dimanche 7 janvier 2018

INDE, Pondichéry - 7 janvier 2018

Levés tôt le matin et après notre petit déjeuner à l'anglaise - je supporte moins les épices au réveil que mes compagnons de voyage - nous avons sagement longé la plage en vue de rejoindre un temple du bord de mer, le bien nommé Sea Shore Temple («Temple du bord de mer», donc), monument de pierre grise ciselé et entouré de calmes vaches de pierre que nous avons découvert plusieurs heures plus tard.

C'est que, sur le chemin, au gré de nos divagations, nous avons emprunté au hasard un petit chemin boisé entre deux rochers. Prêts à rebrousser chemin dans la seconde, continuant notre route à cause des petits crabes («regarde ce qu'il est rigolo !») et des petits singes («regarde ceux-là qui se papouillent» - «s'épouillent» - «se papouillent ET s'épouillent, et m'emmerde pas»), nous avons marché encore quelques mètres avant que les rochers ne s'amenuisent, s'ouvrant sur le spectacle stupéfiant en contrebas d'un bon millier d'indiens se jettant dans les vagues.

Stupéfiant, ce n'est pas dit à la légère : en plein milieu d'une conversation engagée sur la généalogie indienne des roms et des manouches, je me suis arrêtée de parler non pas au milieu de ma phrase, mais au milieu d'un mot. J'ai arrêté de parler, de marcher et, je crois bien, de cligner des yeux, comme si le spectacle devant moi occupait trop de parts de moi-même pour que je puisse continuer à assurer quelque fonction que ce soit.

Tous les indiens étaient en rouge et or, hommes et femmes. Pas un seul touriste à l'horizon n'entâchait le bel ensemble, et les tissus dorés flottaient sur les vagues autour de tous ces gens, les femmes tenant la main de leurs vieilles mères ou leur glissant de l'eau sur le dos. Personne ne nageait, d'ailleurs aucun d'eux ne sait faire, et chaque petite vague provoquait parmi eux un frisson d'excitation, comme le vertige des hautes tours pour les peuples occidentaux.

Nous sommes descendus au cœur de cette agitation, un peu inquiets d'être aussi mal assortis à la foule que l'étaient nos T-shirts blancs au milieu de ces tissus incandescents sur l'eau. Des indiens venaient par dizaines demander des photographies de nous avec leur enfant, leur ami ou leur sœur. Certains payaient un photographe pour être certains de capturer leur rencontre avec nos têtes pâles (qui auront toutes trois virées au rouge avant même le déjeuner).

Nous avons longé pendant plus d'une heure la plage et le long marché que la foule empruntait jusqu'à elle. Si nous avons pu nous rendre au très beau Shore Sea Temple, si nous avons vu les 5 temples en forme de chariots des Five Rathas, ainsi que les montures en pierre qui en accompagnent les dieux (un superbe éléphant, un gros lion, une belle vache), si nous avons monté la colline près de la boule de beurre pour visiter les cinq ou six temples qui y sont entièrement creusés dans la pierre (non pas construits : creusés), si nous avons observé de ces hauteurs l'horizon de la région, la mer, les palmiers, et les villages qui décorent le sol de véritables mandalas, si nous avons fait le trajet jusqu'à la belle ville coloniale française de Pondichery dans laquelle je me prépare à dormir, c'est malgré tout cette foule rouge et jaune se jetant dans l'eau et la craignant, riant et criant, qui restera le monument de ma journée. Comme les embruns viennent à bout des montagnes de granit dans lesquels sont sculptés les temples, quatorze siècles d'histoire et d'art ne peuvent rien contre un bon millier de gens qui ne pensent qu'à l'instant.

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