lundi 18 octobre 2010

18 octobre 2010 - New York vol.24




Recherche d'appartement dans Brooklyn. J'ai quitté le bon vieux Harlem pour Brooklyn, où on m'a dit que je pourrais trouver un appartement pour le même prix, plus près de mon école et mieux aménagé. J'avais donc ma liste de trois appartements à visiter, et en soit c'est bien une aventure. Une aventure sociologique, cela irait presque sans dire.


J'avais oublié que nous étions dimanche. C'est qu'à Harlem, la religion est discrète, en réalité presque transparente, et seule la forte proportion de mexicains me fait croire que ce doit être malgré tout un quartier pratiquant. Mais à Brooklyn le dimanche, des familles entières de noirs (je n'invente rien, ils le sont tous) se rendent ou sortent de l'église en habit du dimanche. Et quand je dis en habit du dimanche, j'entends que même ce que je trouverais trop élégant pour mon mariage, ils l'ont sur le dos. J'entends que même une bougne de deux ans qui a du mal à poser un pied devant l'autre peut au moins compter sur sa cravate sur mesure et son délicieux blazer beige pour lui donner un air de professionnel. J'entends que les petites filles toutes roses ont choisi leurs meilleurs mocassins, et les grands mères semblent tout à coup terriblement respectables. Non, rien à voir avec Harlem : même le dimanche, le jogging y est roi. Des gospels résonnaient un peu partout dans la rue, portés au travers des murs par des enceintes. La parole du Seigneur, comme ils disent, paraît tout à coup moins mystique quand elle grésille sur des amplis de mauvaise qualité, dans de petite églises que j'ai presque pris pour des cafés de quartier.
Le premier appartement était en réalité une maisonnette, jolie avec sa petite terrasse en bois. Trop jolie. Je m'imaginais 80 plus tard sur une chaise à bascule sur la terrasse grinçante à regarder les jeunes passer en vélo, les yeux plissés par un rayon de soleil.
J'y ai été accueillie par une femme et deux jeunes filles. La femme était afro-américaine, les deux jeunes filles arabes et voilées, et dormaient toutes deux dans le même lit, dans la chambre qu'elles comptaient me laisser pour aller dormir à l'étage au-dessus. Des fleurs grotesques décoraient chaque fauteuil, d'autres différentes la tapisserie, et au milieu de cette odeur rance de vieilles choses, j'avais quand même la sensation qu'on vient là pour mourir. La propriétaire me disait que son travail à elle était de laver la salle de bain et la cuisine tous les jours après notre passage, et je ne me sentais pas à l'aise d'avoir une propriétaire et une esclave à l'intérieur d'un seul et même corps de femme noire- américaine catholique hébergeant des musulmanes. Il y avait de l'harmonie dans ce foyer, il y avait du bien être. Mais il faisait sombre, vieux, mystique. Je suis sortie en ayant l'impression d'une renaissance.


Quand je suis arrivée dans la rue de l'appartement suivant, un joggeur m'a interpelée en me disant que mon gilet lui faisait penser à Sergent Pepper, et parce que j'avance un peu sous le signe des Beatles ces derniers temps, ça m'a fait rire et je me suis arrêtée. Il m'a dit que ce quartier là était très dangereux la nuit, et qu'à moins d'avoir des amis ici il ne voudrait pas lui-même y vivre, il m'a conseillé un autre quartier de Brooklyn (j'irai peut-être y faire un tour, mais sur internet je n'y vois rien de disponible), et puis finalement a repris sa course en me souhaitant « bonne chance », en français dans le texte.


C'est un gigantesque noir qui a ouvert la porte, dans une djellaba dorée. Il s'appelait Joseph, et il m'a proposé une chambre penchée, sans lit (il m'a dit qu'il avait commandé le lit, il doit arriver d'une minute à l'autre), des prises encore à nue, deux autres hommes dans deux autres chambres attenantes, un cafard qui a pointé son nez entre deux lames de faux parquet mal rapiécé : un squat en somme qu'il voulait me faire payer 300$ par semaine, plus 50$ par semaine le mois où mon petit ami est censé venir. Ce qui nous fait une coquette somme de 1400$ par mois pour du parquet sans fenêtre. Et là on commence à comprendre en quoi le logement à New York est un vrai cauchemar.


En sortant j'ai re-croisé mon joggeur qui courait toujours. Il a pris des nouvelles en courant sur place, et puis et reparti. J'ai croisé une petite fille en robe rose du dimanche, 10 ans peut-être, toute









menue toute noire, qui m'a regardé un instant sans me voir, et s'est mise à faire deux ou trois mouvements de danse classique. Je lui ai ôté mon chapeau, elle m'a fait la révérence, et j'ai passé mon chemin.


Le troisième appartement, dans un quartier de gangs qui n'a pas encore été réaménagé mais qui me faisait beaucoup penser à mon ancien coin de Harlem, était parfait. Le propriétaire était un peu timide, le prix très raisonnable, l'appartement très grand, la chambre parfaite et aménagée, le tout propre et ordonné, sans exagération. Mais il aimerait trouver quelqu'un jusqu'en juillet. Et à ce prix là et pour ce qu'il propose, je suis bien certaine qu'il trouvera ce qu'il lui faut en temps et en heure. Mais bien sûr, si ce n'est pas le cas, il m'appellera.


Je suis donc rentrée bredouille, toute mon énergie étant restée dans ces quartiers branlants, mal fichus, et revenir dans Manhattan c'était retourner vers le monde. Un jeune étudiant m'a alors acheté deux cigarettes. Pendant que je faisais la transaction, un SDF a profité de cet instant anonyme pour jeter un œil dans la poubelle, ouvrant les boîtes McDonald et les papiers à hot dog. J'avais dans mon sac un sandwich pas fini (malédiction du subway : les sandwich y sont soit beaucoup trop petits soit beaucoup trop grands). Je me suis approchée du vieil homme qui n'était pas si vieux mais se tenait déjà courbé et fatigué et lui ai proposé mon sandwich. Il a refusé. Bien sûr. Non mais de quoi je me mêle ? Les voies de la fierté sont impénétrables.
En partant, j'ai quand même laissé mon sandwich sur le banc. Sait-on jamais.


Je suis rentrée chez moi en espérant ne pas avoir attrapé de Bedbugs, ces petites bestioles de coussins et matelas qui inquiètent énormément les américains. Ça m'a rappelé que… ben, que la vie et quand même plus simple, quand on a de l'argent, dans des villes aux système social arriéré.






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