler chez une personne, qu'elle n'aurait pas été prête à livrer d'elle-même tout simplement parce qu'elle n'aurait pas vu ce moment comme digne d'art. C'est pourquoi l'œuvre de Sophie Calle, dans le même objectif, ne paraît infiniment supérieure à beaucoup de celles que j'ai vu ici, par sa naïveté à découvrir l'être humain (et elle-même) sous des formes inattendues.
De belles choses quand même à d'autres étages de ce musée, particulièrement dans l'exposition Cartier-Bresson, ou bien surtout “les sœurs Brown” : une série de photo représentant quatre soeurs, chaque années, dans la même disposition, et devant lesquelles j'ai passé une demi-heure à naviguer d'avant en arrière dans leurs existence, avec la sensation qu'elles pouvaient vieillir mais aussi rajeunir, en gardant ce même pouvoir de femmes et de sœurs.
En leur honneur, donc, en sortant du musée je suis entrée à la maison des femmes, dont les fresques extérieures sont impressionnantes (mais certes pas splendide : ils ont un attrait pour les fresques dans cette ville que je ne comprends pas), colorées, et censées représenter de façon quasi-mystique (ce qui m'exaspère) la femme à tous les âges. La fresque se terminant par une énorme forme qu'on peut difficilement ne pas reconnaître comme étant un vagin, formé à partir du dessin d'un squelette de cerf et de quelques orchidées (orchis signifie testicules, et je ne pense pas être la seule pour qui le cerf et ses bois est une figure virile, quant à pourquoi il fallait qu'il soit mort…), ce qui m'a laissé un instant pantoise. Le tout m'a bientôt fait traverser Clarion Alley, petite rue sombre avec des tags sur tous les murs, tous de haute qualité (les plus mauvais étant illico recouverts). Des tags pour la plupart politiques ou contestataires, avec beaucoup d'humour ou de tristesse. Beaucoup de femmes là-aussi, beaucoup de poésie, et pour un peu en traversant totalement l'allée on peut y voir une longue histoire psychédélique où les gens les plus forts rencontrent les gens les plus faibles, et se rendent compte alors que la faiblesse n'existe pas.


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