mardi 9 août 2011

Mardi 9 aout 2011 : Roumanie vol.1

Il faut tres exactement 40h pour faire le trajet en bus de Nice a Bucarest. Traverser l'Italie, la Croatie, une partie de la Slovenie. Faire des pauses toutes les deux heures : les femmes se jettent sur les toilettes, les hommes sur leurs cigarettes et les enfants sur les cailloux, et on remonte. C'est un peu ca, 40h de bus.

Ca avait mal commence. A 6h le matin, une demie-heure avant d'embarquer, je regardais depuis la voiture les enseignes colorees, et petit a petit je les sentis scintiller devant mes yeux, danser morosement. C'etait la fatigue, a n'en pas douter… Mais quelques minutes plus tard : je ne savais plus lire. Je connaissais. J'avais compris. Inutile de lutter. Plus que quelques minutes et je ne pourrais plus parler, mon nom me serait etranger. Je cherchais deja mes phrases. “Sportif” me venait alors que je cherchais desesperement “autobus”. Plus j'essayais de me concentrer et moins je pouvais retenir les mots qui filaient. “Bus”, ‘assise", “enfin”… 'coccinelle" ? Je perdais pied, mais gardais mon calme : c'etait une migraine, et pas ma premiere dans son genre. Bientot je ne pourrais plus rien dire, plus ecrire, plus compter, plus voir, et tout cela passerait quand une gigantesque douleur viendrait engloutir mon crane, et s'en aller d'elle-meme nonchalament pendant un sommeil durement acquis. C'etait un peu cela que je pensais dire a Chloe quand je me suis penchee vers elle. Mais j'ai articule “j'ai une migraine”, aussi vite que me le permettait ma febrilite, avant que les mots si durement retenus ne s'echappent a leur tour. Et sans rien soupconner du raz-de-maree qui sevissait dans mon crane, elle m'a propose des cachets. Ibuprofene ? Je connaissais ce nom. Et si j'avais pu convaincre les lettres d'arreter leur gigue j'aurais pu lui donner plus qu'un air de familiarite. Mais quand votre propre prenom vous parait absurde, qu'est-ce qui peut etre familier ?
J'ai pris le cachet, et me suis endormie. Je me suis eveillee quelques fois, quelques secondes, et illico le marteau venait s'enfoncer dans mes tempes. Et puis, plus rien. J'etais moi. Et j'etais en Italie.

Les heures ont avancees, et il etait de nouveau temps de dormir, d'un sommeil epice d'un reve de sorcieres et d'enchenteresses, d'un erotisme soft et surtout, aberrant. Chloe et moi nous cousions des oreillers dans nos epaules respectives, deux oeufs hysteriques tournant et retournant en palpant et tricotant et pourtant… dormant.

Quand nous avons ouvert les yeux (pour la centieme fois, mais celle-ci etait la bonne), nous etions en Roumanie. Je me suis avidemment collee a la fenetre du bus. Ce que je voyais alors m'a laisse perplexe : des superbes villes fantomes, emplies de mendiants. Des roms, peut-etre. Y a-t-il un pays ou ils n'aient pas a mendier leur droit d'exister ? Je lisais une page de Dracula sur les honneurs sanglants des guerriers roumains, et je me demandais quand les Huns avaient embrasse le vers de terre. Je regardais leurs beaux visages et leurs mains de deux cents ans, et dans leur regard, dragon dans une coquille d'oeuf, je trouvais la fierte noire, sans haine et sans pitie. Moi j'aimais mieux leurs crachats que leurs mains tendues.

Le bus quittait ces petites villes de rien et en trouvait de nouvelles. Tout y etait toujours abandonne pour moitie, comme si un beau matin des familles entieres avaient deserte maisons et usines. J'aimais cette sensation comme on aime les beaux films d'epouvante. Les couleurs chatoyantes et les formes bonhommes ne suffisaient pas a insufler de la chaleur dans les rues glacees. Tous partis, a croire. Ils avaient laisses derriere eux des chiens galeux et des croix gigantesques et nombreuses a la mesure de leur humilite ; mais c'est souvent que la religion se mesure a l'humilite des peuples.

Dehors, dans des hectares de terrains vagues plats comme l'ennui un drapeau flottait sous l'edredon de poussiere du ciel qui semblait rappeler que ce monde etait du passe. Le drapeau flottait, et j'y voyais un drapeau francais sur lequel un saoulard aurait pisse sa biere.


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