jeudi 9 décembre 2010

9 décembre 2010 - New York vol.36


Le même cookie géant dans une minuscule cave ; les mêmes Falafels sur la 72ème, le même cinéma aux fresques kitchissimes, le même pont de Brooklyn, les mêmes amis, les mêmes cours, les mêmes américains, les mêmes merveilles mais cette fois tout a d'autres couleurs. Mes dialogues imaginaires, mes compagnies de solitude se sont envolées pour laisser place à mon homme.

Alors tout est plus facile. Moins grandiose, moins envahissant peut-être car le pont de discours entre nous deux rend tout le reste étranger. Les immeubles qui pénétraient ma solitude nous regardent désormais, impuissant. Tout semble fait de joies simples et d'humour, et c'est encore un autre New York que je découvre, le dernier peut-être.


Le dernier. Mes dernières classes sont la semaine prochaine, j'ai des devoirs en avalanche, des billets d'avion à acheter, mon école en France à contacter, ça sent la fin, déjà, et comme toujours je ne comprends rien, pourquoi le temps passé parait toujours si court et le temps à venir si long ? Quand on naît il nous reste cent ans à vivre, et quand on meurt on a vécu 10 ans. C'est de l'anti- fatalité. Qu'importe, j'en suis là maintenant.


Je travaille toujours sur le projet de cette mexicaine, l'oiseau bleu. Le premier week-end de tournage s'est passé sans encombre. Jamais un tournage ne ressemble à un autre, jamais je n'en ressors avec la sensation d'avoir vécu quelque chose de banal. Les tournages sont toujours étranges, étrangers, et même le plus organisé paraît toujours tordu et mal foutu. Mais les différences culturelles jouent aussi dans la chose. Après un tournage entièrement composé de Coréen, me voici sur un autre entièrement composé de Mexicain. Dois-je préciser que tout est différent ?


Me voici propulsé sur un tournage ou “God bless you” (Dieu te bénisse) sert de “merci” et où mon travail est essentiellement de remplacer des portraits du Christ par des jouets d'enfants. Soit. J'ai trouvé deux oiseaux, qui piaillent derrière moi en ce moment même, mécontents que la lumière du matin les ai sortis de leur torpeur de petit animal. J'ai trouvé dans le New Jersey (loin, très loin) un site de location d'accessoires appelé “Anything but Costumes” (tout, sauf des costumes), dont je n'ai pas besoin d'expliquer ce qu'ils ont en location. A des prix défiant toute concurrence. Pour une poignée de dollars on peut y remplir un camion et le garder 28 jours. Un pays des merveilles du décorateur. J'ai donc pris mon homme sous le bras, c'est toujours utile, et nous avons embarqué dans un camion conduit par un américain vrai de vrai (19 ans il en faisait 30, car les américains sont massifs) pour un périple ridicule : aller tout à l'est du New Jersey chercher les accessoires, puis tout à l'ouest dans Long Island les déposer sur le lieu de tournage du lendemain, le tout à l'heure de pointe. Nous avons passé 7h30 sur la route, l'un de nous obligé de s'asseoir à l'arrière du camion sur le matériel ou sur les accessoires, accroché à la grille. J'ai trouvé ça drôle. Pressés par le temps -qui n'a pas ralenti en notre honneur- nous sommes arrivés sur le site juste avant la fermeture. Dans un hangar gigantesque trois grandes femmes rustres luttaient contre le froid dans d'énormes manteaux, et parlaient d'une voix de femme des cavernes. Je suis entrée avec les yeux qui brillent. Jamais je n'avais vu ça et croyez-moi, jamais vous ne l'avez vu. Du sol au plafond, sur des parquets grinçants, un bric-à-brac d'objets de toutes époques, entassés sans soin et sans ordre apparent sur des étagères rustres. Certains, souvent loués, ont gardé de leur lustre, d'autres s'évanouissent sous la poussière. Et ici les jouets, ici les lits, ici les lampes, et les paniers, les tableaux, les pots à cookie, les horloges, les portes, les fours à bois, les sacs, les… je ne sais même plus. Tout. Même ce à quoi vous ne pensez pas.


Le lendemain, sur le tournage, les choses sont allées vite. Deux gamins jouaient leur rôle à merveille. La petite fille me laissait pantoise. une véritable enfant moderne. Mignonne, bien sûr, 8 ans, sûre d'elle-même, impertinente, fatigante. Je la détestais déjà 3 minutes après son arrivée. J'ai appris à l'apprécier au cours de la journée. Elle parlait et savait tout mieux que personne, et regardait les gens de haut même et surtout quand ça lui était physiquement impossible. Une Dakota Fanning, une vraie. Mais surtout, elle était intelligente. Un peu trop pour son âge parfois. Ses parents étaient allemands, elle allait dans un lycée français, elle apprenait l'espagnol. Elle a donc passé la journée à parler aux uns en Espagnol, aux autres en anglais, à moi en Français et à sa mère en allemand à une vitesse qui défie l'entendement. Son français était même d'un registre de langage légèrement trop élevé, sans aucun accent et sans aucune faute, de sorte que son arrogance de petite blonde utilisait sa langue comme un jouet de plus. Mais au fond, elle était meilleure réalisatrice que la réalisatrice elle même, et son expérience d'enfant s'élevait déjà à de nombreux films. C'était parfois drôle, parfois triste, en tous points américains.


Mais au fond si la petite fille avait connu déjà de nombreux tournages sans que l'on sache très bien qui d'elle ou de sa mère en était le plus fière, je sentais le plaisir que cette môme avait d'être là, et c'est donc le petit garçon qui m'attristait un peu parfois. C'était un enfant, avec tout ce que cela peut signifier dans ses difficultés d'attention, et il était certainement moins bonne acteur que celle qui jouait sa petite sœur, mais il n'était jamais faux, toujours sincère. Or mon travail pour toute une moitié de la journée a été d'empêcher le père d'aller faire le manager de son fiston : “Je trouve que dans cette scène tu ne paraissait pas assez fatigué. Ressaisis-toi ! Qu'est-ce qu'on a dit la dernière fois ?”. Ce qui d'ailleurs était véritablement un cri d'appel à l'aide. l'envie d'avoir l'air de comprendre, de savoir, de maîtriser son fils tandis que hors du plateau il expliquait à quel point il n'avait plus aucun ascendant sur son autre fils de 14 ans. Il me semblait qu'il aimait l'idée que son plus jeune fils soit acteur parce qu'il lui semblait alors modelable, contrôlable. Il discutait seul avec l'actrice qui jouait la mère, laquelle avait dans la réalité deux enfants, de 13 et 16 ans. Le père parlait des siens, elle parlait des siens, et je prenait des photos. Il semblait triste et hagard et puis tout d'un coup “vous avez l'air d'être une femme très bien, et d'après ce que je vois vos enfants doivent être très bien aussi, mais est-ce que par hasard les vôtres seraient devenus comme les miens de sales connards ? ("fucking assholes” dans le texte)“. Le sourire imperturbable de l'actrice s'est imperceptiblement figé. Et tout d'un coup je l'ai vu ôter son costume d'égal pour enfiler celui de mère. Elle le rassurait, lui parlait de l'avenir, il regardait ses pieds. Ce sont des choses que mes photos ne seront pas montrer. Je les ai laissés.


Le soir, la fin du tournage approchant, les gamins fatigués et excités sont devenus fous. Ce qui me laissait un gros travail : refaire les lits, remettre les jouets à leur place, réparer le camion de pompier, les empêcher d'envoyer les oiseaux valdinguer à coup de ballons de foot… Mon décor, dont j'étais par ailleurs assez contente, semblait devenir un terrain de bataille.


Le tournage est arrivé à sa fin, il n'était pas très tard, et après avoir passé une heure ou deux à remettre tout exactement dans son état d'origine (il s'agit surtout de ne pas déplacer Jésus dans la forêt de plus de 4 centimètre, ou comment le christianisme devient du Feng-shui), nous nous sommes entassées dans une voiture, 7 dans une voiture pour 5, 5 mexicains et moi, conduits par un américain et alors l'ingénieure son a lancé "c'est fou ce qu'on a l'air mexicains dans cette situation !”. Nous avons tous explosé de rire. Et samedi, c'est reparti pour un tour.





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