Je ne cesse de penser à la deuxième
fin de cette thèse.
Jusqu'à récemment,
chaque fois que je la contemplais, une image me venait, absurde
autant qu'irrépressible. Je me voyais donner un brutal coup de
poing. En boucle, je hurlais en lançant mon bras droit de toutes mes
forces. Mais surtout, je me voyais, à l'autre bout, le recevoir. La
violence, la noirceur, je ne les nie pas. Mais dans cette violence il
y avait du soulagement. Du soulagement dans l'air que je fendais, du
soulagement dans les ongles qui faisaient saigner la paume de ma
main, du soulagement dans mon visage écrasé et dans ma joue brisée.
Je ne voulais pas en parler, parce qu'il y avait du soulagement. Mais
ça ne s'arrêtait pas.
Il m'arrivait d'ouvrir
les yeux la nuit et qu'avec l'idée de ma thèse me vienne celle de
donner – et recevoir – ce coup de poing. Je regardais
la scène, clairement, sur l'écran obscur de ma chambre. Si pendant
la journée je chantais quelques notes sans penser à grand chose,
l'image me revenait comme une rengaine tenace. La thèse était dans
la violence, elle était dans la douleur, elle était dans la
tristesse et dans l'énergie et dans la force et le renoncement et la
rage et le sang et la fierté et le plaisir...
J'ai décidé il y a peu
(ou il y a longtemps, mais de façon trop diffuse, trop timide,
presque honteuse) de me mettre à la musique. Je ne m'étais jamais
sentie si vieille, d'ailleurs, si dépassée. Un ami musicien m'a
conseillé le ukulélé.
J'ai trouvé ça
ridicule.
Un jouet pour enfants,
un instrument sans noblesse. Une guitare de poupée. Mais j'ai hoché
la tête. Je lui ai dit que quand j'aurais envoyé ma thèse, je
m'achèterais un ukulélé. Même le nom prête à rire. On dirait
une comptine des îles, c'est pas sérieux, ça casse où ça devrait
glisser et ça bégaye sur la fin. Mais je l'ai dit :
« ukulélé » comme on dit : « abracadabra »,
ça sonne tout aussi bête.
Mais depuis, quand je
pense à ma thèse, je me vois avec dans les bras le minuscule
instrument. Les doigts malencontreusement posés sur les cordes. Je
le tiens comme un enfant, mais sans peur de le briser. Bêtement,
curieusement, je n'en fais rien, du bout de bois rond, dans cette
pensée fugace, cette nouvelle rengaine. Mais je sens alors, comme je
sens le clavier sous mes doigts à l'instant, le bois sous mon bras.
Je le sens contre ma poitrine, je sens son arête au dessus de ma
côte. Je n'en joue pas – même en rêve, j'ai cette drôle
d'humilité, j'ai peur de faire affront à la noblesse de la musique.
Je n'en joue pas, mais quand j'ouvre les yeux la nuit, je le sens
contre moi. Quand je chantonne un petit air, son bois me sert de
rengaine. Quand je me projette à l'orée de l'après-thèse, je
pense à ça. L'après-thèse est dans la chaleur de ma peau et la
fraîcheur de son bois, dans la pression fine des cordes à
l'intérieur de mes doigts, dans la légèreté de l'objet et la
tendresse qu'il anime.
Je ne subis plus le
passé, je rêve le futur. C'est cassé au début, mais ça rit sur
la fin : ukulélé.
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