mardi 14 septembre 2010

14 septembre 2010 - New York vol.10

Le 11 septembre, j'ai cru ne pas voir grand chose.
J'ai cru que les New-Yorkais commençaient à s'en moquer un peu. Mais en réalité c'était moi qui m'en moquais.
J'ai passé une journée très agréable de touriste modèle en compagnie de deux amis. Visite de la statue de la liberté, du musée de l'immigration sur Ellis Island, puis coucher de soleil sur le lac Onassis dans Central Park, puis on est allés manger des sushis excellents, puis fumer deux chichas dans East Village, et enfin, nous sommes allés sur le Brooklyn Bridge, voir l'horloge géante de Brooklyn nous indiquer les 2h du matin depuis l'autre rive de East River. Beaucoup de rires, une journée passée à changer de langue au cours de la même phrase, à prendre différents accents pour se comprendre, à se faire deviner les uns les autres des chansons des Beatles. Nous avons oublié toute une journée durant que nous n'étions pas une journée comme les autres dans le cœur des new- yorkais. Et qu'importe les champs de drapeaux américains plantés partout dans le ville, qu'importe les réunions et les prières, les enfants tendant des roses à des pompiers depuis les épaules de leur père… Il aura fallu attendre la nuit, une fois postés sur le Brooklyn Bridge, sacré pont s'il en est, pour que nous prenions conscience de ces deux immenses lumières qui veillaient sur nous. J'ai cru à une boîte de nuit ou une attraction quelconque comme New York en dispose de centaines. Et pour être sincère, ce n'est que le lendemain que j'ai appris la raison de ces deux énormes rayons lumineux lancés vers le ciel, censés remplacer une journée durant, pour l'anniversaire de leur destruction, les deux tours comme deux fantômes de lumières. Je n'invente pas cet esprit mystique dont les américains ont investi le symbole. Je n'y voyais pas plus que la publicité d'une grosse boîte de nuit, donc voyez comme à moi seule je ruinais la métaphore ! Malgré tout, les centaines d'oiseaux rendus fous par ces lumières, des papillons géants pour une lumière géante, rendaient la scène parfaitement étrange et inquiétante.
Mais ce n'est que le lendemain que j'ai été pénétrée par l'impression de silence de cette journée. Ce n'est que le lendemain que j'ai réalisé qu'il y avait si peu de gens dans les rues, si peu de bruits et de cris, si peu de taxi en pleine course… Bien sûr, la parade du Labor Day avait été annulée, c'était jour férié, les magasins étaient fermés, il y a mille explication à cela, mais qu'une ville aussi folle ait pu être réduite à ce presque silence par un évènement d'il y a presque dix ans, m'a encore une fois fait réaliser l'ampleur de la chose.



C'en est suivi les premiers jours à New York que je puisse appeler “quotidien”… ce travail pour mon école, sur la rencontre des deux personnages dont l'un doit être une très belle femme, m'a pris des heures. Pour une raison ou pour une autre, je m'étais interdit de manger avant d'avoir fini mon texte, et la faim m'ayant rendu cynique le personnage a suivi. Le texte est en anglais, bien sûr, mais je compte quand même le copier dans un prochain article, pour mémoire de la première fois que j'ai essayé de me créer un style dans une langue qui n'est pas la mienne. Bizarrement, rarement un travail d'écriture n'avait été si important pour moi. Dans cette langue, absolument rien ne m'est acquis, j'ai encore tout à prouver, comme une enfant qui fait sa première rédaction au primaire. Quelque chose comme “Aujourd'hui je suis allée à la montagne avec papa et maman, j'ai vu un renard et un aigle et il y avait de la neige partout”. Quelque chose comme ça. Le jour où j'ai rendu ce texte à ma “pas jolie mais très gentille” institutrice, elle m'a dit que si tous les élèves lui rendaient des textes aussi long et aussi bien écrit, elle aurait beaucoup beaucoup de travail. J'ai été fière comme un lama (j'ai trouvé l'animal le plus ridicule et le plus fier soit), et j'ai commencé par cette petite aventure une grande histoire d'amour avec la littérature. Et voilà que j'ai ressenti cette même anxiété à écrire ce texte maladroit, et je n'en serai relevée que la semaine prochaine.
J'ai donc passé des heures à marcher, à faire mes devoirs, à chercher à manger, et à chercher désespérément à communiquer avec mes amis et amours en France. Il y a si peu de gens à qui faire partager tout ce que je vis et vois ! Je ne suis pas seulement à 6010.597 km d'eux, mais aussi à 6h de décalage horaire. J'aime être seule, mais j'ai besoin de savoir que le fait que je ne sois pas là compte pour quelqu'un… Et c'est le cas, je le sais, ils me le montrent mais chaque jour je cherche un nouvel indice pour m'en persuader. C'est un carburant social nécessaire je suppose.
Pendant ces quelques jours aussi, j'ai vu la qualité de mon anglais diminuer considérablement. Soit qu'être à New-York me rende plus stupide, soit que je me rende compte chaque jour un peu plus de mes différentes lacunes en anglais, me rendant ainsi plus critique envers moi-même, quoiqu'il en soit je ne suis pas moitié aussi à l'aise avec cette langue que je ne l'étais en arrivant. Ce qui me laisse avec cette double ironie : à New York, je parle moins bien américain, et je maigris. Mais je pense que ces deux ironies vont s'inverser, et ce pour le meilleur et pour le pire : je parlerai mieux anglais, et je prendrai du poids. Il parait qu'on ne peut pas tout avoir dans la vie.
J'ai aussi profité de ces quelques jours de banalité pour visiter la bibliothèque de mon école. A vrai dire je découvre chaque jour de nouvelles facettes de mon école : un bar sans alcool (fruits et jus de fruits) équipé d'ordinateurs Imac avec internet, de canapés zébrés et de murs imitation léopard, qui m'amuse beaucoup et qui a la bonne idée de s'appeler le Monkey Bar Lounge. Mais aussi une cafétéria qui sert entre les cours des cafés et des donughts et qui s'appelle Chez Moe’s, quoique je n'y ai jamais rencontré personne du nom de Moe ; un magasin d'ordinateurs et d'accessoires, vendant aussi quelques vêtements et autres couvertures à l'effigie de notre école préférée (je vous laisse deviner) ; un magasin de matériaux d'arts parce qu'on est quand même une école d'art ; une librairie pour acheter tous ces bouquins que les professeurs nous demandent à prix réduits ; et une bibliothèque pour ceux qui rechigneraient à aller à la librairie. La Bibliothèque donc, est aussi équipée de photocopieuses et imprimantes gratuites, de scanners, d'ordinateurs avec internet, et on y trouve tous les livres possibles et imaginables sur l'art, le cinéma, etc. Un rayon entier pour les scénarios de films et de série, un autre pour les mangas, un autre encore pour les comics et bandes dessinées, et dans des coffres géants, les archives de toutes les revues spécialisées, depuis l'ouverture de l'école. Ça ne blague pas par ici. D'ailleurs le silence contraste tellement avec le reste de la ville, que je préfère ne pas y rester trop longtemps. Au fond, j'aime bien lire mes bouquins dans un parc, ou sur une place, quand les choses autour de moi m'aident à donner vie aux formes et mouvements induits par mes pages.
J'ai eu aussi un cours de montage, et là je dois dire que la qualité du cours n'est surpassée que par la qualité du matériel qui est à notre disposition, le seul bémol étant que mon professeur, jeune et confiant, a adopté en même temps que ses cheveux blonds et son look australien, un accent déroutant qui me rend tout aussi dubitative qu'une de mes camarades, californienne. Laquelle semble m'avoir adoptée. Il faut croire que j'ai quelque chose de rassurant pour les expatriés comme moi.
En Production design par contre, où nous sommes toujours aussi nombreux et toujours aussi peu à ne pas prendre ce cours par obligation (et donc avec réticence), la professeur a distribué les rôles sur le scène que nous allons tourner. Ainsi dans un cours de Production Design, quand elle a demandé qui voulait être… production designer, une seule main s'est levé. La mienne. La professeure a eu l'air estomaqué qu'une personne s'intéresse véritablement à son cours. Les 50 autres élèves se disputent encore les rôles à la caméra et à la lumière laissant inoccupés (ce qui est incroyable) les rôles d'ingénieur son, de costumier, d'accessoiriste et… de réalisateur.
Je vais donc terminer cet inventaire à la Prévert (je ne sais plus qui j'entendais dire qu'il détestait que les gens utilisent cette expression à tort et à travers, mais comme vous pouvez le voir je me venge ici de sa condescendance) par cet homme qui est rentré dans ma rame de métro pour faire la manche… Il avait ce panneau qui expliquait qu'il avait été déformé par une attaque acide, et je dois admettre que son visage n'avait plus grand chose de ce qu'on assimile à un être humain (une bouche, un nez, deux yeux, deux oreilles, et dans le meilleur des cas des cheveux), au point que les nombreuses personnes qui lui donnaient de l'argent le faisaient en évitant soigneusement de le regarder dans les yeux, lesquels du reste j'ai eu bien du mal à trouver. Je ne doute pas une seconde qu'il ne puisse pas aisément trouver du travail, ou même quelque assistance dans ce pays où “assistance” est un gros mot. Cependant je n'ai pas pu me décider à lui donner de l'argent. Ce n'est pas par avarice, vraiment, certainement pas cette fois-ci, mais j'avais son visage devant les yeux et, voilà le problème, j'avais pitié de lui. Je ne sais pas si j'arriverai à être claire sur ce sentiment complexe qui est le mien mais j'aime donner de l'argent quand c'est pour permettre à une personne
de s'élever à mon niveau. C'est une manière pour moi de dire “la seule différence entre toi et moi c'est cet argent, alors partageons-le un peu et tu seras mon égal en tout point”. Mais quand j'ai trop pitié cet argent que je donne il prend un tout autre sens, il prend un sens méchant, j'ai l'impression de donner à un chien un os à ronger, j'ai l'impression qu'avec cet argent je ne comble plus un écart, je le montre. Je ne peux pas donner à celles qui font la manche avec leurs enfants dans les bras, pas plus qu'à cet homme sans visage, et en contrepartie j'avais moins de mal à donner quelque chose à ce garçon qui me draguait au bas de ma rue, mais dont je savais pertinemment qu'il le dépenserait en bière. Un jour un homme lui avait dit “essayez de dépenser ce que je vous donne en nourriture et pas en bière”, et le jeune garçon avait répondu “je le ferai le jour où la nourriture sera moins chère que la bière”. C'était peut-être une mauvaise blague, mais il avait encore cette fierté qui remet la mendicité à sa place. Si je donne à quelqu'un qui n'a plus cette fierté, je lui enlève son humanité. Mais en échange je lui donne de quoi manger. Sauriez-vous faire ce choix à ma place ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

3 août 2023 : Summer Camp au Mont Dore

Aujourd'hui j'ai vu le vent danser. La littérature ne s'en lasse pas : les feuilles qui dansent sur les arbres, les fichus sur l...