dimanche 18 mai 2014

18 mai 2014 - Montréal 1

Et Dieu paraît-il inventa le dimanche. C'était une drôle d'idée. Les dimanches tel que je les connais sont des jours blancs, sans saveur, ombrés d'ennui et de vent, en deuil de la joie et l'énergie de la semaine. Il inventa ce point final interminable à une phrase qui commençait le lundi, et il en écouta l'intonation s'étirer et faiblir jusqu'à disparaître dans la nuit, définitivement emportée par le dernier programme du soir à la télévision.
Et las de sa propre lassitude, pour s'excuser peut-être, Dieu inventa la Québec.



Et oui, m'y voilà ! Montréal au printemps, dans sa tenue du dimanche, une tenue de tranquillité, veille de jour férié, profite de sa propre douceur. C'est le printemps, ils en sont fiers, ils en parlent beaucoup. Ça s'accorde merveilleusement avec leur sourire. Avec leurs maisons aussi, décorées jusqu'aux toits, fleuries jusqu'aux volets, de petits manoirs colorés aux grands escaliers, alignés sur le bord de large routes. On croirait qu'un architecte lunatique a reproduit les maisons en briques rouges de Brooklyn sur le bord des rues de Los Angeles. Ce qui en ressort je ne l'ai jamais vu ailleurs, c'est à la fois vaste et intime, et me rappelle à quel point l'architecture parle pour les villes. Et celle-ci toute entière, encore une fois, parle d'un dimanche de printemps.
Sur le bord d'une de ces routes, dans une maison de brique rouge aussi différente que les autres, habitent le couple d'amis qui m'héberge, avec leurs quelques colocataires. Antoine me dit qu'il est en vacances pour la semaine, et qu'il lui tarde que les vacances se terminent. Pourtant elles viennent de commencer. Mais il est perchman, enfin, et je me souviens de lui en France, sur le tournage bénévole où je l'ai rencontré, désespérer de faire enfin le métier qu'il aimait. Le jour de ses 27 ans, sur ce continent décidément plein de promesses, il commençait enfin la vie qu'il craignait en France de devoir abandonner. Et chacun de ses amis me parle avec la même excitation de son métier et de cette ville, et c'est pour eux à peu près la même chose. Comment ne pas aimer un pays qui croit en vous ? En France, mes amis sont perdus : au printemps, il faut décider de “l'année prochaine”. Continuer des études interminables, trouver un contrat pour six mois, faire ses comptes, faire le point de ce dernier stage d'un mois et demi, payé 200€ pour plus de 42h par semaine, avec à la fin pas même un mot de félicitation. Ce même dimanche, des deux côtés de l'Atlantique, les mêmes amis parlent des mêmes métiers, les uns pleins d'aigreur et de fatigue, les autres plein d'espoirs et d'envies. C'est un peu le pouvoir de l'étranger, c'est aussi le pouvoir du Canada.



Je discute avec ces gens légers, faciles, aimants, dans leur belle maison tordue aux parquets brillants, je m'endors ensuite avec deux d'entre eux, après le repas, sur trois canapés, et me réveille pour trouver un thé brûlant laissé à mon intention devant mon visage. J'entends dans le salon deux autres des colocataires discuter de leur “belvédère” (une petite terrasse à l'arrière de leur maison), de leur “boudoir” (un rebord de fenêtre recouvert de bois sombre chauffé par le soleil), et de leur “jardin” (le gigantesque parc qui longe la maison), et me rends à l'évidence qu'il y a des gens engoncés dans leur vie comme dans des cols étroits, et d'autres qui laissent leur vie enfler, prendre toute l'ampleur de leurs désirs. Cela tient à la ville, à tout cet espace, aux larges sourires, à la gentillesse mythique des canadiens. Cela tient à ce que sur ce continent on reconnaît encore l'art, la culture, et la jeunesse. Cela tient aussi et tout simplement à ce qu'ils ne sont pas aujourd'hui sur la terre où ils sont nés, et alors quand on a traversé l'océan, qu'est-ce qui peut nous arrêter ?



Je les comprends tellement, et pour cela, encore, l'étranger est mon espace le plus familier, l'inconnu ma terre la plus rassurante. Il faudrait pouvoir terminer ce texte par un premier mot. Ce mot serait “dimanche”.

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