lundi 15 août 2011

Lundi 15 aout : Roumanie vol.7

Pendant l'organisation de ce voyage j'ai fait un caprice, de gamine, que je rendais incontournable : je voulais prendre le tchou-tchou a vapeur. Pour cela nous avons du faire un detour gigantesque, nous arreter a Viseu de Jos, marcher une dixaine de kilometres de nuit jusqu'a Viseu de Sus, planter la tente au milieu d'une rue ou les chiens errants ont passe la nuit a nous engueuler, nous depecher jusqu'a l'antique gare, apprendre que nous etions arrivees trop tard pour l'achat d'un ticket et enfin monnayer une place dans le wagon des marchandises ou nous nous sommes assises par terre en contemplant le paysage et notre locomotive a vapeur qui sifflait, et sifflait tres fort, dans nos oreilles. On recevait des poussieres de charbon et a l'heure qu'il est je sens encore la fumee mais c'est le moins que je puisse dire : ca valait le coup.
D'abord a cause du train lui-meme, qui me renvoyait sans cesse aux “Retour vers le Futur” et autre “Mecano de la Generale” qui avaient fait mon emerveillement. Ensuite parce que ce train forestier qui suit une petite riviere dans la lumiere du matin etait absolument enchanteur. J'etais dans un de ces rares etats de beatitude absolue que rien ne semble pouvoir venir briser. Ah! Quel chemin! J'emprunterais volontier la plume de quelque romantique pour decrire les lieux avec la verve que je leur dois, mais mon propre bien etre et la simplicite de mon etat m'interdisent des elans par trop excessifs ou pompeux. Gloire au train, donc, j'etais assez heureuse en l'instant pour justifier la totalite de mon voyage en Roumanie mais puisque voyage il y a nous avons repris nos sacs et tendu le pouce.

Quelques minutes d'autostop ont suffi pour qu'une dame d'une cinquantqine d'annees qu'en France j'aurais qualifiee de Hippie mais qui n'est que Roumaine, nous embarque jusqu'a Borsa. Quelques heures auparavant j'avais emis la supposition que toutes ces vieilles dames de noir vetu que l'on croisait avaient du perdre leur mari (chose relativement naturelle a leur age avance), et auraient alors troque les fichus a fleurs, les jupons colores et les chemises a flanelle pour la couleur la plus repandue du deuil. Par curiosite, C. a demande confirmation de cette hypothese a la conductrice, laquelle a hoche la tete gravement avant de designer son T-shirt noir : “j'ai moi-meme perdu quelqu'un”. Note a moi pour plus tard : ne jamais parler de mort dans une voiture, ca tue l'ambiance.

Un homme a pris la releve a Borsa pour nous mener a Iacobeni. En realite nous allions trop vite dans ce voyage a notre gout. Mais une fois dans la voiture, nous etions trop hypnotisees par le paysage qui defilait pour penser a autre chose : des montagnes sublimes couvertes de la foret de sapin la plus dense qu'il m'ait ete donnee de voir, me forcaient pour la seconde fois de la journee a laisser parler en moi tous les romantiques du XIXeme pour trouver du repondant a mon emerveillement.
En haut d'un col, une eglise avait la plus belle vue qu'une eglise ait jamais eu a ma connaissance, et tout autour d'elle des millions de conniferes, sur les versants qui se faisaient cirques, s'elevaient vers elle pour lui rendre hommage, comme la secte noire la plus puissante et la plus impassible. Je pensais un moment au Roi sans Divertissement de Giono, ou l'Eglise serait un arbre d'infini complexite regnant en maitre sur ses freres.
C'etait trop de beaute pour la laisser filer au travers du blindage d'une voiture, aussi quelques kilometres plus loin nous avons demande a notre conducteur de nous deposer. Il avait ce torse massif, front haut et pommettes saillantes qu'ont la plupart des roumains, un bel homme en soi, tres austere jusqu'ici comme de bien entendu, mais qui en nous deposant nous a saluees d'un gigantesque sourire auquel il manquait une dent sur deux, ce qui a passablement diminue sa prestance a nos yeux, et d'autant augmente notre sympathie pour lui.

Nous avons alors monte la tente au coeur des montagnes, pres d'un ruisseau, tout a cote de deux chevaux et d'un poulain -pour la bonne augure de cette fragile renaissance- et c'est ici que je suis, ecrivant a la lumiere de ma lampe tout en me figurant regulierement, les yeux fermes, le paysage qui nous entoure.



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