vendredi 29 mars 2013

29 mars 2013 : Londres vol. 2

Patchwork d'une journée



Victoria and Albert’s Museum : exposition David Bowie.
J'aurais aimé découvrir cette exposition dans mes années collège. Il serait devenu pour moi une sorte d'idole hybride, mi-homme mi-femme, mi-bête mi-être. J'aurais pris conscience de mon droit à exister non pas au travers de mon milieu, de ce que la mode ou la loi du plus fort nous autorise à être (particulièrement à cet âge-là), mais au travers de ma culture, de ma volonté. J'aurais appris que je ne suis pas ce que je veux, et de fait que je ne suis pas coupable de ce que je suis, car je suis simplement la somme de mes goûts, de mes sentiments, de ma volonté, de mes propres restrictions. Et que mon choix réside dans la façon dont je vais utiliser ma palette -ma voix, mon corps, mon genre, mes mouvements, mes vêtements, ma tenue- pour dire ce que je suis.
Aussi aujourd'hui j'y trouve une ode à l'individualisme, à la consommation, à la superficialité. Ce sont des mots bannis, peut-être depuis toujours : les mots qu'on prête aux requins. Mais pour moi individualisme, consommation, superficialité, cela signifie le droit d'être soi devant le monde et de se remplacer éternellement par un soi plus neuf et plus soi encore que le précédent. Cela signifie encore se manifester non pas dans la rébellion, mais dans la simplicité de s'autoriser à être. L'individualisme, la consommation, la superficialité, c'est notre droit à l'étrangeté.



Au repas toute seule à une table. Une vieille japonaise s'installe à côté de moi et prend des photos de son repas : un thé vert, un gâteau au chocolat et un brownie. Je me demande si elle les a pris pour les manger. À la sixième photos je réalise que peintures, costumes et objets de ce musée n'ont sans doute pas eu droit à tant de portraits de sa part. Vient s'installer une famille. Elle reconnait au premier coup d'oeil qu'ils sont eux-même japonais, moi il me faut plus de temps pour passer en revue leurs traits. Elle demande au père de la prendre en photo. Ils parlent. Vous venez d'où?… Et vous?… Nous on est là car notre fils est pris dans une école à Londres (lequel est vêtu d'un costume d'écolier anglais). Oh! Félicitations! -Merci madame (le petit aimerait bien qu'on le laisse manger son gâteau tranquille). Et moi je suis…. Là j'ai arrêté de suivre. C'est donc après cinq minutes de conversation que je me suis rappelée que je ne comprenais pas le japonais. Pas un seul mot. J'ai réalisé que vraiment à l'heure de la mondialisation il n'y a pas grand chose qui nous différencie, et si nos langues sont différentes notre langage, lui, est le même.



Exposition d'artefacts japonais. «Nous vous invitons à toucher cette statue de la tête de Bouddha». Il ne s'agissait pas de la large tête ronde du bouddha rieur dont on devrait frotter le ventre, mais la tête fine, c'est-à-dire féminine, d'un Dieu de douceur. Et en touchant son visage on a l'impression de caresser le visage d'une femme. J'en étais presque gênée.



Expositions en tous genres : le V&A, c'est une sorte de musée chéri. Je n'y découvrirai pas les artistes à citer pour briller dans les repas, pas de Bacon ou de Picasso, peu de peinture, mais j'ai une admiration profonde pour ces costumes, ces artefacts, ces sculptures. C'est un musée en trois dimensions. Le musée des magiciens et des hommes qui font le show depuis des siècles sur tous le continent. Des hommes qui se montrent par leur mobilier, leurs costumes et leurs arts. Des cultures qui se prouvent chacune plus grande que les autres. De grandes choses dans de petits objets.



Je me suis retrouvée je ne sais comment tout près de la City, dans un quartier incompréhensible, où les buildings de bureaux et le célèbre Canary Wharf surplombent des immeubles d'un autre siècle, que j'aurais cru sortis des coins huppés de Brooklyn. Parce que c'était le soir, les filles en haut talons et mini-jupes, qui auraient paru vulgaires si elles n'étaient pas couvertes de robes à 1000£, faisaient la queue devant les boîtes huppées en attendant le chaland en costard. Parce que c'était le soir, les rues étaient orangées, et je me sentais bien malgré le froid. Les filles les plus sophistiquées avaient ce style rétro jusque dans leur coiffure et leur maquillage, et elles étaient particulièrement belles. Elles venaient de se décoller de mes posters de pin-ups, de mes rêves de femme forte des années 50, et passaient devant moi sans me regarder comme je l'attendrais des femmes que j'admire. C'est cette phrase de Woody Allen, à moins que ce ne soit Groucho Marx : je ne voudrais pas faire partie d'un club qui accepterait des gens comme moi comme membre. Bref, il y avait de la beauté, de l'élégance près de Liverpool Street. J'ai fumé ma première cigarette en 9 mois, pour le style parce que c'est la meilleure raison que j'ai jamais eu de fumer. Et je me suis ré-engouffrée dans le métro. Une partie de moi aurait aimé que ce soit ma place, mais ce n'était pas la cas. Pas encore.



Le soir c'est concert acoustique du côté de mon auberge, laquelle est à l'origine un pub. Une dame m'accoste, on discute un peu, elle a la coiffure de quelqu'un qui fait attention à son style, et l'air avenant et légèrement impatient de quelqu'un qui se sent seul. J'ai toujours beaucoup attiré ce genre de personnages, sans doute du fait de la tendresse que je leur porte. Au bout de sa troisième pinte (à la fin de ma première j'avais déjà les joues rouges et le sourire hagard) elle me dit fièrement que cela fait trente ans qu'elle vient dans ce bar. Sa façon de tenir l'alcool et son habitude du lieu font certainement d'elle une alcoolique, et pourtant au premier abord je lui aurais tout juste donné les trente ans qu'elle disait avoir passé dans ce pub. Au fur et à mesure de la soirée je me suis ravisée sur son âge, mais j'ai quand même été soufflée quand elle m'a assuré avoir quarante-sept ans. DJ à la retraite (ça ne s'invente pas, oui mesdames et messieurs nous arrivons déjà à l'époque où les DJs prennent leur retraite), pilier de bar toujours en service, elle s'essaie à deux-trois mots de français tout en croquant dans une pizza, ma pizza (que de toutes façons je n'ai pas terminée, même avec son aide). Elle m'offre une bière, que je refuse 5 fois, puis que j'accepte, sans trop savoir pourquoi. À peine mon verre à la main un homme d'une quarantaine d'années m'accoste, en espérant m'offrir un verre. Ce n'est qu'au regard du comportement de cet homme que j'ai fini par supposer que la DJ était sans doute lesbienne. Je la devinais déjà en manque d'amour, cela prenait un nouveau sens. Il me parlait donc sympathiquement de voyages et de carrière, me proposant, si je voulais, un job de caissière dans le grand supermarché du quartier ; et dès qu'il avait le dos tourné la jeune vieille DJ se penchait vers moi pour me prévenir “fais attention, Marie, hein, fais attention” d'un air grave et concerné. Il m'est venu à l'esprit qu'il y avait plus de danger à décevoir une folle alcoolique qu'un quarantenaire fêtard qui tente sa chance. J'ai gardé tout ça pour moi, car le litre de bière a eu raison de ma vessie, et je les ai abandonnés tous deux pour explorer le fond de mon lit. Chacun est reparti content, elle avec l'assurance que je descendrai quelques minutes demain voir comment elle se débrouille pour la soirée karaoké, lui m'ayant donné un numéro de téléphone que je n'utiliserai pas, et moi me disant que c'est chouette d'avoir 25 ans : on ne gâche pas totalement les pizzas, on boit à l'oeil et on entraîne son anglais sur des accents compliqués.



Mais, sérieusement : soirée karaoké ?!

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