mardi 26 octobre 2010

26 octobre 2010 - New York vol.26



Les américains ont-ils la moindre idée de ce qu'est le style ? Les aberrations vestimentaires courent les rues, donnant a chaque quartier un cachet d'aberration. Agréable, improbable. Voyez cette jeune fille : elle porte le foulard de musulmane bien serré autour de sa tête, avec le savoir faire des années de pratique, mais aussi des cuissardes en faux cuir qui ne m'inspirent malgré moi que l'image des prostituées. Et cet homme de la sécurité, énorme noir en costard noir, chemise blanche, cravate noire, et sur la tête une large casquette a l'américaine a l'effigie des Yankees. Des dizaines de garçons se la jouent Buddy Holly avec leurs épaisses lunettes à montures noires et leurs chemises a carreaux, le tout monté sur ces Vans indémodables que tout le monde portait quand j'étais au collège, et que je voulais absolument parce qu'aussi affreuses que ces chaussures puissent être, elles m'auraient assuré, chose évidente pour moi a l'époque, le succès que je n'ai pas eu.

Les pseudos pin-ups portent des mocassins, les filles propres sur elles les jupes les plus courtes, et ainsi vont les gens, sans se poser de questions. La liberté vestimentaire, ici, est un fait avéré.


Alors en me baladant dans les couloirs de mon école, coincée dans l'ascenseur avec ces deux garçons, un petit rond et un grand maigre discutant de comment la vie était difficile quand ils étaient deux nerds adolescents, ou en retenant la porte pour se groupe d'asiatique qui se parle en anglais, car, c'est toujours bon de le savoir, tous les asiatiques du monde ne parlent pas la même langue… il y a toujours quelque chose a regarder.
J'aime mon école. J'aimerais y rester encore le reste de l'année. Vrai, je ne m'étais pas autant intéressée a mes cours depuis, peut-être, ma première année de prépa. La deuxième, j'étais trop déprimée pour, comme ils disent, “give a damn” (m'y intéresser, mais c'est une expression je crois difficile a traduire), mon année de licence 3 a la fac était une vaste blague, et mon école de cinéma à Toulouse plus constructive pour ce qu'on y fait que pour ce qu'on y apprend.
Ici, tout demande investissement, passion, patience. Peut-être que c'est la bonne élève en moi qui est comblée, peut-être que c'est tout le reste de ma personne. Et puis je vois ces élèves passer avec des peintures étonnantes, d'autres d'immenses photographies, d'autres taguent les murs, il y a des annonces étranges dans les couloirs (“éléphant a vendre, certifie de provenance africaine” ; “combien seriez vous prêt a payer pour ce sac d'air soufflé par une jeune artiste sur Union Square ?” ; “Perdu : Joe, mon meilleur ami, il me manque beaucoup si vous le retrouvez veuillez composer le…” ; et ainsi de suite), d'autres étudiants créent des alphabets (il ne m'étais jamais apparu que le design des alphabets était un métier a part entière)… je n'en finis pas de découvrir les choses étranges et extraordinaires que les gens font quand on leur donne le droit, l'idée, les moyens, l'ambition.
Aujourd'hui ma professeur de théâtre m'a définie comme une élève charismatique. Charismatique, voyons. J'ai été perçue comme timide, ou arrogante (parfois les deux en même temps, c'est l'apanage des premiers de la classe), ou bizarre. Mais charismatique ? Oh, je prends !


Ma journée pourrait être considérée comme difficile, parce que j'avais ce texte a écrire dont le thème était “un personnage surprend quelqu'un qu'il adore faire quelque chose d'horrible”. Les trois exemples qui nous étaient donnés à lire, trois courtes pièces d'un livre appellé Bash, portaient sur : un père étouffant son propre bébé pour retrouver son job, un couple tabassant a mort un homosexuel dans des toilettes publiques, une jeune fille de 14 ans, enceinte de son professeur de littérature, qui 14 ans plus tard noie son fils dans la baignoire. Le cours a donc été empli de textes de meurtres, de pédophilie, de viols, de tortures… Et parce que l'investissement était si entier, j'en suis sortie avec cette légère nausée que nous procurent parfois les mauvais films violents.


Mais les idées y sont parfois stupéfiantes de naturel. Les élèves semblent tous avoir ce talent particulier, peut-être parce que j'y ai été rendue plus sensible avec les années, j'ai la même sensation dans ma classe en France. Mais aussi imaginez la professeur, notre âge, qui avec sa nonchalance de mâcheuse de chewing-gum nous donne des petites idées qui paraissent toujours si simples et si









jouissives, qui éclatent au jour comme si elles avaient toujours étaient là alors que, vraiment, personne n'y aurais pensé. Sa phrase favorite : “rise the stake” (élève l'enjeu). “Et si par exemple ce fou dont tu parles qui propose un morceau de gruyère a tout le monde, il ne leur présentait pas un morceau mais la tomme entière ? Visuellement, ce fou faisant rouler une tome de fromage pour en proposer aux passants, ne serait-il pas plus intéressant ?”. Rise the stake. Vous commencez a voir pourquoi le cinéma américain est si différent du cinéma français : chaque professeur vous dira l'un après l'autre : ce qui est important, ce n'est pas que ça paraisse réel, c'est que ce soit passionnant. Les mots de mon professeurs d'adaptation de roman ont été plus précisément : “en écrivant un dialogue ne vous demandez pas si vous, dans cette situation, diriez une chose pareille, mais si votre personnage fictif a une raison de le dire.” On peut ne pas être d'accord. Mais après avoir entendu mon oncle me répéter deux cent fois que dans les films français il ne comprend pas ce que les acteurs racontent parce que l'ingé son, dans un souci de réalisme, a voulu que le son des voitures dans la rue soit aussi puissant que les dialogues ; après avoir vu tant d'acteurs français regarder dans le vide depuis la fenêtre, parce qu'ils vont mourir et qu'ils sont tristes (or c'est ce que l'on fait sans doute quand on va mourir et qu'on est triste, mais peut-être qu'un personnage, après avoir regarde dans le vide, peut faire autre chose, sinon autant qu'il crève tout de suite), eh bien… J'ai plutôt la tentation d'en prendre de la graine.


Je prends ce qu'on me donne, c'est l'enjeu du voyage, des études et des vacances en même temps, et qui m'aident à me recentrer sur ce que je veux vraiment faire de ma vie. Et vraiment, je ne sais pas pourquoi j'ai aussi longtemps nié l'évidence de ce simple fait : depuis que je suis née, je veux devenir scénariste. Lire des livres, en faire des films, écrire à longueur de journée, avec la liberté d'être chez soi ou partout ailleurs, ouvrir sa sensibilité au maximum pour aller trouver celle des autres… Y a-t-il vraiment une seule chose au monde qui me rendrait plus heureuse ? Je ne prétends pas en avoir le talent, et surtout pas l'expérience, bien sûr, mais l'envie, elle me paraît aujourd'hui une évidence. Je ne veux pas abandonner le décor pour autant pour l'instant, au moins parce que ça m'amuse, que les gens en m'entendant me proclamer “décoratrice de film” penchent la tête comme des jeunes chiens avec ce même regard d'intérêt et d'incompréhension, et que je me dis qu'une activité qui laisse les gens pantois est une bonne activité. Plus sérieusement, j'aime la matière, sans doute parce qu'elle est ce qui n'est pas dans l'écriture. Bref, dans quelques jours je serai à la moitié de mon séjour à New York, déjà, et j'apprends chaque jour des choses essentielles à l'existence.


Oh, et depuis quelques jours, mes pensées sont en anglais. J'ai supposé que c'était bon signe…




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