J'avais regardé le concert des Tuba Skinny, attendus comme les apôtres swing de la Nouvelle Orléans, comme s'il avait eu lieu dans un aquarium. Enfermée dehors, j'écoutais les chansons à la façon dont un vieillard regarde les fleurs printanières : comme si elles avaient été pour quelqu'un d'autre. On en vient à détester ceux qui aiment et vibrent quand on ne se sent pas capable d'aimer ni de vibrer. J'avais regardé le concert comme à la télévision, quand le pas de danse est un pas de trop.
Ça arrive.
J'ai été conviée, pas le hasard d'amis entremêlés - une gigue bizarre de gens enchevêtrés par les lignes des destins qui sortent des trompettes - à une soirée improbable. Les gens prévenaient, s'extasiaient, chuchotaient et promettaient : « deux piscines ! ». Alors je pensais aux jeux de jeunes ivrognes qui ne connaîtront plus leur jeunesse, je pensais au chaud et au froid, je pensais que c'était bien, sans doute, deux piscines, pour ceux qui brûlaient à l'intérieur de l'aquarium, pas pour ceux dont le cœur était resté dans la glacière.
En sortant de la voiture, S. a dit «Regardez les étoiles» et j'ai regardé les étoiles à travers la vitre de mon regard mélancolique : elles me semblaient bien maigres et bien communes.
Une heure après le ciel était noir : les étoiles étaient descendues. Les piscines, passées le premier plongeon, n'ont plus intéressé personne. Les étoiles par contre résonnaient tout à côté, leur lumière devenue accords, rythme et mélodie. Il m'a fallu quatre trompettes, trois banjos, trois guitares, deux clarinettes, un trombone, un accordéon, une contrebasse et j'en passe, pour briser de leurs notes répétées, de leur joie têtue, la vitre qui m'enfermait comme un poisson de peu de peau, une créature de peu d'amour. Il m'a fallu rien moins que tous ceux-là pour me rendre ma sensibilité du bout des doigts, pour me rendre mon âme de spectatrice. Mon âme que je veux aimante, mon âme qui sait écouter. Pour me sortir de la glacière.