jeudi 13 janvier 2011
mercredi 12 janvier 2011
12 janvier 2011 : Los Angeles vol.1 : FIN DU VOYAGE
Mes dernières heures à Los Angeles sont là et, par conséquent, mes dernières heures sur le territoire américain.
mardi 11 janvier 2011
lundi 10 janvier 2011
10 janvier 2011 : San Francisco vol.9
Ai dompté le Golden Gate Bridge. Stop.
Bon, j'ai triché. Arrivé dans les méandres du parc j'avais peur de ne pas arriver au pont avant la nuit. J'ai donc, après maintes recherches (en réalité : un coup de chance) trouvé une ligne de bus qui y menait. Arrivée là-bas, la brume confondait le pont rouge (quelqu'un me souffle à l'oreillette qu'il est orange), orange, le pont orange, donc, avec le ciel. J'ai alors décidé, pour l'avoir fait, de traverser le pont dans un sens et dans l'autre, de rentrer dans la brume épaisse de ce pont et -peut-être- de me retrouver magiquement à Sausalito, pour la blague. Ma géographie s'est avérée lacunaire car il faut encore longer la côte quelques kilomètres pour mettre un pied dans Sausalito. Mais la longue traversée m'a rendue ivre de marche. Commencer à marcher c'est libérer ses pensées. Comme une caméra mes pensées se forment dans mon esprit : tant que la caméra tourne, il y a des choses à voir, quand elle s'arrête, tout s'arrête de la même façon. C'est pourquoi dans la journée j'ai marché quelques vingts kilomètres sans m'arrêter même une seconde. J'ai longé la côte, donc, tout ce temps, consciencieusement. Ma chance étant que la côte à cet endroit-là est entièrement occupée de parcs, de plages et de rochers, qui en ces jours de brouillard froid étaient quasiment déserts.
La nuit tombait au fur et à mesure, tout doucement, et le pont que le brouillard avait fini par engloutir presque totalement, luttait de tout le reste de son énorme structure contre l'obscurité grandissante. Je m'éloignais sans pitié, doucement. Je passais dans des forêts, sur des chemins de boue, sur le sable, sur les cailloux, dans l'eau, et je ne m'arrêtais pas une seconde. Je créais la vie que je n'ai pas tout en vivant le meilleur de celle que j'ai. Le ciel prenait des teintes roses et diffuses d'un horizon à l'autre. Des pêcheurs amoureux lançaient leurs fils dans l'eau de mer, derrière eux le pont imposant suffoquait toujours : ils ne le regardaient pas. Plus loin, beaucoup plus loin, des surfeurs se confrontaient aux vagues paisibles, maladroitement. Quand la vue de la plage ou du récif était dégagée, j'entendais le grondement des millions de grain de sable projetés par les vagues, ça faisait un tonnerre formidable auquel le phare, quelque part, répondait par une sirène grave et paisible, régulière.
Les ombres avaient maintenant englouti eaux et forêt. Je n'avançais plus que parce que mon chemin de terre blanche me renvoyait une très légère ombre blanche qui me guidait à travers les arbres. C'est un autre paysage que je découvrais alors : l'eau dont les vagues blanches étaient rendues fluorescentes par quelques rayons de lumière perdus, tout plus grand, plus mystérieux, plus chaleureux malgré le froid grandissant, car me voilà dans l'intimité de cette nature toujours changeante. J'étais seule encore, je suis passée d'un parc à l'autre, le décor changeant violemment pour ce qui était presque un décor de montagne. J'étais devenue autiste de tant de pensée, mais je savais qu'au bout, dans peu de temps maintenant, il y aurait les lumières, et que là je prendrai le bus, et que je rentrerai dans l'auberge où je discuterai comme si j'étais un être humain, alors que je n'en étais plus sûre, j'étais ce paysage, le bruit de l'eau était dans ma tête, les branches se tordaient au bout de mes bras pour s'abaisser jusqu'à la terre, mes pieds que je ne distinguais presque plus devaient être cette terre elle-même, et je n'avançais alors qu'à l'intérieur de moi-même.
Du fin fond de l'obscurité je me suis retournée : David venait de vaincre Goliath. Le brouillard et les ombres avaient libéré le pont, qui avait allumé ses lumières, ses lampadaires et ses phares, et fanfaronnait de ses couleurs dans le lointain, oubliant sans mal l'humiliation à laquelle je l'avais laissé.
Quelques temps plus tard, je suis sortie du parc, et plus tard encore suis parvenue à l'arrêt de bus où mécaniquement je me suis assise. Et dans un tremblement gigantesque de ma personne chaque aspect de moi-même, qui n'avait cessé de flotter autour de mon corps dans la plus grande liberté, m'a pénétré de nouveau.
J'ai rejoint l'auberge qui palpitait du battement des samedis soirs.
samedi 8 janvier 2011
8 janvier 2011 : San Francisco vol.8
Hier, je suis allée à l'ex-plo-ra-to-rium ! Oui, oui ! Et c'était gratuit ce jour-là (je crois, parce que je n'ai trouvé personne à l'accueil pour payer). Je pensais y passer deux heures, et puis faire un tour dans ce parc, puis aller au Golden Gate Bridge, et avoir fini pour 17h, heure à laquelle le soleil se couche.
De fait j'y suis resté 4h et c'est comme s'il ne s'était passé que trois minutes. Il y avait des tornades miniatures, des jeux d'aimants, des trucs pour tromper le cerveau et d'autres pour tromper les yeux, d'étranges machines qui font de l'électricité, d'autres qui reproduisent des comètes de poche, des mécanismes bizarres qui transforment le son, un ordinateur avec qui tu peux avoir (presque) une vraie conversation (Daisy, elle s'appelle, mais quand elle ne sait pas quoi répondre à ce que tu lui dis elle embraye illico sur l'intelligence des ordinateurs, on pourra dire qu'elle est égocentrique avant l'heure), des jeux pour te prouver que ta culture influe sur ta perception, des jeux pour comprendre la gravité, l'énergie, des hologrammes… Le royaume des gosses ! Les plus grands font semblant de comprendre comment ça marche (c'est expliqué, mais parfois il faut s'accrocher) tandis que les petits deviennent fou de toutes ces lumières et ces fumées et ces trucs qui bougent, et dont ils sont l'instigateur ! J'aurais adoré être là avec mes neveux, parfois excités, parfois intimidés, dans tous les cas émerveillés. Mais cela fait partie de ces merveilles devant lesquelles je ne connais pas d'homme qui ne devienne pas un enfant.
Le tout dans un énorme hangar en métal. Quand il a fermé, les voix se répondaient “The Exploratorium is now closed !”, “The Exploratorium is now closed !” mais personne ne voulait partir : “attendez il y a encore l'eau qui vole à droite ! Et les ombres qui restent scotchées au mur ! Et le truc qui pend, là c'est quoi ?!” .
“The Exploratorium is now closed !” - maintenant les voix n'étaient plus celles des employés, mais de jeunes, amusés par la rengaine, qui répondaient à leur manière en jetant cette phrase de l'un à l'autre, et en se dirigeant lentement, mais alors très lentement, vers la sortie.
“The Exploratorium is now closed !” - c'était cette fois une autre bande d'adolescent qui n'aurait pas voulu s'en aller sans avoir été de la partie - et qui prenait comme par hasard la direction opposée à la sortie “oh, on ne savait pas !”.
“The Exploratorium is now closed !” - c'était quelques gamins, 6 ans peut-être, qui jugeaient qu'au fond crier à tue-tête c'était aussi drôle qu'autre chose, et qui riaient “The Exploratorium is now closed” tout en restant récalcitrant à suivre leurs parents vers la sortie.
Le soleil commençait déjà à tomber quand je me suis décidée à passer la porte, avec encore cent choses que j'aurais voulu voir sans en avoir le temps.
Un peu téméraire, je voulais longer la côte jusqu'au Golden Gate Bridge. J'ai commencé le périple, avec comme point de mire le pont qui s'incendiait peu à peu. Les ombres autour de moi s'épaississaient, bientôt les chiens et leurs maîtres ne faisaient plus qu'un monstre à deux vitesses, les oiseaux se fondaient dans leurs reflets sur l'eau, et bientôt plus rien n'existait que le pont et moi, tête à tête fabuleux. Mais il jouait un jeu impertinent : à chaque pas que je faisais, il s'éloignait d'un pas, de sorte qu'après une demie-heure il était toujours à la même distance de moi. Il n'y a plus de bus à cet endroit-là de la côte, juste l'énorme parc derrière moi et le froid qui grince dans la brume. Je me suis arrêtée quelques secondes, ai regardé le pont d'un air de défi. Véridique, j'ai murmuré “Tu verras demain, quand il fera jour, tu ne m'échapperas pas”, ce qui a rendu un chien curieux. Il m'a suivi alors que je faisais demi-tour pour retrouver le bus, et, finalement, la chaleur réconfortante de l'auberge de jeunesse. J'y ai retrouvé un ami, français, et nous sommes allés fumer une narguilé avec un thé au bout de la rue. Nous y sommes arrivés à 20h à peine, sommes repartis à 2h du matin, ivre de paroles et de choses qu'il nous restait encore à raconter, et qu'on n'aurait pas le temps de se dire, la voix fatiguée et les yeux toujours vifs.
Mais il fallait que je sois en forme car aujourd'hui j'ai un défi à relever : le pont m'attend, et il sait qu'à son jeu, je vais gagner. J'y ai vaincu des montagnes et leurs centaines de faux-cols. Et je sais quelque chose : quand on marche longtemps, on arrive quelque part.
vendredi 7 janvier 2011
7 janvier 2011 : San Francisco vol.7
A San Francisco aussi il y a un MoMA, Musée d'Art moderne. Que pour la forme on appelle SFMoMA. Je m'y suis rendue, un peu comme sans avoir le choix. L'art moderne est quelque chose dont je sais rarement quoi penser. Le plus souvent, ce sont des blagues ou des jeux : les trois tableaux blancs dans une pièce qui s'appelent “trois tableaux blancs” et l'artiste qui sur un énorme plateau de cire a enfoncé non pas sa main mais son genou comme une marque d'identité. Et en effet que je les aime ou pas la moitié des œuvres de cette exposition, quelque en soit la magie par ailleurs, est avant tout sortie de l'œuf d'un concept, et uniquement d'un concept. Je n'invente rien en disant que l'art moderne est la philosophie de l'art, mais je me demande simplement alors où est l'art ? Peut-on réfléchir sur l'art par l'art sans en avoir du brut, peut-être même beau (je sais que cela fait dresser les poils des artistes modernes), sur lequel penser ? Et quoi alors quand l'art finira par étudier ses propres formes d'études ? Mais puisque les artistes, à l'instar des philosophes, aiment à s'observer, le musée s'en fait leur reflet : une salle est dédiée au musée lui-même, non pas son architecture mais son existence, et il y est traité comme une œuvre.
Beaucoup de photos dans ce musée aussi, ce qui n'était pas pour me déplaire.
Et bientôt voici l'exposition sur l'espionnage, c'est-à-dire l'idée de prendre une photo, ou bien à l'insu des gens, ou bien contre leur gré, ou bien dans une situation de puissante intimité. Mais j'étais déjà exaspérée après être passée devant des images violentes de trois artistes différents présentant le sexe comme une activité violente de rabaissement de soi (c'est-à-dire qu'il faut absolument que la photo soit laide, et le personnage un déchet), ce qui est censé les opposer à la pornographie (et ce en quoi je préfère encore la pornographie). On pourra toujours me faire remarquer que c'est moi qui assimile ces gens à des déchets, et que c'est moi qui juge la photo laide à partir du simple fait que le sexe est représenté crûment, et qu'ainsi c'est moi qui donne à la photo cette signification dont l'artiste est innocent. Je n'argumenterai pas là-dessus avec moi même (je suis trop prompt aux arguments ad hominem). Toujours dans la même exposition je suis entrée dans la salle des paparazzi, où une petite Jackie Onassis courait pour détourner l'attention de son paparazzi le plus craint de son enfant. J'étais énervée que l'artiste ait le culot de croire que l'art peut se faire au détriment de la vie d'un individu. La qualité de la photo me fait voir qu'il n'est pas un paparazzi de bas échelle dont on peut pardonner le comportement en leur supposant une bêtise et un manque de talent flagrant (mais peut-être que je mélange un peu trop les deux) : elle est très belle, et très forte… mais voir le désespoir d'une mère qui fuit son enfant juste pour permettre à celui-ci quelques années de plus de tranquillité, je me suis dit que les valeurs politiques, sociales et révolutionnaires des artistes étaient bien loin. Et ainsi de suite dans une exposition où très vite il s'avérait que je n'avais plus envie de voir. Paradoxe imbécile : je faisais semblant de voir sans voir ce que les artistes avaient vu en faisant semblant de ne pas le voir. Je ne comprend pas pourquoi ces situations “d'espionnage” doivent toujours être synonyme de complaisance. Je suis persuadée qu'il y a des instants de vie incroyablement puissants à voler chez une personne, qu'elle n'aurait pas été prête à livrer d'elle-même tout simplement parce qu'elle n'aurait pas vu ce moment comme digne d'art. C'est pourquoi l'œuvre de Sophie Calle, dans le même objectif, ne paraît infiniment supérieure à beaucoup de celles que j'ai vu ici, par sa naïveté à découvrir l'être humain (et elle-même) sous des formes inattendues.
De belles choses quand même à d'autres étages de ce musée, particulièrement dans l'exposition Cartier-Bresson, ou bien surtout “les sœurs Brown” : une série de photo représentant quatre soeurs, chaque années, dans la même disposition, et devant lesquelles j'ai passé une demi-heure à naviguer d'avant en arrière dans leurs existence, avec la sensation qu'elles pouvaient vieillir mais aussi rajeunir, en gardant ce même pouvoir de femmes et de sœurs.
En leur honneur, donc, en sortant du musée je suis entrée à la maison des femmes, dont les fresques extérieures sont impressionnantes (mais certes pas splendide : ils ont un attrait pour les fresques dans cette ville que je ne comprends pas), colorées, et censées représenter de façon quasi-mystique (ce qui m'exaspère) la femme à tous les âges. La fresque se terminant par une énorme forme qu'on peut difficilement ne pas reconnaître comme étant un vagin, formé à partir du dessin d'un squelette de cerf et de quelques orchidées (orchis signifie testicules, et je ne pense pas être la seule pour qui le cerf et ses bois est une figure virile, quant à pourquoi il fallait qu'il soit mort…), ce qui m'a laissé un instant pantoise. Le tout m'a bientôt fait traverser Clarion Alley, petite rue sombre avec des tags sur tous les murs, tous de haute qualité (les plus mauvais étant illico recouverts). Des tags pour la plupart politiques ou contestataires, avec beaucoup d'humour ou de tristesse. Beaucoup de femmes là-aussi, beaucoup de poésie, et pour un peu en traversant totalement l'allée on peut y voir une longue histoire psychédélique où les gens les plus forts rencontrent les gens les plus faibles, et se rendent compte alors que la faiblesse n'existe pas.
jeudi 6 janvier 2011
6 janvier 2011 : San Francisco vol. 6
C'est à l'envers que ma journée d'hier me revient. C'est que mon esprit à cette attraction naturelle pour l'île d'Alcatraz, que j'ai visitée le matin, et il me semble que rien ne peut venir après ça. Tout doit être avant, peut-être à la façon dont les prisonniers de l'île considéraient cette prison : le bout du bout, après lequel il n'est rien.
Donc tard le soir, j'ai discuté des heures durant avec un français de Grenoble qui étudie aujourd'hui au Québec, à propos de nos sentiments sur l'Amérique, sur New York et sur Vancouver, ce qui me le fait confondre aisément avec un autre français avec lequel j'avais parlé quelques heures auparavant, qui étudie quant à lui à Montréal. Mais alors que je me retrouvais embarquée, tôt le matin en réalité, dans deux longues discussions sur notre retour prochain en France et ce que ce sera pour nous, de retrouver la bonne nourriture et les administrations tentaculaires et inefficaces, je sentais que l'alcool montait doucement en moi. Il n'était pas violent, je n'étais pas ivre, mais les mots s'enchaînaient avec aisance, je riais facilement, la pièce était plus grande et laissait mes mouvements prendre de l'ampleur -et, de fait, de la prestance.
C'est que quelques heures plutôt, j'étais dans un pub du coin de la rue, traînée là par un anglais d'une trentaine d'année. Un homme adorable, policier, passionné d'art et de criquet, les joues rouges de bière, des cheveux roux sur un crâne énorme, il ne m'avait pas fallu 15 secondes à l'auberge pour comprendre qu'il était britannique. Et là il me parlait de son dernier voyage en Australie, en m'offrant bière sur bière. Il était bonhomme et enfantin, en même temps très cultivé, et ce mélange faisait de lui quelqu'un avec qui il était aisé de parler et de rire. Le barman nous regardait toujours avec de grands sourires, peut-être amusé par l'image de ce grand gaillard et de la souris qui riait à côté, mais je voyais aussi dans ce sourire une assurance : ivre ou non, il ferait attention à moi. Il nous parlait parfois, en manque de clients, d'où il venait et de pourquoi il aimait cette ville. Mais les barmens ne peuvent qu'aimer San Francisco, parce que San Francisco aime les barmens. J'aimais cette sensation de protection, mais elle était inutile : j'étais bien décidée à ne pas me laisser enivrer par un inconnu, même à San Francisco, d'autant que mon ami se faisait de plus en plus pressant en m'offrant ses verres. Quand il m'a offert de me servir un “Dirty Bird”, un shot de whisky d'après ce que j'ai pu comprendre, j'ai accepté. Il ne se doutait pas que cet acquiescement signifiait aussi mon départ. Je ne pouvais pas refuser pour des raisons stupides mais non moins réelles : j'étais la seule femme dans ce bar, et le barman me regardait, alors que ma réponse se faisait attendre, avec une curiosité grandissante que je ne voulais pas décevoir. Quand j'ai enfin accepté, le barman a offert le shot : “quand une lady boit un Dirty Bird, c'est pour la maison”. J'avais la sensation d'être dans un Western, mais tout cela me laissait présager une boisson au degré d'alcool très élevé. Il était donc question que je le boive, cul-sec comme il se doit, et que je parte avant que la boisson n'ait fait le moindre effet. Je me suis exécutée, encore parfaitement sobre. Le barman m'a adressé un grand sourire en sortant son torchon pour essuyer son comptoir en bois d'un air satisfait -image qu'il avait dû voler à je ne sais quel film de Clint Eastwood. Je leur ai dit au revoir, l'anglais m'a baisé la main ce qui en fait de geste élégant et suranné ne m'a paru que de la drague sèche et idiote, et je suis rentrée à l'auberge sans mal, où l'alcool n'a pointé le bout de son nez dans mon esprit qu'alors que je parlais avec le premier de ces français dans la cafétéria.
Chose amusante, j'aurais pu croiser chacune de ces personnes dans la journée, à Alcatraz. Toutes y étaient, parties à différentes heures, revenues de même.
Je suis partie quant à moi en fin de matinée, sans savoir exactement ce que j'allais voir. Pour moi il s'agissait seulement d'une prison, et je ne vous ferai pas l'affront de vous dire qu'Al “Scarface” Capone y a passé ses plus longues années, puisque je devais être la seule personne au monde à l'ignorer.
Alcatraz s'avère être aussi un parc, ainsi qu'une ville fantôme si l'on peut dire, puisque ont vécu sur l'île tous les gardiens, leurs femmes et enfants, lesquels avaient sur l'île un commerce de quartier, une petite école pour les tous petits (dès le primaires ils prenaient le bateau jusqu'à San Francisco), etc. Et bien sûr jamais ces familles ne fermaient leur porte à clef. Mais depuis la fermeture de la prison ces bâtiments se sont désagrégés : certains ont été détruits, et leurs restes sont restés là, sur l'île, en plan, mais la plupart sont debout, sans toit ni fenêtres : de grande carcasses vides à travers lesquelles on regarde l'océan et la côte.
La visite était parfaite. Grâce aux audio-guides (gratuits, c'est un plus), on peut entendre les témoignages enregistrés des prisonniers et des gardiens sur la vie dans cette prison, ponctuées d'anecdotes et de grandes histoires. Nul besoin de verser dans le sensationnalisme : tout dans cette prison est déjà sensationnel. La prison des prison, on vous dit : si vous ne respectez pas la loi, vous allez en prison, si vous ne respectez pas la loi des prisons, vous allez à Alcatraz.
Tout y est aujourd'hui en place, figé depuis 50 ans. A l'intérieur ça paraît n'être rien, 50 ans, quand on trouve encore les traces de la vie, de la mort, et des tentatives d'évasions dans toutes ces cages. Rien n'a vraiment changé depuis dans les prison américaines. La réinsertion est le mot d'ordre, certes, mais au fond les cellules, les couloirs, tout est resté étrangement le même. Le monde évolue, la prison pas, ce qui suffit à mon avis pour prouver que la prison en tant que telle est un système archaïque de punition ou de protection de la société. Je ne peux m'empêcher de penser que dans un siècle tout juste, en apprenant dans les bouquins d'Histoire ce que c'était qu'une prison, des centaines de gamins d'école seront béats : était-ce vraiment comme ça encore en 2010 ? Vraiment ? Étaient-ils encore si retardés ? Comment n'avaient-ils pas compris ?
Compris quoi, je ne sais pas, mais mettre un homme en cage paraît toujours légèrement aberrant, et en regardant ces grilles monstrueuses et ces plateau de fer, j'ai l'impression d'une torture antique : “et là on pouvait t'enfermer pendant 30 ans parfois, sans pouvoir voir le monde extérieur”. Mais au fond j'ai peut-être de tort de projeter dans le futur des solutions que je ne sais pas offrir maintenant : peut-être qu'il n'y en a pas. Ce dont je suis sûre, c'est qu'on a le droit de rire jaune quand des dizaines de San Franciscains gloussent devant un système pénitentiaire dur, violent, et légèrement archaïque, alors qu'ils appartiennent à l'État américain où il y a eu le plus d'exécutions depuis dix ans après le Texas (mais qui pourrait battre le triste record Texan au sein d'une démocratie ?), quand on voit les san franciscain s'attendrir un peu pour le psychopathe “homme aux oiseaux d'Alcatraz” qui, dit-on, a écrit plusieurs œuvres sur les différentes maladies des canaris une fois en prison, alors qu'il y a cinq ans tout juste Schwarzenegger, dans ce même Etat, a permis la mort de Tookie, dont les ouvrages pour enfants publiés depuis la prison ont évité à de nombreux gosses des rues d'entrer dans des gangs. Non, le passé que célèbre encore San Fancisco sur cette île a des relents de présent, et je ne sais pas bien si c'est nous qui nous moquons de lui, ou si c'est lui, caché derrière ses grilles d'un siècle, qui se moque de nous.
Dans la cantine, on nous raconte comment les autorités étaient tenues de servir des repas en quantité suffisante et qui aient du goût, ce qui les as amené à servir des spaghetti (bonnes, certes) plusieurs fois par semaine durant des mois. Un jour un prisonnier a marmonné “la prochaine fois qu'ils nous servent des spaghetti, on renverse les tables”. J'imagine bien l'impression de danger à dresser l'échine qui a dû se soulever parmi les gardiens quand 200 des hommes les plus craints du pays ont commencé la semaine suivante à balancer les tables en riant dans une cacophonie terrible. On compte plus d'une dizaine de meurtres à Alcatraz, alors se retrouver au réfectoire trois fois par jour, avec deux cents brutes armées de fourchettes et de couteaux, ce devait être quelque chose. Lesquelles brutes apprenaient pendant leur temps libre… à tricoter.
En salle de confinement, il fait noir, seulement noir. Pas de lit, juste des toilettes et un évier, qu'on ne peut pas voir. Un prisonnier raconte que là-bas il avait arraché un bouton de sa salopette. Il le prenait, et le jetait par terre. Ensuite, pendant des heures, à quatre pattes, il le cherchait sur le sol à tâtons. Quand il l'avait finalement trouvé, il recommençait. L'enfer lui même n'est pas trop différent.
Une allée de la prison est plus belle et plus ensoleillée que les autres. Les plus sages y étaient envoyés, mais certains refusaient : par la fenêtre, on peut avoir une vue splendide de la côte, et de San Francisco, charmeuse avec ses lumières et ses bruits. C'est une torture d'une autre sorte.
Parce que je pouvais, je suis alors sortie de la prison, attirée comme eux par cette magnifique vision de la côte sous un soleil rayonnant. Le spectacle paraissait insensé : La belle San Francisco, et juste devant, des ruines bétonnées. La verdure luxuriante rongeant les murs de la prison. L'océan paisible et les rochers secs et vertigineux. C'est se trouver sur un monde à part, où la justice est faite par la rencontre incessante du bien avec le mal, du beau avec le laid. En regardant l'océan au pied du roc, on a l'impression d'apercevoir un grand serpent glacé qui se tord autour des pierres en attendant qu'un jour, tu te décides à descendre, à tenter la traversée qui te rendra libre. La végétation splendide est touffue et impénétrable, de véritables murs de verdure adossés à ceux de béton. Dans ce qui a été la court de récréation, une épaisse herbe verte a recouvert une partie du béton : est-ce vraiment une marque d'espoir ? Ou est-ce que ce lieu n'est pas simplement rongé par le temps ? Est-ce que la nature ne va pas engloutir les éternels prisonniers d'Alcatraz, dont l'âme est restée là, puisqu'on entend leurs voix et l'on voit leur visage tout au long de la visite ? Je me suis allongée sur l'herbe ensoleillée et me suis endormie une demie heure, à regarder les oiseaux, nombreux, survoler l'île inconsciemment. Quel prisonnier l'avait fait ? S'allonger sur le béton et regarder le ciel ? Je sais bien que les criminels et les psychopathes versent rarement dans le romantisme mièvre, mais au fond a-t-on le choix ? Quand il n'y a plus rien à penser, notre esprit pense encore, et c'est là la vraie douleur, alors s'il y a des oiseaux, il faut penser aux oiseaux, et s'il y de la verdure, il faut penser à la verdure, s'il y a du béton, il faut penser au béton, et quand il n'y a rien, il faut lancer son bouton par terre et le chercher, pendant des heures.
mardi 4 janvier 2011
4 janvier (j'en reviens aux vraies dates) 2011 : San Francisco vol.5
Le petit conte de “Marie est entrée au Musée Mécanique” (plus connu sous le nom de “conte des trois M).
"J'avais un an en 1988. Est sorti un film sympathique, tout sauf phénoménal, où un tout jeune Tom Hanks faisait ses pas de jeune naïf (qui aboutiront un jour à Forrest Gump) : je parle de Big. Un petit film donc.
J'avais peut-être 7 ans quand je l'ai vu à la télévision. Parce que j'avais l'âge parfait pour ce film, il m'a plu. Moi aussi j'avais envie d'être grande. Et de danser sur des pianos musicaux. Mais pour cela il fallait que je me retrouve dans une foire, où aurait dû se trouver un vieux magicien en bois, laquelle machinerie m'aurait offert un voeu pour quelques cents. J'aurais demandé à être grande, et le vieil indien aurait exaucé mon vœu, que si l'on en croit le film j'aurais regretté. Mais voilà je n'allais jamais à la fête foraine, et quand j'en traversais une par hasard, je n'y trouvais que des jeux vidéos et des griffes de métal : le vieux magicien en bois enturbanné avait bel et bien disparu.
J'avais 22 ans bien tassés quand je suis venue à New York. J'ai alors lu sur mon guide que là, justement, à F.A.O. Schwartz, magasin de jouet, on pouvait trouver le piano de Big, et même danser dessus comme dans le film ! Occasion à ne pas manquer, je me suis exécutée. Ce qui a éveillé en moi l'envie de revoir ce film depuis longtemps oublié.
J'avais 23 ans tout juste lorsque je l'ai revu dans mon appartement de Brooklyn, et j'ai constaté qu'il avait vieilli, ce qui ma fois est logique puisqu'au fond c'était son souhait, qu'il l'ait regretté ou non. Et j'ai de nouveau rêvé de ce magicien enturbanné. Jeune j'en rêvais pour grandir, grande j'en rêvais pour revenir au temps j'en rêvais pour grandir. Simple comme bonjour ! Mais voilà les fêtes foraines étaient passées à l'Imax et je n'avais jamais été aussi loin de rencontrer le magicien.
Il y a trois jours, à San Francisco, je me baladais sur les quais et une étrange musique de vieille fête foraine a attiré mon attention. Je me suis retournée, et là, je me suis trouvée nez-à-nez avec le vieux magicien, en bois toujours avec sa barbichette et ses promesses d'avenir… si l'on peut dire. L'année allait sonner sa fin dans les deux heures, et il était là. Au-dessus de lui, un jeune homme fermait de grandes portes sur lesquelles était inscrit "Musée Mécanique de San Francisco”. The End"
Aujourd'hui donc j'y suis retournée, et sur le chemin j'ai croisé un vieil homme en costume en tweed, propre sur lui et très digne, qui tenait à la main un long fil. Son regard remontait souvent le long de ce fil avec précaution et émerveillement. J'ai suivi son regard et ai trouvé au bout du fil, un cerf-volant. Tout bleu, avec des grands yeux bêtes dessinés par dessus. L'homme a continué sa marche le long du quai avec une joie toute simple, m'abandonnant à mon propre sourire béat. Je n'ai pas même cherché à dissimuler le plaisir que j'avais à voir ce grand-père avec un cerf-volant. Je l'ai suivi du regard longtemps, avant de reprendre mon chemin. Mais au fond ce que je venais de voir était un prélude de ce que j'allais voir.
Dans le musée mécanique, se trouvent des centaines de machines à pièce en bois, d'époque. pour 25 cents on peut se faire lire son avenir par des automates, faire jouer un piano mécanique, faire une course de cheval, tester sa force ou regarder de petits films tels qu'ils étaient avant que les frères lumières n'aient l'idée de créer le cinéma tel que nous le connaissons aujourd'hui. Fait amusant, on peut y trouver un série de Zoetropes, dont Francis Ford Coppola est passionné et fait la collection. Son restaurant s'appelle “Zoetrope”, et ses menus sont décorés d'images de ces petites machines d'animation à l'ancienne. Bref, un bric-à-brac de machins bêtes et drôles, et surtout très vieux. A 11ans, le propriétaire de ces mécanismes a gagné un prix de valeur, qu'il a échangé contre une de ces machines. Cela a peu à peu fait de lui un collectionneur. Aujourd'hui il en a de fabuleuses, et écrit qu'il a toujours aimé lorsqu'il suffit de mettre une pièce pour qu'il se passe quelque chose. Alors le musée est gratuit. De sorte que tout ce qu'on a à faire, c'est de mettre des pièces dans tout ce qu'on peut, puisque de toute façon chaque machine ne coûte que 25 cents. Mais ma première rencontre a été avec un automate géant surnommée “Fat Lady” (“Grosse Dame”, officiellement “Laughing Lady”). Elle est énorme, elle a un grosse poitrine, des joues rouges et une dent en moins. Je la regardais un peu étonnée lorsqu'un homme est venu me voir. Il riait déjà. Il m'a dit “je la connais, elle ! Quand j'étais tout gamin elle était au-dessus des attractions du Parc ! Il a fermé maintenant. Mais on jouait et au-dessus elle était toujours là, à se tordre de rire. Elle fait que ça ! Attends, il faut que je te montre.”. Je n'ai pas eu le temps de dire quoi que ce soit qu'il avait déjà mis une pièce, et la grosse dame s'est mis à rire en se tordant d'avant en arrière, d'un rire au son parfaitement naturel et surtout très communicatif de grosse dame. Mais elle était si grosse et laide ! Et elle riait, elle riait, et l'homme à côté de moi riait aussi, et puis moi aussi parce qu'elle ne s'arrêtait pas, et une femme qui venait d'entrer aussi parce qu'elle n'avait trouvé dans la salle que trois idiots dont une automate riant sans pouvoir s'arrêter. Toujours riant j'ai continué mes vadrouilles, regardé quelques zoetropes, quelques automates, utilisé mes pièces dans des pianos, et des vieilles machines, et des jeux idiots. Et puis pour finir ma balade dans ce passé de jeu et d'enfantillage, je me suis fait lire les lignes de la main par une machine automatique. laquelle m'a beaucoup fait rire : si l'on presse la main sur le tableau gelé en métal, en faisant glisser une pièce, des dizaines de petits pistons de métal en sortent et rentrent doucement, donnant l'impression de palper savamment la paume de celui qui s'y risque. A la fin de cette petite manœuvre, un petit bout de carton sort de la machine. Je m'attendais à une petite phrase mystérieuse comme on en trouve dans les cookies chinois, mais au lieu de cela je me suis vu offrir un texte extrêmement précis, pour ne pas dire ridiculement précis, qui valait bien mes 25 cents : “votre main indique qu'un grand changement se prépare dans votre vie avant la fin de l'année. Le plus tard ce changement sera remis, le plus profitable il sera. Votre chance ne va cesser d'augmenter. Un grand succès sera permis par un ami, aussi essayez d'être apprécié par tous. Votre bonheur ne dépendra pas seulement de votre argent. Pour avoir un porte-bonheur de poche, gardez la plus vieilles pièce que vous avez jusqu'à votre prochain anniversaire. Faites-la d'abord porter par votre meilleur ami pendant une journée.
Jours de chance : les samedis.
Les meilleurs jours : le 6, 10 et 21 de chaque mois sauf janvier.
N.B. Si vous voulez d'autres révélations secrètes, demandez la carte suivante.”
On ne pourra donc pas dire que la fortune a épargnée sa salive, et c'est toujours le sourire aux lèvres que je suis sortie, en passant à nouveau devant la Fat Lady, qui riait encore à gorge déployée, actionnée par une petite asiatique qui riait devant sans très bien savoir elle-même pourquoi.
Cependant, et là est le mystique de la chose, en retournant au musée cette fois-ci, le magicien au turban n'était plus présenté. Je suppose que la fortune d'un vœu ne se présente qu'une fois dans une vie…
J'ai pris le tramway. Le chauffeur s'est arrêté pour moi à un arrêt qui n'en était pas un, juste parce que je le regardais avec l'air d'avoir l'envie irrépressible de monter dedans. Il y a quelque chose de flottant dans la circulation à San Francisco. Il n'y a pas de feux pour piétons, et parfois pas de feux du tout, et alors les gens s'organisent d'eux-mêmes, sans bruit ni klaxon, le plus souvent aimablement. les bus s'arrêtent et repartent sans ordre particulier, juste parce que ici et maintenant, ça parait un bon choix. Parfois ils ouvrent leurs portes pour papoter avec le conducteur du bus d'à côté, au feu. Et ils repartent sans se presser. Cette fois-ci dans le tramway une très vieille chinoise grondait sans ménagement une autre chinoise que je supposais être sa fille, qui avait elle-même plus de 50 ans. Ça bataillait fort, dans une langue déjà puissante, et j'ai réalisé à ce moment-là que nous étions très peu comme moi dans le bus à ne pas savoir ce qui se racontait : tous ici étaient chinois. Il y a une proportion gigantesque de chinois à San Francisco. Ils ont eux-mêmes aidé à construire la ville, et fidèles à leurs traditions n'ont pas généré beaucoup de mixité, mais quasiment toutes les publicités de la ville sont en anglais et en chinois. J'étais en minorité, donc, ce qui m'a paru une raison suffisante pour descendre avec eux et me retrouver dans Chinatown. Des montagnes d'objets kitschissimes m'y attendaient, pourtant de qualité remarquable par rapport à l'ensemble des objets chinois qu'on peut trouver en Europe ou dans le Chinatown New-Yorkais. Mais tant de couleurs, de théières et de bouddhas entassés, c'est trop pour moi. Je suis entrée dans un temple, ironiquement placé dans un immeuble étroit à l'américaine, au dernier étage, seul de tous les étages qui ait été aménagé à la chinoise, donnant à l'immeuble, à l'instar de tous ceux de la rue, une drôle de silhouette métissée. Là, donc, des centaines de lampions au plafond, quatre vieilles chinoises rabougries travaillant en m'ignorant royalement, et une décoration magnifique tout de rouge et d'encens. Des oranges étaient posées ici et là à travers la pièce. Les cierges que l'ont trouve dans les Eglises catholique, que l'on ne peut allumer qu'en faisant une donation, étaient ici remplacées par de l'encens. Je ne suis pas restée longtemps : ce lieu était un lieu de culte, je m'y sentais étrangère et bourrue, déplacée magiquement d'un décor à un autre, sans que j'ai quelque droit que ce soit à cela. D'ailleurs les quatre femmes riaient de plus belle, et ça, et les oranges, et les lampions, et l'encens, et les lettres chinoises, ça ne faisait aucun sens dans mon esprit, comme un enfant qui ne sait pas lire et regarde les lettres avec curiosité, espérant y voir magiquement ce qu'on est censé en faire.
Quelques boutiques plus tard, lesquelles m'avaient mené bien loin de Chinatown, je me suis posée à l'arrêt de bus, où le mien était annoncé pour dans 25 minutes. Un petit homme d'une cinquantaine d'années s'est assis un peu plus loin, a fait une remarque sur l'heure, je lui ai répondu en souriant. Je savais qu'il allait parler. il était de toute évidence de ces fous innocents, intarissables sur le monde parce qu'ils n'y comprennent rien, et que c'est en soit une raison suffisante d'en parler. J'en veux pour preuve cet article et tous les autres. Mais après tout puisque nous avions tous les deux 25 minutes devant nous, la folie c'est toujours une nouvelle façon de regarder la planète. On ne prend pas l'avion pour autre chose. Nous sortions tous les deux de la même boutiques de musique et films, avec tous les deux à nos pieds la même poche jaune. Il m'a demandé si j'étais française. Je portais une casquette de papi et un pull à rayure bleu marine, le tout épicé d'un accent aux couleurs latines : je n'avais pas de mal à voir comment il avait deviné. Il a alors repris “Je parle 16 langues couramment. Dont le français”. Il disait cela en anglais. “Grâce aux livre Berlitz. J'ai lu les livres Berlitz et maintenant je parle couramment”. Précautionneusement, pour ne pas le froisser mais ne pas le laisser passer avec ses douces aberrations sans les regarder de plus près, je lui ai fait remarquer que je ne pensais pas qu'on pouvait parler une langue couramment simplement en lisant un livre. Il a relevé sa casquette avec un grand sourire jusque dans ses petits yeux asiatiques et m'a lancé “moi si. J'ai une mémoire photographique”. Et après quelques secondes : “Q.I. très élevé”. Après quoi il m'a adressé une courte phrase en français. Du moins j'ai supposé qu'elle était en français à son air fier de chat qui dépose une souris morte sur le paillasson. J'ai réfléchi très vite. Il n'était pas question que je remette en doute ses talents. J'ai acquiescé avec un grand sourire. Ça a eu l'air de l'ébranler un peu : apparemment sa phrase n'était pas une question rhétorique. Bien tenté. Mais il n'était pas cavalier à abandonner son cheval. Il a eu l'air perdu quelques secondes, je lui ai alors demandé ce qu'il avait acheté. Remontant illico en selle, il a sorti 5 films de sa poche. Tous de sombres navets. Charlie et ses drôles de dames, Wanted, etc. A chaque film il me disait pourquoi il l'avait acheté : le premier parce que c'est du son surround ; le deuxième parce que c'est une qualité d'image “deluxe” ; le troisième il l'avait déjà mais ce DVD-ci avait les bonus, et ainsi de suite. J'ai alors découvert un homme fasciné par la technologie moderne. Pendant toute notre discussion, internet revenait comme un leit-motiv, ou bien c'était les téléphones portables, et si j'avais écouté ses conseils, j'aurais visité San Francisco seulement sur ordinateur. J'acquiesçais le plus souvent, parfois je débattais un peu quand le terrain ne semblait pas trop sensible. J'aimais chercher chez cet homme l'équilibre, que je sentais fragile, qui lui permettait de vivre dans son monde et d'évoluer dans le nôtre. Il disait être fiché dans plusieurs casino parce qu'il ne cesse de gagner -il compte les cartes- il me parlait des Carrousels, qui sont pour les enfants mais c'est bon aussi pour les adultes parce que les adultes produisent alors de l'endorphine, ce qui est bon pour le corps. A San Diego il y a un Carrousel où on peu attraper un anneau qui pend, et si on arrive à l'attraper, il faut le jeter dans la bouche d'un automate, et si on arrive à le mettre dans la bouche, alors on a une peluche. Mais lui il a gardé l'anneau. Il s'exprimait parfaitement normalement, mais ses pensées n'avaient pas d'égal. Je l'écoutais donc avec un intérêt non-feint, intérêt qui le rendait de plus en plus excité par ses conseils et découvertes. Il me disait aussi que son père était américain et sa mère chinoise (ce qui pouvait aisément se vérifier sur son visage) mais qu'au fond ses deux parents devaient être des “juifs chinois, si tu vois ce que je veux dire”. Je ne voyais sincèrement pas. Il m'a alors expliqué qu'il devait être juif parce qu'il avait des poils sur tout le corps, et que les chinois n'ont pas de poil. J'ai dû avoir l'air déstabilisé par son argumentation, parce qu'il s'est alors rattrapé sur le fait qu'il était juif de religion maintenant, qu'il ne l'avait pas toujours été mais que maintenant tout allait bien. Il a alors jugé que c'était le bon moment, (mais de toutes ses qualités je n'ai pas vu qu'il soit excellent juge), et m'a demandé si j'avais un petit copain. J'ai répondu oui, craignant que son enthousiasme n'en soit balayé, mais en réalité il n'en était plus là. Il m'a lancé deux-trois banalités sur à quel point mon copain avait de la chance et que je pourrais être actrice si je le souhaitais (ce qui s'avère être le compliment suprême, “parfaite” arrivant en seconde position), et a embrayé sur les restaurants où son frère et sa sœur l'amènent parfois, qui sont très chics mais où tout est dans la présentation et rien dans l'assiette. Je ne sais pas de tout ce qu'il disait ce qui était vrai et ce qui était faux. Et en réalité, le tout avait une cohérence curieuse, qui me fait penser que tout était vrai. Qu'il était peut-être un de ces génies idiots comme on en voit surtout dans les films. Qu'il avait autant de capacité à comprendre la technique qu'à rester étranger au monde, comme ces films dont il aime la le son digital ou la possibilité d'un transfert sur Iphone, mais ne tient pas compte une seconde du scénario.
Quand il est descendu du bus, nous parlions depuis moins d'une demie-heure. Il m'a serré la main en me disant “bonjour”.
Ça voulait dire “au revoir”.
lundi 3 janvier 2011
3 décembre 2010 : San Francisco vol.4
J'ai repris la route des Beatniks. Ils étaient juste à la frontière de Chinatown. Ils m'attendaient là, tranquilles, reposés sur du papier jauni… Car c'est là que se trouve le musée de la Beat Generation. Un petit truc pas cher, une librairie de poche sans grande prétention, qui expose des photos, des articles, et des premières éditions de ces auteurs. Ce n'est pas exceptionnel, mais ça paraît naturel, on est entouré de mots et d'un peu de poussière. Comme toujours la ville célèbre son passé. Quand New York vibre de son absence de mémoire (tout est toujours juste fait ou encore à faire, le plaisir du ici et maintenant), San Francisco salue ses fantômes. Neil Cassidy, qui s'appelle Cody dans les romans de Kerouac (sauf sur la route, où il se prénomme… Dean Moriarty), ouvre la salle avec un poème et un portrait, les autres s'alignent comme des lettres. Les photographies amateures et les articles de journaux nous présentent des hommes tout simples, de ceux qu'on ne regarderait pas vraiment et qu'on appellerait volontiers “le voisin du bout de la rue”. Une bande de copains qui s'emmêlent de textes et de femmes. Il y en a des femmes Beat, on nous dit. Elles ont un mur pour elles. Soit, mais il me semble que les femmes, ce sont ce que les Beat ont réussi à oublier, dans leur littérature. Juste s'en débarrasser. Elles sont présentes dans les actions, mais étrangères à leurs poésies. C'est une misogynie étrange : ces hommes célèbrent leur corps, mais pas leur sensualité. Ce qu'ils célèbrent c'est le brut et l'absolu. J'ai aimé cette phrase d'accroche d'un film qui dit de Kerouac, Neil et leur amante commune Carolyn (mais au fond cela vaut toute la Beat generation) : “They shocked us. They outraged us. They didn’t do anything wrong. They just did it first. (Ils nous ont choqués. Ils nous ont outragés. Ils n'ont rien fait de mal. Mais ils l'ont fait les premiers)”. C'est un peu sensationnel, mais j'aime cette phrase avec leurs visages accolés, riant au lit tous les trois ensemble, qui montre à la fois la bonhommie de ces jeunes et leur impact insoupçonné.
Alors j'ai acheté Howl. Je l'ai déjà lu, pourtant, mais j'ai un plaisir de collectionneuse à posséder les livres que j'ai lu. Je ne suis pas attirée par les livres rares ou grands, au contraire les livres de poches sont une invention merveilleuse : plus agréables à lire et à toucher, plus simples, plus discrets, plus secrets, plus à soi et à personne d'autre, c'est comme ça que je les aime dans ma librairie. Howl, donc, répond à ces critères à merveille, et me fait un petit souvenir très léger de San Francisco, d'autant que j'ai vu le film éponyme… à New York.
Et j'ai traversé l'allée Kerouac dans Chinatown, où quelques vers, d'auteurs divers mais surtout de Kerouac, sont disséminés en lettres dorées sur le sol, sans que cela soit d'ailleurs du plus grand effet. L'allée m'a mené tout naturellement à un immeuble magnifique, entièrement recouvert de cuivre, qui appartient aujourd'hui à Francis Ford Coppola. Aux étages il travaille, ainsi que sa fille, Sean Penn, Werner Herzog et tant d'autres à qui il a prêté les lieux, à la réalisation de ses films, tandis qu'au rez-de chaussée on peut prendre son repas dans un lieu tapissé de bouteilles de vin de Francis Ford Coppola lui-même. Dans ce restaurant, il a tourné quelques scènes du Parrain, c'est un peu donner une idée de l'atmosphère. La serveuse roulait des hanches absentes chaque fois qu'elle passait devant le Barman, lequel ne lui jetait pas un regard, tout occupé qu'il était à compter à des clients hypnotisés les différentes passions de son haut patron. Je me reposais devant ce Feydeau de fortune, avant de me rendre finalement chez le disquaire du coin où une caverne de vinyle à les voir s'effondrer sur soi m'attendait. Ce magasin défie la gravité, et les allées de quelques centimètres ne permettent pas à quelqu'un de plus épais que moi de passer. En arrivant en bas des escalier, deux jeunes hommes étaient là, à deux extrémités du magasin, concentrés, et c'était déjà foule. Je me suis arrêtée un instant, préparant ma respiration à ma plongée dans les disques noirs et poussiéreux, et ai poussé un long soupir. L'un des hommes à levé la tête et, en chuchotant parce que cette boutique nous faisait un effet étrange de librairie, m'a dit “oui, c'est ce qu'on a dit nous aussi”. J'ai souri, et ai plongé. Quelques minutes plus tard, dans ce silence de sanctuaire, l'homme a sorti un vinyle du lot, détruit, rayé et sale, et a demandé à son ami : “Tu connais, ça ?”. Sur la jaquette on pouvait lire “Beat Generation, textes lus par Jack Kerouac”.
dimanche 2 janvier 2011
2 décembre 2010 - San Francisco vol.3
J'ai traversé ainsi tout le parc ou presque, avant de croiser un homme, perdu comme moi sur le chemin de l'Académie des Sciences de Californie. Retrouvant notre chemin ensemble, nous avons discuté un peu. Il disait qu'il était francophile, c'est-à-dire qu'il aimait le pain, le fromage et le bœuf bourguignon. Pur banquier San Franciscain (il y a des banquiers même à San Francisco), il parlait avec beaucoup de gentillesse, et certainement un esprit légèrement gourmand : “mon frère habite là- bas, tout près d'une boulangerie française…” puis “ah ? Une auberge de jeunesse ? Il y en a une très chouette, pas loin de la boulangerie en question…” et encore “Le pont, oui, bien sûr, il est célèbre, la boulangerie n'est vraiment pas loin…”.
Nous sommes arrivés, et dès l'entrée il m'a salué, ce que j'ai trouvé admirable parce qu'il est rare que quelqu'un dont la conversation est agréable sache quand il faut pourtant y mettre un terme.
De nouveau seule, dans un lieu chouette dans l'ensemble, bien foutu, regorgeant de poissons (les aquariums de San Francisco sont une expérience à ne pas manquer, parole d'âme de gamine !), d'oiseaux, de papillons, de plantes, de tortues, de pingouins, de serpents, de trucs et autres qu'on ne voit nulle part ailleurs, surtout pas comme la plupart ici en semi-liberté. J'ai surtout admiré l'architecture du lieu qui nous fait passer des moments incomparable de découverte en 3 dimensions de la nature, plutôt que derrière les vitres formelles qui le plus souvent transforment des merveilles en cartes postales.
Du parc à la forêt tropicale, tout doucement, sans broncher… j'avais oublié ce que c'était la nature, mes sens étaient submergés. Je ne voulais même rien savoir. Je me foutais des noms, des sciences, des anecdotes, j'étais juste au milieu, bouche ouverte.
J'ai manqué de gober un papillon.
samedi 1 janvier 2011
1er janvier 2011 - San Francisco vol.2
En ce lendemain de réveillon (je sais, présenté comme cela, ça donne le tournis), San Francisco a doublé sa brume d'une pluie froide. Les gens sont fatigués des fêtes de la veille, se lèvent tard et lentement, hésitent vaguement à la porte des maisons, mouchoirs en poche. C'est le jour ou jamais pour échapper aux touristes. J'évite le Pier 39 avec une précaution superstitieuse, et sans trop savoir pourquoi je me rends dans ce quartier, “Haight and Ashbury”. On m'a dit que là-bas étaient les hippies. Et comme ma foi les hippies sont les descendants des beats, ça fera l'affaire. C'est un peu la génération ensoleillée qui a succédé ces écrivains déshérités. Puisque la nuit, tous les chats sont gris, le jour levant a peut-être révélé les manteaux colorés et les drapeaux psychédéliques, cachés dans l'âme des poètes et des Ginsberg depuis près de dix ans.
Je m'approchais doucement, en silence, dans le vieux bus bondé. J'aime les transports ici, toujours. Après quatre mois a marquer le temps dans les infinis tunnels du métro new-yorkais, ces transports de surface surannés et brinqueballant me font l'effet de petits jouets pour enfants géants.
J'arrive à Haight, sans trop croire à ma fortune d'enquêtrice de l'authentique. J'allais y trouver c'était sûr des hippies en cire, en poster, des hippies à vendre et des hippies à louer, des hippies garantis 100% couleurs naturelles, des hippies délavés, des hippies taille réelle, et à collectionner les 5 sosies des membres des Grateful Dead, les deux qui sont morts sont plus chers que les autres. Et en effet, il y avait un peu de cela. La rue, scandée de maisons acidulées que j'aurais aimé voir au soleil derrière leurs palmiers triomphants, est bordée près d'Ashbury de boutiques vintage, de babioles hippies, de fumoirs et de cafés. Lesquels s'étendent platement, vidés des touristes frileux, et souvent fermé pour ce congé de premier jour de l'année. Et pourtant, malgré tout, tout ça avait un air de vrai. C'est après une heure à déambuler dans les rues (“tiens, la maison de Janis Joplin”, “tiens, celle des Grateful Dead”) que j'ai réalisé que le faux à San Francisco, c'est du vrai. Ces alignements incroyables de maisons victoriennes dont aucune ne l'est réellement (les tremblements de terre et les feux en ont eu raison pour la plupart), ces imitations rigolotes qui cherchent à peine à faire semblant, tout ça c'est le vrai San Francisco acidulé dont les habitants sont fiers. De toutes façons, les couleurs de San Francisco n'existent pas dans le monde réel : les vêtements psychédéliques et les rainbow flags, ça n'a rien de naturel, rien d'authentique, mais c'est vrai. Il y a ces vieux européens qui croient que les vrais bonbons ce sont les caramels et les chocolats. Je préfère les têtes brûlées, les crocodiles en gélatine, les langues couvertes d'acides. Ce n'est pas “authentique”, mais c'est vrai. Il n'y a pas besoin de label, c'est seulement palpable. Alors autant le Pier est figé dans l'imitation, la naturalisation et l'embaumement parfumé, autant le quartier du Haight est vrai, je dirais même pur. Il se meut, lentement, de gens qui ne sont pas là pour le voir mais pour le vivre. Beaucoup de hippies, des vrais. C'est-à-dire que certains ont les couleurs, certains ont les barbes, certains le cannabis, tous l'esprit, et qu'ils passent sans regarder vraiment où ils vont, jusqu'à ce qu'ils retrouvent un de leur pairs, et alors ils sourient, malgré la pluie. Beaucoup de clochards et de pochards se retrouvent ici, sous les jambes géantes de pin-up, ou devant le disquaire, lequel vend des vinyles en vrac, très divers, sans qualité pour la plupart. Le tatoueur étale ses dessins de poissons chinois et de Pin-ups pour marins des années 30, on peut y acheter Play-boy et des magasines de dessins porno. Une librairie anarchiste. Des magasins vintage. D'autres steam-punk. Un bar à chicha. Un cordonnier. Un restaurant timide. C'est beau tout ça.
C'est un peu triste, pourtant, au fond. Ils se meuvent mollement dans le monde moderne sans plus y croire beaucoup, un peu par habitude, un peu pour une vieille rébellion oubliée, un peu parce que s'il faut être clochard autant l'être par fierté, je ne sais. Ils connaissent les gestes et les mots, ne les inventent plus. Ils ont répété “paix” et “amour” tant de fois en vain, maintenant ils ne savent plus très bien l'effet que ça fait de l'entendre pour la première fois. Répètez un mot mille fois devant le miroir, bien concentrés sur chacune de ses sonorités, et il deviendra tout à coup étranger, bizarre, inapproprié. Ils sont fatigués, les hippies de San Francisco, alors que le reste de la ville bat d'un rythme de fête. Au fin fond de l'Ariège on en trouve des plus enflammés, mais ceux-là me remplissent sans mal de leur présence.
Je voulais mieux les regarder, je suis montée sur “Alamo Square”, très beau parc, tout bosquet et colline, d'où l'on voit le quartier multicolore. Un couple de jeunes hippies, un vieux noir, et une dame s'y trouvaient déjà, avec ou sans chien. Cinq à braver le temps en reniflant, chacun de nous un peu heureux de ce plaisir d'avoir le lieu à nous, dans cette paix que nous offrent les jours fériés d'hiver. Le vieil homme, finalement, le plus agité d'entre nous, s'est tourné vers moi avec ce sourire qui fait paraître les noirs plus hilares que les autres, et m'a dit “Voyons, mademoiselle, quelle magnifique journée pour prendre des photos ! N'est-ce pas splendide ?!”. Je me suis tournée vers la vallée de maisons rendues ternes par la lumière blanche des journées pluvieuses, j'ai regardé vers l'océan que je ne pouvais voir à travers la pluie, j'ai reposé mon regard sur la boue timide au bout de mes chaussures et en souriant à mes pieds j'ai répondu “en effet, une bien belle journée”. Il s'en est retourné content dans son imperméable, et je regardais toujours la boue où je ne voyais rien. Redescendant la colline, j'ai traversé les quartiers qui ne sont pas conçus pour qu'on les voit -comme en ont toutes les villes- avec des parkings et des riens rendus moins encore par la pluie tenace. J'ai grimpé dans un tramway, qui grinçait un peu à chaque arrêt. Plusieurs fois j'ai vu des conducteurs sortir de leur tramways, de leur cable-car ou de leur autobus pour rattraper un de leurs passagers (sorti trop tôt) par l'épaule : “ce n'est pas là que vous vouliez sortir, remontez, je vous dirai quand nous serons arrivé”. Et cette fois le tramway centenaire s'est aussi arrêté pour que son conducteur puisse gronder paternellement un conducteur de taxi qui avait passé à un feu orange. Quand le temps qui passe doit se plier au bon vouloir des relations humaines, c'est ce que j'appelle la vraie vie.
Je gelais et me demandais pourquoi à New York le froid était si bon et à San Francisco si dur. C'est que, malgré dix degrés de plus, l'humidité ici fatigue et fragilise, agresse incessamment, mais donne aux parcs et aux rues une verdure inimitable.
Je me suis enfin assise derrière le bol de chowder que je m'étais promis depuis des heures, comme on promet une friandise aux enfants qui font sans broncher de longues visites épuisantes. Le bol en question consiste en un ragoût de poisson cuit dans de la crème, mais surtout servi dans un énorme bol en… pain. Chaud, épais, il avait pour moi un attrait merveilleux, ajouté au plaisir tout Hanselien de manger son assiette après le repas.
C'est sur ce repas du pauvre bienheureux que j'ai achevé ma journée, et j'ai réalisé alors dans le bien-être de la chaleur, en retrouvant mon énergie, que peut-être cette mollesse, là-bas, c'est aussi celle des gens qui n'aiment pas l'hiver, qui le passent lentement comme en hibernation, pour transformer leurs étés sur la côté en “Summers of love” chaque fois renouvelés. Que quelqu'un me dise. Mais triste ou gaie, elle est belle leur ville.
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