lundi 4 novembre 2019

4 novembre 2019 - Budapest (Lindy Shock)

Le Lindy Shock à Budapest est, comme l'an dernier et comme toujours d'après les souvenirs qu'en ont les aînés de la discipline, le lieu d'une communion qui associe les plaisirs simples et bon enfants d'une danse vivante et vivace, de rencontres internationales incessantes ou de cours passionnants avec une forme inattendue de décadence : le sommeil qui, cinq à sept soirées de suite, se retourne peu à peu sur lui même, renversé façon sling shot. La nuit et le jour qui se croisent en quinconce. Les repas qui ne savent plus ce qu'ils sont. Les courses improbables sur les toits des péniches.

Après cinq jours de cette impertinence aux règles du corps et à celles de la nature, rien de plus indiqué que de quitter la soirée - 8h du matin éclairant le Parlement d'une pluie lourde -, d'avaler avec un café de mauvaises crêpes réchauffées dans le premier restaurant du coin et d'aller se poser aux thermes. J'en connaissais deux, larges et solides comme tout Budapest, mais aujourd'hui c'est à Kiraly que nous nous sommes rendus, et c'est vers Kiraly que mes pas endoloris ne manqueront pas de me ramener, si ce n'est l'an prochain, peut-être le suivant.

J'aime peu les cathédrales et les palais, je me sens rarement à l'aise dans les lieux qui n'ont pas été produits pour les hommes, mais pour leurs dieux ou leur pouvoir. Si c'est une maison, il faut que je veuille y vivre, si c'est un abri, que j'y aie chaud, si c'est un jardin, que j'y sois libre. Les deux premiers thermes, célèbres, beaux et grands, laissaient mon âme timide. C'étaient des cathédrales soviétiques, pleines de convictions mortes. Je ne dissuaderai personne de s'y rendre, il y a de quoi voir. Mais c'est à Kiraly qu'il y a de quoi vivre.

Le bain central, si sombre qu'il s'apparente à une grotte, est surmonté d'un dome curieux, peut-être laid, mais oh combien palpable et humain. Un dome simple, percé d'une trentaines d'ouvertures hexagonales, de petits trous de jours impuissants - autant peut-être que les étoiles - à nous éclairer. Depuis chacune de ces ouvertures l'humidité a produit de larges trainées noires qui s'échappent chacune vers le sol. L'ensemble forme une étrange cérémonie de fantômes noirs aux visages lumineux qui planent au dessus de nous en pleurant des larmes de soufre.

C'est beau, et moins triste que vrai. Aussi vrai d'ailleurs que ce jacuzzi extérieur planté au centre d'un petit jardin qui tient tellement de la cour d'école que dans la brume et la pluie j'entendais presque les enfants courir.

Des hongrois peu commodes nous regardaient d'un oeil vieux, un oeil mauvais qui ne cherche pas à l'être, le regard de celui qui fait partie du lieu sur celui qui le visite. Le regard de celui qui ne veut pas être vu et l'est pourtant, simplement parce que quelques danseurs coriaces préfèrent les hommes et leurs fantômes aux dieux et à leurs saints.

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