mercredi 10 août 2011

Mercredi 10 aout 2011 : Roumanie vol.2

“Buc-” dit la goutte d'eau en quittant le rebord des toitures et des portails.
“-aaar-” gronde-t-elle en fendant l'air au milieu des maisons, aussi subrepticement que ses congenaires.
“-essst” souffle-t-elle en s'etalant sur le bitume et le beton.

“Bucaaaressst”, “Bucarest”, “Bucarest”, entonne la pluie autour de nous dans un choeur familier, et nous gele, et nous epuise. Perfides petites choses qui se joignent en armees pour nous frapper les reins : on a beau rire, a la fin elles chantaient encore la litanie roumaine -Bucaaaressst- quand nous etions en retraite sur les lits de l'auberge.

Pourtant, nous nous sommes battues vaillament, bras a l'air et sans courber l'echine.
La premiere vague traitresse nous attendait des que nous sommes sorties de l'auberge, chaude et minuscule. Nous l'avons repoussee nonchalament d'un geste de la main pour entrer dans le Palace de Ceaucescu, maintenant Palais du Parlement. Du grendiose a en gerber des metres cubes, entasses sur des tapis jusqu'aux somptueux luminaires qui n'en pouvaient plus de peser leurs tonnes au-dessus de nos tetes. Un palais plus grand que les pyrqmides, des milliers de pieces, si bien que si un homme se mettait a crier, des echos lui reviendraient de toutes parts et ferait croire alors a des milliers d'enrages scandant la revolution. Mais c'est un lieu ici ou les hommes applaudissent. Ils louent les superbes pieces de marbre et d'or travaillees jusqu'a la voute. Dans ce palais la grandeur se mesure au vide, vanite des vanites, et tant de spectaculaire betise en fait un tableau des plus rejouissantss, et d'une beaute toute particuliere.

Nous sommes sorties les ventres tordus par la faim, mais la pluie qui pour tout repqs ronge les murs et leche les statues ne voulait pas de cette treve. Le ciel avait des envies de nuit quand nous avons de nouveau traverse de laids quartiers de Bucarest -abandonnes, eventes, de terre et de beton arme contre rien- pour rejoindre la vieille ville ou dans une rue eventree nous avons trouve un restaurant au nom imbitable (il y est question de charette). Dehors, la pluie hurlait “Bucarest” et nous n'ecoutions pas, trop amusees par cet endroit a mi-chemin entre la Baviere et l'Angleterre Gothique : du bois et du marbre du sol au plafond, des serveuses aux corsets si ouverts que pour un peu on aimerait dejeuner sur leurs poitrines, et au milieu un quatuor a cordes tres charmant. Le tout permettait d'oublier le repas plein de bonne volonte (viande hachee dans des feuilles de vignem polenta, creme fraiche, sauce aigre-douce) que j'aurais bien glisse au chien s'il s'en etait trouve un.

‘Buc-aaar-essst". La pluie avait au sortir la voracite sans pareille du combattant qui ne se dilue plus. Elle noyait la ville et la drapait de froid et son chant de victoire -“Bucarest”- sonnait partout ou elle plantait fierement son drapeau. La pluie est un diable comme les autres, et c'est dans la plus petite et la plus ravissante de toutes les eglises que nous l'avons fui. Si belle en realite avec son minuscule cloitre qu'on aurait bien fait un nid au milieu de toutes les peintures qui recouvraient chaque pqrcelle, chaque poussiere de cette cabane dans la ville. Toutes les fresques, d'un bleu de ciel d'aout, nous rappelaient a notre guerre. Nous sommes sorties avec les armes de la foi… peut-etre pas la meme que les autres.

Mais Bucarest nous fondait dessus de grosses lapees de beton, et jusqu'aux plus jolis coins de la ville nous crachaient des averses. Un petit passage en fer a cheval nous a offert un abri, et c'etait un petit Eden de fortune que nous venions de trouver. Le passage etait couvert de plaques jaunes et translucides qui baignaient toute la petite ruelle couverte d'une lumiere doree surreelle. Et tout au long, des chichas aux doux parfums de fruit. C'etait le repos du guerrier : nos visites de la ville avaient aussi bien devoilees des merveilles qu'enroue nos qrmes. On avait beau entendre la pluie s'enerver, eclater “BUCAREST! BUCAREST!” sur les toits sourds, la musique et le the chaud nous rendaient paisibles et inconscientes. Notre fumee s'elevait -parfumee a l'orange-, la pluie s'abattait, et la douceur de l'une embrassait la violence de l'autre a l'occasion de ce toit dore.

Enragee par notre couardise -Bucarest!- la pluie s'est emparee de nous avec une force decidement inalterable des que nous avons quitte l'anneau dore ou mon coeur voulait elire domicile. Je n'etais plus drapee que de pluie, mes pieds creusaient nonchalament des flaques chaudes… j'etais vaincue, et la pluie se chargeait deja de m'enterrer sous ses tonnes. Quelques beaux batiments ne m'ont pas ouverts leur porte. Dans une vieille eglise, ou j'avais trouve maigre refuge, on disait la messe. Et les chants laconiques retombaient si imperturbablement sur les dalles froides que le chant et la pluie, les mots de Bucarest, avaient pour moi l'echo d'une meme torture.

Je suis entree a l'auberge et alors que j'ecris, la pluie dehors chante “Victoire!” et “Mort a l'ennemi!”, mais tout ce que j'entends, yeux fermes, yeux ouverts, c'est “Buc-aaar-essst. Bucarest.”


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