vendredi 31 décembre 2010

31 décembre 2010 - San Francisco vol.1 San Francisco vol.1

31 décembre, jour de fête, je passe ma première journée à San Francisco, fermement décidée à trouver les Beatniks ou leurs fantômes en dehors des murs de ma sympathique -et peuplée- auberge de jeunesse. Une journée passée comme la houle.


En creux : regarder ma solitude et mon énervement, regarder mon avenir mais il n'y a rien devant parce que l'année se termine, et les rires sont déjà des insultes. Quoi tu es seule ? Tout ce que tu vois est vain petite, car tout ce que tu vois tu ne peux le faire voir. Et tu écris ! Pauvrette ! On n'écrit pas ce qui se vit, ce que tu vis tu le vis seule, et c'est comme si jamais ce n'était arrivé. Regarde ceux qui savent vivre, et ferme-la, trouve-toi une coquille et restes-y. Ils ont bien raison ceux qui aiment leur chez-eux plutôt que le monde. Quand on n'a pas sa maison sur le dos on l'a sur le cœur, et c'est lourd et ça fait mal. Allons belette, trouve-toi un terrier. Cache-toi, regarde la terre d'en-dessous elle y est sans épines.


En crête : fanfaronner. Seule et conquérante, moi contre le monde et moi pour lui, sur un bateau voir Alcatraz, le golden gate bridge, les lions de mer et les requins… J'ai vu le nord mes amis, j'ai vu le sud aussi, moi, moi et moi, et seule encore ! Ayez le courage, dites-moi donc que jamais vous ne l'auriez fait, les yeux pleins d'envie et d'ignorance ! Plus fort, je ne vous entend pas de ce côté du continent ! Dites-moi encore combien il faut avoir de ressources pour partir seule et découvrir, et puis après écrire, et dire que ce que j'ai vu, vous ne le verrez jamais comme moi dans la clarté du sujet seul, de l'être solitaire. Regardez ces touristes ! Ce qu'ils sont gras et bêtes. Nous avons les mêmes appareils, mais des yeux différents pour regarder dedans. Ce qu'ils regardent est aussitôt changé en plastique, en toc. Ah la vilaine Médusa ! Mais moi, mes braves, j'ai le bouclier ! Gravée par l'aventure, poli par le courage ! Oui, oui, voyons, ce début d'année ne ressemblera à aucun autre !


En creux : moi, différente d'eux, vraiment ? Me voilà pourtant au Pier 39, où je passe ma journée. Un Alcatraz à touristes. Vous y entrez, vous êtes piégés : des objets souvenirs à en vomir des mugs, des photos sur fond vert pour la forme, des restaurants sans âme (j'ai choisi un Hard Rock Café, pour la forme, sans y croire, il y avait là la guitare basse de George Harrisson, et son trop plein d'âme zen ne suffisait pas à réchauffer le lieu), et puis des attractions qui ont été l'Histoire. Je monte sur le bateau qui longe la côte en balançant nonchalamment, blasé du trajet -avec pour commentaire la voix du soit-disant Capitaine Némo, ils nous auront tout fait ! Jusqu'à la musique de conquistador quand on passe sous le pont. Ça fait pleurer les artistes. Et mourir le passé.



En crête : il y a le brouillard menaçant sur le pont et autour d'Alcatraz. Un air de fantômes, je vois bien. C'est parce qu'Alcatraz est si vide et abandonnée qu'on ressent la présence de ses vieux résidents. L'image suicidaire des flots sur les rochers. La fin du monde sur une île. Un beau pont aussi, et sur la côte San Francisco à travers la brume, toute en verdure et en vallons, souriante et légère, câline et frivole, derrière son voile blanc de mariée.



En creux : je pense à New York la sincère, où rien n'est jamais faux, où tout vient droit du cœur et de la chair. A « Frisco » comme ils l'appellent tout est séduction de bas étage, beaucoup d'alcool et de saleté, de la saleté jusque dans le sourire des gens qui ne veut plus rien dire. Je suis sur Pier 39, ici le sourire est une question d'argent, une affaire.



En crête : le tramway qui n'a pas vieilli, et je veux dire par là qu'il n'a pas rajeuni, et le conducteur rigolo qui ne veut même pas voir mon ticket. Ce soir, les tramways sont gratuits, « seulement si vous buvez », qu'il dit le contrôleur, « seulement si vous êtes soûl ». C'est dans l'air d'ici, l'alcool est de toutes les fortunes. Peut-être que là sont les Beatniks ?



En creux : je ne crois pas, ici on boit pour la luxure, pour la faim, on trinque avec la bêtise et rit avec elle. Les beatniks je crois buvaient pour l'énergie : écrire, parler, fêter, jouer, séduire, croire trouver l'élégance dans l'obscénité des haleines fétides.



En crête : je passe ma soirée dans une salle de concert hippie, un vieux lieu réticent à accueillir l'avenir. Où l'on chante Janis Joplin, les Doors, Jefferson Airplane, Santana. En essayant de leur ressembler.



En creux : ce concert aussi sonne faux. A l'heure où on ne croit plus avec passion à la paix et à l'amour, c'est misérable de les chanter. Laissons le passé chanter les chansons du passé, appliquons nous à écrire celles du futur. D'ailleurs voyons les beats sont morts ! Ils ont laissé des livres, et deux-trois conneries dans la tête des gens. Alexander Supertramp, lui aussi il est mort, “into the wild”. Enfin ils sont battus, les beats ! Pour de vrai ! Une bande de crevés qu'est-ce que ça peut bien nous apporter ? Pas mieux que ce sosie de Jim Morrisson qui se roule par terre devant un public sage, voire un brin ennuyé. Ou que cette fausse Janis Joplin derrière ses lunettes violettes. Alors même pour les beaux yeux d'un fabuleux printemps où je me suis trouvée avec, dans les mains, les Clochards Célestes, ça vaut plus le coup. D'ailleurs j'ai même perdu le bouquin.


En crête : 6 asiatiques derrière mon dos qui remuent la tête en cadence pendant toute la durée du concert, dans un exact même mouvement qu'on croirait orchestré pour faire rire.



En creux : aucun de mes amis ne me souhaite une bonne année, je dois être trop loin des heures. Ceux que j'aime dorment. Je traverse dégoutée, dans chaque rue, des foules de très belles filles en jupe si courtes qu'on croirait des ceintures, au bras d'hommes fiers et arrogants, machistes et vulgaires. Les plus ivres d'entre eux me souhaitent la bonne année, les moins ivres d'entre elles me jettent des regards en biais.


En crête : pour répondre à une promesse faite à moi-même, je me retrouve les pieds dans le sable pour fêter le passage à l'année nouvelle. Je n'ai pas eu à marcher longtemps, San Francisco a gardé ses petites plages pour les vieux romantiques, à peine sorti de la ville et les voilà. Je pense à l'Italie, où il fallait marcher pendant des heures pour trouver une plage qui ne soit pas privée. Des heures de marche dans la nuit après des journées d'autostop. Gênes surtout. A en devenir fou. Et puis sur les conseils d'un vieil italien, la plus belle crique d'Italie, enfin. On s'y endors sans mal bercé par le son des vagues, on se réveille sous la chaleur du matin, entouré de vieux italiens vrais de vrais. Un croissant, je saute à l'eau, elle est limpide. Il est 7h du matin. C'est à cela que je pense, et aux gens qui me manquent, surtout -que font-ils à dormir ?!- les pieds dans le sable, en regardant les ponts illuminées et les vallées de lumières.


Comme la houle donc j'avance, un peu fatiguée, un peu mal sur la mer, peu confiante en ce qui me vient et me viendra, peu décidée de mes choix, à peine reposée dans l'écriture. La voix sèche mais les yeux brillants, ce sera la fin de l'année 2010.





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