jeudi 23 septembre 2010

23 septembre 2010 - New York vol.13

En me baladant sur la 23ème rue j'ai croisé ces trois aveugles qui discutaient ensemble, très fort. Le privilège du simple passant est d'attraper au vol ces éclats de conversation dispersés à tous vents, et celui que j'ai intercepté m'a donné à réfléchir.
L'aveugle disait à l'aveugle : “Tu veux être comme moi, je veux être comme toi, on veut tous les deux être comme l'autre et donc…”. Et je pensais, pour mettre un point à la chose : “donc on n'a pas fini”.
C'est cela. On n'a pas fini. Alors j'ai repensé à ce commentaire : avais-je rencontré ici cette personne que je voudrais secrètement être, et dont faute de mieux j'aimerais être l'amie ? Mais vous le savez d'expérience, on n'en devient jamais l'amie. Malchance, destin, ou quoi qu'il en soit…

Pourtant ici je ne voudrais être personne d'autre. Ce n'est pas possible en réalité. C'est un tout autre continent : les états-uniens ne peuvent pas représenter à mes yeux une meilleure façon d'être moi- même car leur essence, leur façon-même de se définir en tant qu'être humain, est différente. De là leurs qualités, leurs défauts, leurs stéréotype : tout correspond à quelque chose d'essentiellement différent.

Mais aussi, qui voudrait abandonner l'état magique de l’“étranger” en transit, cet état qui vous rend naturellement si singulier sans nécessiter le moindre effort ? Chaque jour nous nous battons pour cette difficile singularité, et la voilà à portée de main. Jusque leur façon de tordre mon nom les confronte à cette différence…
Je conçois que ce qui pour moi est un jeu, une facilité, puisse être une véritable malédiction pour celui qui est là pour rester. Mais je suis là pour partir, quelle folie ! Peut-être que c'est la conscience de cette chance qui me rend populaire chez les autres “étrangers”, cette sensation d'être des particules de couleurs dans un corps en noir et blanc. Je réalise ce que cette métaphore a de présomptueux dans une ville aussi brassée culturellement et génétiquement… But still (mais quand même), les étrangers qui sont là pour rester cherche leur dénominateur commun, les étrangers qui sont là pour partir cherchent leur singularité (qui les rappelle tout naturellement à aimer leur pays d'origine), et de cette différence naît… toute la différence.

Parfois je me dis qu'au lieu de raconter ce qu'il y a de différent ici, je devrais juste parler de ce que nous avons en commun. Je devrais vous dire : ils marchent sur deux jambes, ils préfèrent être assis que debout dans le métro (c'est la danse difficile qui consiste à s'approcher d'un siège s'il est vide mais ne jamais avoir l'air trop concentré sur l'affaire), ils dorment dans des lits et utilisent l'électricité. Le reste est similaire à ce que nous faisons, mais seulement dans les grandes lignes : ils mangent, mais différemment, ils boivent du sucré, mais beaucoup plus, ils boivent de l'eau, mais ce sont en réalité des verres de glaçons arrosés d'un peu d'eau. Ils portent des chaussures, mais la plupart du temps ce sont des baskets. Ils ont différents âges, mais ici le trentenaire fait la loi, ils ont des céréales, mais il y a des marshmallows dedans, ils vont au cinéma mais ils appellent ça “theater”, et comme dans un véritable théâtre ils s'habillent élégamment pour s'y rendre, ils n'utilisent jamais de sucre dans aucun aliment (une loi leur interdit) mais du sirop de maïs (ce qui rend leur nourriture particulièrement mauvaise pour un européen)… rien n'est jamais parfaitement égal. On croit que la mondialisation de la culture se fait de façon linéaire, une sorte de transfert d'une culture à d'autres pays, mais en réalité il s'agirait plutôt d'une langue que l'on transmettrait. Cette langue est assimilée différemment, évolue pour se conformer à la nature de ceux qui la parlent, et finalement le dénominateur commun qui est toujours présent semble ridicule face au nombre des différences.

Et pour finir le couplet éternel de la différence “People are strange when you’re a stranger”, j'ai aussi des cours sur les personnages, pour nous apprendre à créer des êtres qui ont un volume en terme de personnalité, et la professeure à titre d'exemple d'un point de son cours, nous a raconté cette petite histoire toute simple que je vous traduis à l'instant.
Une femme est à l'aéroport. Elle a un peu de temps devant elle, et décide de s'acheter des biscuits. Elle s'assoit tranquillement sur un banc à côté d'un homme, elle ouvre son paquet de biscuits et en prend un. L'homme a côté d'elle la regarde, lui fait un grand sourire et en prend un aussi. Elle trouve qu'il est gonflé de lui prendre un biscuit sans rien lui demander, mais elle ne dit rien et prend un autre biscuit. Il lui sourit et en prend un autre. Ça l'énerve un peu qu'il lui prenne ces biscuits comme ça, alors elle le regarde d'un air mauvais en se resservant une nouvelle fois. Lui a toujours l'air aussi content et se ressert encore dans ses biscuits. Le manège dure un peu, elle est de plus en plus énervée, il est gonflé quand même. Quand ils arrivent au dernier biscuit, elle se dit que quand même il va pas OSER se servir en prenant le dernier biscuit ! Et ça ne loupe pas, il prend le dernier biscuit, il le coupe en deux et lui tend une moitié pendant qu'il mange l'autre, toujours tout sourire. Elle est très énervée, elle le laisse, se lève pour aller prendre son avion, et en cherchant dans son sac pour trouver son billet elle y voit son paquet de biscuit, intact. Elle a passé la dernière heure à manger les biscuits de son voisin.

J'aime cette histoire, le fait que chacun fasse subir à l'autre la même chose, mais que l'un soit heureux de rendre service, partageur, souriant, peu à cheval sur les politesses, alors que l'autre s'énerve petit à petit pour un peu d'impertinence. Lequel des deux auriez-vous été à votre avis ?


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