lundi 25 octobre 2010

25 octobre 2010 - New York vol.25

C'est l'histoire d'une jeune fille qui cherchait son morceau de pomme. Elle ne demande pas grand chose : un morceau de pomme avec de la lumière, un accès internet, un lit, une cuisine et une salle de bain. C'est courant, comme morceau de pomme ça. Car elle est grosse, la pomme, et haute, on aurait cru que les morceaux se trouvaient facilement, juste en se baladant dedans.





C'est dit : cette pomme, elle est pleine de pépins. Je suis retournée deux fois à Brooklyn, mais on n'y voulait pas de moi. Enfin moi, je n'étais pas le problème, au contraire, une petite fille qui sosotte en demandant chi oui ou non, chest pochible d'emménager le 1er novembre, ça ferait pas peur au plus petit froussard. Par contre, si j'ose au détour d'une phrase suggérer que mon petit ami pourrait venir se faire une place dans mon coin de pomme, alors là, le ver devient vert ! Non, non, non, qu'il dit le ver, les garçons ça prend trop de place, ça mange trop, ça salit la chair douce et après, et bien après c'est tout gâté, et là c'est un morceau de pomme à jeter, même les moineaux n'en veulent pas. C'est ce qu'il dit le ver. Alors la jeune fille elle remballe ses espoirs, reprend sa valise et va chez le voisin. mais le voisin il dit la même chose. Et ainsi de suite.


Il y avait ce loft merveilleux de Brooklyn où vivaient 7 artistes, tous sortis de mon école, qui utilisaient leur immense salle commune comme salle d'exposition, et cette grande chambre mignonette dont le petit escalier menait à un cube coloré dans lequel se trouvait le lit. J'étais prête à faire la cuisine pour 10 pendant deux mois, mais non, non, non, il n'y a que des garçons dans cette colocation, mais mon garçon à moi il gâte les pommes.


Il y avait ce petit endroit dans Harlem, des plus banal dans son emplacement, son prix, sa qualité… Mais non, non, non, mon garçon il gâte les pommes.
C'est injuste ça, de se battre pour deux quand on est seul, d'encaisser seule les refus qui ont été conçus pour deux. C'est épuisant, énervant, ça demande du souffle et une étrange capacité à aller chercher son sourire là où il a bien voulu se cacher. Mais je tiens la distance. C'est un marathon de mails, 10 par jour au bas mot, 3 réponses dont, systématiquement, 1 à 2 arnaques (il faut garder l'œil et l'esprit critique), 1 tous les deux jours qui peut décemment mener à une visite. Dire bonjour, répondre aux mêmes questions, avoir l'air sage et propre sur soi, et essayer de ne pas se poser de questions sur sa propre odeur, répondre encore aux même questions (l'autostop est un entrainement très efficace à cela), et si la personne vous dit qu'elle va y réfléchir, ne surtout pas s'abaisser à croire qu'elle va vraiment y réfléchir. Aller voir le voisin.


Et puis aujourd'hui, sur la Craig’s list, c'est-à-dire une liste d'annonces qu'on ne peut savoir lire qu'avec un diplôme d'ingénieur, j'ai vu cette toute nouvelle annonce à propos d'un morceau de pomme tout meublé à louer sur la 17ème. C'est-à-dire à 5 blocks de mon école, où je me trouvais. L'annonce était courte, comportait beaucoup de points d'exclamations, et demandait notamment expressément de venir visiter avec la caution en main, sur la base du premier-à-payer premier servi. Toutes choses qui semblaient un peu suspectes, mais après tout, je n'avais que cinq rues à remonter. J'ai pris contact, j'ai retiré 600$, soit moins de la moitié de la caution mais c'était de toute façon tout ce que je pouvais avoir sur moi à ce moment-là, et j'y suis allée. Les rues passaient et je regrettais de plus en plus d'être toute seule pour juger de la viabilité de cette offre. il faut dire que le loyer était extrêmement élevé pour un européen, mais très peu pour le quartier. Je trouve des appartements à ce prix-là dans Brooklyn, et en colocation, ou même sur staten island, et même eux ne veulent pas de mon monsieur gâteur de pommes. Or la voie de la raison c'est “ce qui est trop beau pour être vrai n'est pas vrai”. J'aurais voulu du temps pour réfléchir, j'aurais voulu voir, juger, décider, et le tout en trois temps. Mais la valse se joue à un temps par ici.


Devant l'appartement, j'ai emprunté un téléphone, et cependant impossible de contacter la propriétaire. Je me suis assise sur le porche, espérant qu'elle se réveille dans les minutes qui suivraient, et un couple gay s'est arrêté devant moi, a passé un appel, n'est arrivé à joindre personne,









a raccroché, et regardé à nouveau la porte. Bien sûr, ils étaient aussi là pour l'appartement. Le concept du premier-à-payer premier servi tombait à l'eau, mais malgré cette compétition inattendue j'étais soulagée d'entrer dans cet appartement avec eux, d'entendre ce qu'ils en pensaient, de profiter de leurs possibles réactions ou questionnements. Ils étaient portugais, des artistes travaillant avec un architecte dans le quartier de Brooklyn. Il faut se figurer que je portais un gilet à brandebourg et une veste en jean, l'un d'eux un foulard multicolore et une veste similaire, et l'autre un béret et une écharpe. Trois stéréotypes d'artistes fraîchement débarqués de Brooklyn, de sorte que quand elle a ouvert la porte, elle a cru que nous étions un ménage à trois. Car tous les européens sont libérés, voyons. Sa réaction a cela, malgré l'étonnement évident, était plutôt sympathique, ce qui m'a plu. Nous avons bien sûr remis les choses en ordre et avons discuté encore, chacun plus gêné que l'autre de cette double visite. Elle ne pouvait pas faire de choix devant nous, ce que je comprends, et nous voulions tous ce mignon petit appartement si bien situé. Finalement elle nous a invité à sortir, à ne pas trop s'éloigner et nous a dit qu'elle nous contacterai dans les minutes qui suivraient pour nous donner sa réponse. La scène était hautement ridicule, et en même temps parfaitement compréhensible. J'aimais déjà mes concurrents. Alors quand nous sommes sortis je leur ai proposé d'aller boire un café en attendant, et nous avons discuté un peu de choses et autres, et principalement de cette femme, bavarde, gentille, surexcitée, un peu bizarre… Et de s'il fallait ou non lui faire confiance. La paranoïa guette les chercheurs de morceaux de pommes : elle a mis un moment à répondre à la porte, peut-être qu'elle cachait des choses ? Elle parlait vite et fort, était-ce une junkie ? Elle ne semblait pas se soucier que nous soyons libertins, gays, célibataires, à la rue : est-ce mauvais signe ? Et pourtant pour tout dire, malgré mes méfiances de chat échaudé, elle ne m'inspirait avant tout que de la sympathie. Avant que nous n'ayons pu commander notre café, nous avons reçu chacun sa réponse : j'étais l'heureuse élue. Ils m'ont alors à nouveau raccompagnée à l'appartement, on a ri sur la possibilité qu'ils avaient maintenant de venir me voir s'ils ne trouvaient rien, et j'ai laissé mes deux amis trentenaires sur le pas de la porte, toujours inquiète cependant de comment les choses se passeraient. Tout ce que je voulais, c'était de ne pas avoir à donner la caution avant d'avoir les clés. C'est simple, et pourtant ce genre de décisions est difficiles parfois à tenir, et je me concentrais de tout mon esprit sur cette seule pensée : pas de clés, pas de caution. La première chose qu'elle m'a demandé était quand je voulais emménager. Je pensais “pas de clés, pas de caution”, et je n'avais pas assez de place pour penser aussi à une date d'emménagement. J'ai dû bredouiller quelque chose qui n'avait aucun sens, mais dans lequel je pouvais lire en filigrane “pas de clés, pas de caution”. Elle m'a regardé un moment avec l'air de chercher à lire mes pensées après cette réponse vraiment énigmatique et a repris tout naturellement (pas de clés, pas de caution) : voilà comment les choses se passent maintenant : je te donne les clés, tu vérifies si elles marchent, tu me donnes la caution, d'ailleurs tu peux ne me donner que $600, pas la peine de t'embêter pour le reste, je veux juste être sûre que tu prennes l'appartement, je signe un papier indiquant que tu m'as donné la somme de $600, tu me dis quand tu veux emménager, et j'aurai enlevé les quelques affaires à moi qu'il reste d'ici là. Et là mon esprit a débloqué. On a tout fait comme elle a dit, les clés que j'ai testé moi-même fonctionnaient parfaitement, je suis repartie clés en main en lui disant que j'emménagerai le mercredi, elle m'a assuré que je n'aurais pas à payer ces quelques jours en plus, et me voilà dans la rue, l'esprit encore encombré de pensées sur comment ça, ça pourrait être une arnaque. Mais j'ai beau chercher, je ne vois pas. Maintenant, rien ne m'empêche d'entrer dans cet appartement quand je le souhaite. Ça y est, c'est mon bout de pomme, et il est à croquer !






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