dimanche 17 octobre 2010

17 octobre 2010 - New York vol.23




Hier je suis allée à Philadelphie. C'était un voyage organisé par l'école : un bus, trente étrangers, deux accompagnateurs et c'est parti. Ça parlait toutes les langues (et ça ronflait de toutes sortes de ronflements), et finalement nous sommes arrivés au musée, rendus bêtes et patauds par le sommeil et la route. Je suis entrée dans le bâtiment kitchissime sans vraiment savoir où j'allais, rendue dubitative par les colonnes corinthiennes surplombées de gargouilles en métal, ça ne s'invente pas.


J'ai alors découvert une grosse collection inintéressante de Manet, une autre beaucoup plus impressionnante de Van Gogh, Degas, Monet, et autres impressionnistes placés sans ordre dans de longs couloirs, mais surtout une très belle collection mal organisée de cubisme classée sous le terme « art contemporain ». J'ai été stupéfaite car il y a quelques années j'avais écrit un mini-mémoire sur le thème de la naissance du cubisme, pour un cours d'Histoire de l'art, et absolument toutes les œuvres que j'avais prises pour exemple étaient exposées là. Les paysages de Cézanne, les natures mortes de Cézanne et de Picasso, leurs violons et leurs guitares, le Braque que j'avais glissé au milieu, et surtout il y avait une peinture dont j'ai cherché pendant plusieurs jours sur internet où elle pouvait être exposée, tant la seule photographie m'avait passionnée. Il s'agit du Nu descendant l'escalier, de Duchamp. C'est je crois mon amour pour le cinéma qui me rend si sensible à ce « nu », dont le mouvement est fait d'images fixes superposées, si bien qu'au final le carré crée l'arrondis, et le fixe le mouvement : le rien nous montre le tout. Et il était là, au détour d'une colonne, un peu perdu, un peu délaissé. Et devant lui je ne savais pas quoi faire. J'aime ce tableau, et bien sûr que j'aurais pu le regarder pendant des heures. Mais comme il aurait fini par m'embarrasser, après quelques minutes à le regarder d'un air béat, j'ai fait la chose la plus stupide du monde : je l'ai pris en photo.
Il y avait aussi, et je n'en revenais pas, la petite danseuse en bronze, avec son tutu en voile, de Degas. Plus fière que jamais, cela va sans dire.
Quelques Rodins un peu faiblard plus tard, trois statuettes de bronze fabuleuses dont les artistes, dont je ne connaissais pas les noms, m'échappent, je traverse les Miro en rigolant (c'est qu'il n'y a que cette façon de passer devant des Miro), je jette un œil aux Mondrian avec le sourcil levé qui dit « à quoi bon ? » mais ne vous gênez pas à me répondre, j'ai écrit bien 5 ou 6 dissertations sur des thèmes qui se cachaient à peine de simplement signifier « à quoi bon l'art moderne ? ». Et me voilà devant l'urinoir de Duchamp. Oh pardon, la Fontaine. Et puis à côté le porte-bouteille et la roue de vélo, puisque c'est dans l'ordre des choses. J'étais persuadée qu'ils étaient au Louvre. En fait j'en reste certaine. Je suis certaine aussi qu'ils étaient là. Une « copie » ? Mais dans ce cas-là qu'est-ce que la copie aurait à envier à l'original ? Un déplacement temporaire ? Je ne savais pas, mais je me suis posée devant en me posant ces questions, et vraiment qu'est-ce que ça changerait, et puis pourquoi ça ne serait pas « les vrais » puisqu'ils sont vrais… et puis je me suis dit qu'elle était chouette, cette œuvre de Duchamp, parce qu'après avoir passé des années à réfléchir sur les concepts auxquels ces œuvres nous invite à réfléchir, il suffit que je passe quatre secondes devant cet urinoir signé pour de nouveau me demander ce que c'est que l'art. J'ai vérifié en rentrant et ai appris que tous les urinoirs exposés sont des répliques « certifiées par Duchamp ». Un génie, je dis. Et puis comme j'étais au rayon « art contemporain » de ce supermarché sans prix, je suis passée aussi devant un nombre inimaginable de « rien du tout » : des ampoules cassées, une vidéo d'un type qui fume très très lentement, un néon avec écrit quelque chose (je ne me souviens plus de la chose, mais prenez n'importe quoi ça fera l'affaire), et je suis passée aussi devant La Mariée mise à nue par ses célibataires-même. Enchantée de vous connaître, on m'a beaucoup parlé de vous, vous n'avez pas pris une ride, je passe à la salle suivante. Là c'est Fernand Léger, et sérieusement je me demande s'ils n'auraient pas pu remplacer le titre « art contemporain » par « art français ». Mais bon, Picasso en est la cause, il faut croire.
Je suis passée très, très vite devant le mobilier et les armures du Moyen-Age, qui dans ma tête n'éveillent que des « chouette, ça ferait un bon film », je me suis arrêtée horrifiée devant une peinture de jeunes enfants blonds boursoufflés jouant dans un torrent aryen, censés représenter le









cycle de la vie. Et puis j'ai pris quelques photos des statuettes, Minerve, un enfant qui se bat avec un Coq, qui gagne de justesse, un chap un peu mauvais, la moustache lissée par le vent, un Icare dont l'aile droite touche déjà l'eau… Et je sais ce qu'il y a de ridicule à prendre des statues en photos, mais j'avais envie de rire avec quelqu'un en regardant les oeuvres, de dire « regarde celui-là ! » ou « Oh my lord ça c'est moche. » ou « t'as vu la tête du gosse ? »… Mais j'ai pris des photos.


En sortant du musée nous avons été lâchés dans la ville. Une chose bonne à savoir : Philadelphie est une ville affreuse, dont le patriotisme parvient à assécher toute once de poésie qui aurait pu résister au tracé de ces avenues sans âmes. Alors mes amis et moi nous sommes contentés de lécher le Liberty Bell, comprenne qui pourra, ou du moins de faire semblant devant le garde horrifié. Le symbole en lui-même est affreusement pervers. Sensée être la parole du respect des peuples et des religions on y trouve gravée une phrase de la Bible, sensée être la victoire de l'union, elle s'est brisée pas moins de 4 fois (les 4 exactes fois où on a tenté de la faire sonner), et sensée être la puissance de l'Amérique, elle fait la taille de ma jambe. Je comprends qu'ils aient préféré la statue, ça a un meilleur rendu sur fond de drapeau américain. On a ensuite navigué dans la ville, j'ai pris une photo de moi avec un monsieur semi-aveugle qui devait avoir écrit la constitution (c'est son costume qui indiquait cela), et dont en réalité la seule occupation de la journée était de prendre par le bras le temps d'un cliché un milliers d'asiatiques et, de temps à autre, une française qui a réussi à se débarrasser de son sens du ridicule.


Il a fallu quatre heure dans les bouchons new-yorkais pour revenir au port. Et je me suis surprise à dire à mes amis : « Hey, nous voilà à la maison ».






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