dimanche 1 juin 2014

30-31 mai 2014 - Toronto 5

Je suis de retour à Montréal. Un tout nouveau rhume prend mon souffle et mon énergie, mais je suis heureuse, languissante, fatiguée, allongée sur le canapé après une longue marche jusqu'au belvédère du Mont Royal et un repas très tardif en terrasse d'un restaurant de la jolie rue Saint Denis. Les colocataires sont dispersés à travers la ville, et seuls mes amis sont encore là : alors qu'elle dort, il joue quelques airs sur son tout nouveau piano droit, et le son lisse et ferme accompagne les rayons de soleil au travers des fenêtres. En face de moi, de jeunes feuilles d'un vert vif traversées par la lumière dorée de la fin d'après-midi caressent la fenêtre pour me saluer, et je ferme les paupières en pensant à ma journée d'hier.



Mon jeu de balançoire entre Montréal et Toronto, entre ces deux couples d'amis si différents, les uns tranquilles, bienheureux, installés, les autres aventuriers, inquiets et exigeants me donne parfois l'impression d'être dans un road movie à la façon de “Away we go” : d'un lieu à l'autre, d'un couple à l'autre, ce sont différentes possibilités de ma vie qui se déclinent, de la vie en générale, et je vis la mienne transversalement.



Hier m'en a donné un nouvel aperçu alors que je passais mes dernières heures à Toronto : mes amis là-bas m'avaient souvent parlé avec une fierté chauvine et toutefois sympathique des “Toronto Islands”, de très larges îles sur le lac qui borde la ville. Les traverser de part en part nous a pris toute l'après-midi. J'étais ravie de ces gigantesques parcs par endroits presque sauvages qui font face, de l'autre côté du lac, à Toronto découpée très nettement sur le ciel en créneaux inégaux. Nos pas réveillaient les oiseaux de toutes les couleurs, les écureuils et les canards, me permettant pour la première fois d'observer de très près un martin-pêcheur mais laissant dans l'ombre les ratons-laveurs. Sur la première île à l'Est de petites maisons regardent la ville en résistant tant bien que mal à l'appétit de la nature environnante. Sur l'île centrale un petit zoo d'animaux de la ferme donnait à voir des animaux à la fois familiers et étonnants : des poules au plumage funky, des vachettes minuscules, une énorme truie, de gros lapins des Flandres étalés sur leur ventre, des petites chèvres bavardes dont une jolie fugueuse que les responsables du zoo ont poursuivi pendant des lustres, des lamas fraîchement tondus, et deux paons en liberté qui étalaient au mieux leurs roues gigantesques dont je m'amusais à toucher les yeux sombres et caresser la surface soyeuse. Mais c'est sur la dernière île que nous avons passé le plus de temps, nous baignant dans l'eau encore froide sur une jolie plage nudiste tout en observant de l'autre côté la ville, civilisée et pourtant aveugle à notre nudité, à notre incivilité naturelle. Derrière nous d'autres îles restées vierges débordaient de feuillages et de sons d'animaux. Chacune de ces îles donnait ainsi sa propre définition de la Nature, que l'Homme y ait ou non sa place, que l'Homme en soit ou non responsable, comme chaque quartier d'une ville en donne une définition différente. Et dans cette grande simplicité, dans ce plus simple appareil dont étaient vêtus hommes et nature, il y avait quelque chose d'un quotidien. C'était à quoi ressembleraient plus tard les jours fériés de mes amis, leurs vacances et leurs dimanches, et je m'y étais fait une place en passant, une place éphémère, une trace qui disparaîtrait dès que j'aurais quitté la ville. L'endroit où j'avais été laissera un petit trou, et le trou lui-même disparaîtra comme les châteaux dans le sable. Je ferai d'autres trous ailleurs, dans le quotidien d'autres personnes, et chaque fois, jusqu'à ce que j'y reste, le trou disparaîtra à son tour, car c'est une loi de la physique que l'on nous apprend dès tout jeunes : la Nature a horreur du vide.

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