lundi 8 novembre 2010

8 novembre 2010 - New York vol.30

Je suis sous terre à Manhattan, Brooklyn de l'autre côté du pont m'appelle de son silence de vieux quartier, le métro accélère, il tangue, il gémit encore et sans pitié je me marre, parce qu'un jeune barbu me raconte des histoires de photographe, et je me marre parce que je m'en fous, parce que je l'aime bien, parce que je rentre chez moi.





Je suis à Brooklyn, mes doigts glacés se jettent sur le col de mon manteau, je me bat contre le vent qui me lance ses milliers de pics de glace, je me bat contre le vide de ce quartier industriel. Pas une âme, pas un moteur vibrant, pas un chat. Un lampadaire pitoyable qui n'éclaire pas plus que son propre globe, des vieilles usines de monde en déroute, un clochard endormi sur ses marches, dans une niche de vieux machins poussiéreux, qui boit le goudron à grandes lapées de misère, et puis le vent hurlant sur les dalles de béton et le fer barbelé.


Comme il siffle sur le silence ! Il me raconte la fin du monde : c'était il y a vingt ans, trente, peut- être plus. Il n'est plus resté que ces murs de brique fatiguée, ce clochard et le vent. Les noms de rues sont fatigués, blanchis et effacés par le souffle incessant. Ce matin, l'un des panneaux avait disparu, volé ou envolé. Ce qu'il reste d'ici se désintègre, les bourrasques portent les limbes sur ce morceau de pas-grand-chose.


Je distingue le bruit léger des mocassins d'une petite chatte en veste de jean, elle me dépasse en trottinant, clés à la main, et disparaît vite dans quelque immeuble en miaulant contre le vent.


J'attrape mes clés, c'est tôt encore, mais j'ai envie d'un flingue pour tirer dans le vide comme les vrais désespérés quand leur monde est terminé, mais je n'ai que mes clés, je les chope du bout du doigt dans la profonde poche, et je les attire sans les sentir, mes doigts aussi froids qu'elles, et je ne sais plus de ma main ce qui est moi et ce qui est elles.


Je rase trop un mur, il m'écorche la main, je ne sens rien, un tout petit peu du sang chaud qui affleure, insecte fidèle sous ma peau.


Les usines s'écrasent en tas de poussière autour de moi, et j'arrive à la mienne, d'usine, la clé est déjà prête, je tire la porte à moi avec l'épaule, car mes doigts ne peuvent plus rien, le couloir est plus froid encore que le vent dehors. J'ai dû maugréer quelque chose, car les murs noircis de vandalisme me renvoient leur réponse. L'escalier en métal sonne sous mes pas la chanson de l'hiver, et du dernier être vivant sur terre. Ma porte est là, minable, je la passe, je ne regarde même pas autour de moi le couloir immense du Loft où nous sommes sept à vivre sans presque jamais nous croiser. Très vite je passe devant les gueules de chien qui dépassent de la sculpture de mon colocataire sculpteur. Très vite devant les yeux de cette femme peinte par mon colocataire peintre. Très vite devant la photographie géante de fourmis minuscules de mon colocataire photographe. Au fond tout au fond, du rouge des dernières chaleurs, ma chambre m'attend. Je rentre, et j'allume le petit chauffage électrique. Les mains me crient la douleur de cette chaleur soudaine, et je les regarde crier avec perversité, je sens la chaleur revenir, et tant mieux si elle fait mal, je la sens dans mes doigts, et le reste de mon corps se détend du bien être facile. Alors je lève les yeux sur ma chambre. Une petite maisonnette en bois trône au milieu, avec ses volets multicolores qui s'ouvrent sur ma chambre elle- même, et le gros canapé bouffi, et les grosses couettes de chat, et les deux bureaux, et de l'espace, de l'espace à ne plus savoir qu'en faire entre ces quatre murs rouges, jaunes et bleus. Et entre eux le monde renaît. Des centaines de bouquins empilés sur le sol, que j'ai dépoussiéré un à un, découvrant des Neruda, des Zweig, des Dostoïevski, des Hemingway et même, juste pour le clin d'oeil complice, deux Philip Roth que j'ai embarqués dans ma chambre, me vient la présence des vieilles pages. La télévision, fixée sur deux jambes de mannequin et qui, c'est un comble, ne marche pas, joue avec moi à 1-2-3 soleil. Et gagne systématiquement. Une dizaine de vinyles de chants de noël ringard font de l'œil à l'hiver, mais surtout ce sont toutes ces couleurs qui me rappellent à la vie : mes feutres fluorescents sur l'un des bureaux, ma guirlande lumineuse sur l'escalier, mes fils de couleurs bien rangés dans leur petite boîte transparente. J'entends ma voisine rire, comme chaque soir à cette heure-ci. Et enfin, en regardant par ma fenêtre sale le vent dehors qui se bat contre rien et pour rien, je me venge en mettant de la musique vivante, dansante, vibrante, Rawhide !, pour couvrir le hurlement incessant.


Maintenant, dans mon grand nid tout de bois vêtu, qui ferait sourire même les soldats d'acier de Buckingham, il ne me reste plus qu'à danser jusqu'à la salle de bain et puis me jeter en désordre sous les énormes couvertures.





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