vendredi 30 mai 2014

29 mai 2014 - Toronto 4

En entrant dans le quartier du Kensington Market, je gardais en tête la description que m'en avait faite mon amie : un “Williamsbourg ethnique”. Il y avait de quoi piquer ma curiosité : Williamsbourg est un quartier de Brooklyn près duquel j'ai vécu quelques mois, célèbre pour son équilibre snob et vintage, dans une ambiance chère aux Beatniks d'un temps et aux hipsters d'aujourd'hui. Un beau quartier où il fait bon vivre et se promener, et j'attendais ce cinquième ethnique de Williamsbourg tout en restant pour le moins dubitative.



J'entrai d'abord par le Sud dans des ruelles résidentielles, longeant de petites églises américaines dont le nom était toujours accompagné d'une nationalité telle que la “Brazilian Catholic Church”, par exemple. Le côté ethnique était peut-être là. Pour le reste, les ruelles mangées par les feuillages de printemps ne manquaient pas de charme, l'air était doux, et je flânais en me demandant comment un quartier comme celui-ci avait pu gagner son nom de “Market” : “marché”.



Presque au coin d'une rue un jeune homme à vélo est tombé en tentant je ne sais quelle acrobatie. Inquiète, je me suis approchée de lui pour savoir comment il allait, mais il s'est relevé en vitesse et, sonné autant par sa chute que par sa courte humiliation, s'en est allé sans me regarder. C'est alors que j'ai levé la tête : sans m'en soucier, au détour de la rue, j'étais véritablement entrée dans Kensington Market. Tout d'un coup, je m'aperçus qu'il y avait de la musique tout autour de moi. Les gens entraient et sortaient de boutiques extrêmement colorées, tagguées de rouge, de rose et de vert, aux odeurs de nourriture, d'encens et de poussière, car les restaurants à l'américaine tel que le bien nommé “Big Fat Burrito” cotoyaient des magasins indiens, des boutiques vintage, d'autres de vinyles ou de comic books, et enfin des poissoneries, épiceries et autres commerces d'appoint. Il y avait à regarder partout où je me tournais, et devant moi je manquais de m'étaler sur une voiture posée là, peinte de toutes sortes de couleurs et dont le capot avait été enlevé pour faire de la partie réservée au moteur un bac de gazon et de fleurs. Un camion-glace passa à ce moment-là avec sa petite musique familière et alors que je le suivais des yeux se déroulaient derrière lui les façades et les gens comme sur une longue fresque animée. Les musiques contradictoires et les couleurs complémentaires distordaient presque les sens, et pour un peu c'était un quartier sous acide.



Je me demandais encore si j'avais imaginé, une seconde avant, ces petites rues tranquilles, fleuries, jolies et ringardes, agrémentées de ces inquiétants panneaux “Neighbourhood watch” (surveillance de voisinage) qui rassurent les américains ou canadiens et inquiètent les autres ; ces ruelles à peine épicées de temps à autres par les panneaux oranges ou verts des partis politiques, que les habitants plantent dans leur jardin pour soutenir leur candidat favori aux prochaines élections, sans que cela provoque d'ailleurs d'émoi entre voisins d'opinion différente. Mais elles étaient bien là : qu'un mauvais détour m'amène hors du Kensington Market, toute trace de son existence disparaissait, mais lorsque je m'y engouffrai à nouveau le reste du quartier s'effaçait.



J'y suis donc restée un moment avant de me laisser porter quelques blocs plus loin vers Little Italy. Autour de Kensington Market, dont aucun quartier n'aura mieux mérité son qualificatif de “Williamsbourg ethnique”, fleurissent les quartiers ethniques qui déclinent toutes les grandes villes américaines en couleurs variées : Chinatown, Little Italy, Portugal Village, et ainsi de suite. Dans Little Italy j'ai retrouvé mes amis pour une glace Sicilienne avant de repartir avec elle vers High Park, tandis que lui se rendait à une réunion professionnelle.



J'attends toujours de voir des ratons-laveurs, ces fameux “raccoon” qui ennuient tellement les américains car ils sont assez intelligents pour ouvrir des portes, trouver les poubelles, voler la nourriture. Mais ce ne fut pas pour cette fois. Par contre dans ce parc qui a plutôt des allures de forêt, enroulé autour d'un grand étang couvert de roseaux, la faune et la flore sont merveilleuses d'exotisme pour un européen : les écureuils gris américains font place ici pour la plupart à des écureuils entièrement noirs au pelage brillant, pas farouches pour deux sous. J'y ai aussi observé longtemps un petit oiseau entièrement rouge vif, auquel un bec noir et une houppette rouge sang donnait des airs de petit diable, ainsi que d'autres oiseaux dont le plumage avait les couleurs changeantes du pétrole, des couleurs qui en étaient aussi soyeuses que le cou des colverts mais bien plus éphémères, et partout autour de cette nature agitée, des érables, retenant majestueusement les terrains en pente. Il aurait fallu avoir un oeil sur chaque branche et chaque détour du sentier.



C'est une heure plus tard au “Bar Hop” que nous avons terminé notre journée, discutant avec mon amie et son mari, qui venait de quitter sa réunion, de ce qui faisait la beauté des gens et ce qui nous permettait d'en juger, glissant imperceptiblement vers le sujet tentant de l'amour et ses petits désastres. Nous sommes arrivés en rentrant à la maison à cette conclusion que deux choses transformaient, grandissaient les gens plus rapidement que toute autre : l'amour, et les voyages. Faute de l'un, j'ai l'autre.

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