samedi 13 janvier 2018

INDE, Kochi - 13 janvier 2018

Quand vous rencontrez Yasmeen, à moins d'avoir vendu son âme à quelque démon, vous retournez nécessairement en enfance. Pas uniquement parce qu'elle est rigolote, grosse, gourmande, malicieuse, mais aussi parce que quand un être de quelques tonnes vous regarde avec ses yeux frippés et sages tandis que vous lui caressez la trompe prudemment, vous vous sentez tout à coup petit et naïf. Sans doute les éléphants ont-ils de la mémoire, mais je les soupçonne d'avoir la mémoire de nos propres grands-parents en même temps que la leur.

C'est pourquoi ce matin j'étais une petite fille en chevauchant le mastodonte qui récupérait de droite et de gauche des friandises à se mettre sous la trompe. Je riais de même en m'accrochant à sa grosse patte qui me montait comme un ascenseur à son dos poilu. Je riais plus encore quand elle finit par m'asperger de litres d'eau avec sa trompe en arrière. J'étais vraiment satisfaite, vraiment insouciante.

La grand mère avait son prétendant. Son guide était un très beau vieil homme moustachu qui, muet et clope au bec, la regardait les yeux plissés, du coin de l'oeil, quand elle tardait à avancer, en lui chuchotant parfois au creux de ses grandes feuilles des «Ba ! Ba !» qui, je suppose, lui signifiaient d'avancer. Il n'avait pas l'air commode et ne nous regardait pas. Je ne l'ai vu rire qu'une fois (il n'a jamais souri) : lorsque Yasmeen fit tomber son quatre heures (deux bon kilos de tapioca) et décida de commencer instamment son repas, sans égard au petit scooter qui tentait vainement de la contourner. Il y a plus sacré que les vaches en Inde : il y a les créatures qui peuvent vous écraser d'une seule patte. Voilà qui semble sensé.

Je quittais pépères et mémères aux bains, encore aussi légère que lorsque je mesurais 1m20, et pris place à bord du bus qui devait nous amener à Cochin. Je grandissais à vue d'oeil pour qui avait le bon, à la façon d'une Alice qui aurait bu ceci ou mangé cela, que sais-je. Un petit bout d'insouciance était encore allumé, et cette fragile lanterne guidait mon regard vers ses pareilles. J'aime les petites filles indiennes, maquillées dès bébés, boucles d'oreilles, colliers et bracelets dès qu'elles ont l'âge de marcher. Je les trouve belles, et elles le savent. Elles minaudent plus ou moins, les plus timides se cachant tout de même derrière un fauteuil ou un jupon, sait-on jamais que derrière mon sourire se cachent de grandes dents...

Le contrôleur du bus, parfois agaçant en cela, empêchait systématiquement les hommes de s'asseoir à côté de moi et, au contraire, invitait les petites filles ou leurs grands-mères à s'y placer. Au cours de mes six heures de voyage, j'ai ainsi vu défiler toutes sortes de saris et de breloques et toujours les petites et moi nous lancions des regards complices : elles, parce qu'elles trouvaient désirable et impressionnant d'être une occidentale, et un peu effrayant de porter les cheveux courts et colorés. Moi, parce que je trouvais leur beauté à la fois impressionnante et, moi aussi, inquiétante : elle n'est pas tout à fait celle de leur âge.

Mais au travers de nos timidités respectives, au travers de nos insouciances du moment, je savais au moins une chose que j'ignorais encore ce matin : on a toutes le même âge devant un éléphant.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

3 août 2023 : Summer Camp au Mont Dore

Aujourd'hui j'ai vu le vent danser. La littérature ne s'en lasse pas : les feuilles qui dansent sur les arbres, les fichus sur l...