jeudi 9 septembre 2010

9 septembre 2010 - New York vol.7

New York est une ville… épuisante.



Je suis allée voir un spectacle à Broadway hier. Memphis. Alors bien sûr Times Square la nuit c'est fascinant, et grand, et coloré, et puis il y avait ce spectacle beaucoup, beaucoup trop fort, dont les décors magnifiques se déplaçaient, changeaient et s'échangeaient perpétuellement, ces chorégraphies survoltées sur du Rythm and Blues et du Rock and Roll pur jus, ce scénario sans finesse mais sans faux pas, toute cette énergie ! …
Je me sentais un peu seule, en fait.
Je suis sortie et j'en avais assez de voir des gens sans les voir, de leur parler sans discuter.



Je me suis réveillée ce matin au son du sirène qui n'a pas cessé de sonner ensuite, et plutôt que de continuer à tourner en rond dans mon appartement avec le bruit de la rue et de la maudite corne, j'ai décidé d'aller à Bleecker Street. C'est une rue reposante, constituée de librairies, de boutiques de vinyles et de magasins vintages pour fortunés. Ça se trouve dans le quartier gay de New York, quoique les sondages montrent que New York est à elle seule un quartier gay. Mais bon Bleecker Street donne sur Gay Street, on peut difficilement faire mieux. Je rentre dans la fameuse librairie Barnes and Noble, et un seul regard me suffit pour savoir que je n'y achèterai rien. Oh oui, c'est grand. mais passés les T-shirts et autres cartes postales ça respire le livre sans vie, le commerce sans passion… et ça sent le nettoyant. Qui peut lire un livre qui n'a pas l'odeur de livre ? A ce compte-là, autant se servir sur internet ! Ils n'ont même pas ce que je veux. Pourtant ce que je veux, je ne le veux pas vraiment : c'est un de ces livres au titre prometteur : “comment devenir un véritable artiste célèbre et talentueux en 200 pages” (en réalité le titre est très exactement “comment adapter quoi que ce soit en scénario”, et ça me fait sacrément rire). Mon professeur de philosophie du lycée me renierait certainement à jamais, mais mon professeur d’ “Adaptation de roman” considère ce manuel comme un must have… alors je must have (“et j'parle français, c'est un plaisir”…).
Bref, je ressors de là avec la fatigue des supermarchés, et je rentre dans ce lieu salvateur qu'est la boutique “Bleecker Street Records” où l'on peut trouver des milliers de CDs et de Vinyles neuf, d'occasions et rares. Ils ont tout, et bien sûr tous les vinyles qui m'intéressent y sont pour cinq fois trop chers. Je ralentis sur un Bizet, mais là par contre pour 1,50$ et un disque impeccable, j'ai un peu peur quand à la qualité de l'orchestre (“Philadelphia orchestra” pour les curieux… pas très tentant, hein?). Bref, j'achète quand même deux vinyles et quand je sors, il fait nuit. Comme je suppose que les journées n'ont pas raccourci exagérément d'un jour à l'autre (et à en juger par mon état léthargique) j'ai bien dû passer plusieurs heures dans ce magasin à rechercher dans les moindres recoins la petite affaire cachée.
Ce qui n'empêche pas que je n'ai pas le satané bouquin. Je rentre donc dans une deuxième librairie, non moins célèbre et qui répond au nom de “strand bookstore”. J'y entre dans un état peu engageant, dubitative et ennuyée, mais un coup d'œil aux lieux me redonne un élan d'énergie (qui sera le dernier) : des livres littéralement du sol au plafond, sur 4 étages et plusieurs mezzanines. Des livres rares, anciens, d'autres neuf, des étagères en bois sur les côtés, au milieu, des commodes de livres qu'on bouscule sans faire exprès, des cartons au sol avec encore d'autres milliers de livres à l'intérieur, des gens assis dans les coins pour tester leurs bouquins, des échelles pour atteindre les livres dont on n'arrive déjà plus à lire les titres, et une odeur de papier, de cuir et de bois. Le livre de poche n'ayant jamais fait son apparition au Etats-Unis, chaque livre est plus grand et plus gros que le précédent, et donc on trouve des étagères exprès pour les livres trop gros… Une mezzanine rien que pour les peintres, une autre rien que pour les contes pour enfants, et bien sûr un tri improbable (qui voudrait trier autant de bouquins ?) avec de toutes petites figurines pour savoir à quel rayon on est : un appareil photo pour les bouquins sur la photographie, un mannequin pour les livres de stylisme… et un pingouin pour les livres de fictions. Ils n'ont pas mon livre (qui pourrait leur en vouloir ?) mais ils ont tous les autres livres de la planète.
Trop de vinyles, trop de livres, en sortant de là j'ai perdu toute once d'énergie qui pouvait me rester.
Je m'assois sur Union Square, mais ne serait-ce que regarder les gens me fatigue. Certes c'est passionnant : il y a ce joueur de jazz, ce danseur de hip-hop, ces vieux qui jouent aux échecs, ces couples qui s'embrassent, et ces énormes chiffres rouges qui ne cessent de défiler au-dessus de tout ça comme pour prédire la fin du monde là où le monde est le plus vivant. Je rentre dans le métro, et le joueur de saxo fait place en sous-sol à un gospel, qui fait place à l'étage au-dessous à un batteur en solo, qui fait place l'étage au-dessous à un violoniste. Le tout de concert avec le bruit des métros qui freinent violemment, et repartent en grinçant. En rentrant dans le premier métro il y a cette femme noire d'environ 30 ans, avec sa petite gamine qui hurle tant qu'elle peut en pleurant plus de larmes que son petit corps ne peut en contenir. C'est que la mère défait les tresses des cheveux crépus de sa fille d'une main experte mais peu caressante. Une fois le travail terminé, la petite lève son adorable visage métissé vers sa mère, qui lui passe la main sur le visage. Moi, ce que je vois, ce sont de gigantesques ongles colorés passant sur le visage fragile de cette petite chose, et ça me fait l'effet d'une sorcière qui voudrait ôter le visage d'une minuscule princesse d'un revers de la main. Ces ongles si long, ce visage si petit… c'est effrayant. Mais la princesse, elle, est rassurée par ce geste maternel. A côté d'elles deux parisiennes discutent du film “Le Concert” en donnant dans le pincé (“c'était d'une drôlerie ! Je ne te raconte pas !”) : je ne suis ni la première, ni la dernière à être fascinée par les inestimables rapprochement que le métro effectue. Mesdames les précieuses et cette magnifique sorcière aux ongles longs débarquée tout droit de Harlem ne pourront jamais être plus proche que de ce siège à celui-là dans cette rame de métro. Aucune barrière n'est franchie, seule l'image ment cyniquement sur cet état de fait.
Mais même dans ce contraste il y a de la fatigue. C'est un contraste trop coloré, trop exagéré. Et quand je sors de ce métro, il y a encore tous ces bruits de musiciens, cet homme qui prend les gens à partie pour faire la manche dans le métro, les bruits de climatisation et les “dings” des ascenseurs, les voix inaudibles dans le mégaphones, les sonneries régulières des portables qui n'ont plus de batterie, le son dans les écouteurs de celle qui marche à côté de moi, qui à l'heure qui l'est doit être rendue parfaitement sourde puisqu'à un mètre cinquante j'entendais le son régulier de quelque basse de R'n'B… De l'autre côté il y a ces photos exposées le long du tunnel, de ce style “sans titre 2” de l'art moderne des années 90 : même pas abstrait dans la forme, totalement abstrait dans le sens (et vain dans l'émotion). Ces affiches représentent chacune un outil doré sur un drap argenté. Et alors que je passe devant ces pelles et ces fourches en or, je pense au prochain métro où je vais peut-être avoir la chance de me trouver en silence, même un silence relatif à la ville de New York, un silence qui dans tout autre lieu serait du bruit. Même l'amalgame de sons que les trop citadins prennent pour du silence. Mais c'est oublier que le bruit est partout. Le bruit est dans ces affiches qui tapissent l'intérieur de la rame, avec ces slogans qui tâchent. Il est dans les chaussures orange fluorescent aux lacets multicolores de celle qui me fait face. Il est dans tous ces ongles rouges, roses, bleus, à carreaux jaunes et verts (je n'invente rien), il est dans toutes ces poches (bouh la toulousaine !) de magasins et à nouveaux leurs slogans tapageurs, il est dans cette couverture de bouquin d'une autre dame en face de moi, une photographie d'une femme avec un parapluie rouge au milieu d'un champ de fleurs d'inspiration impressionniste (ça devrait être interdit). Mes yeux maintenant aussi recherchent le silence.
Sortie du métro les enseignes des magasins me jetent des milliers de points de couleurs à la figure, les mots apparaissent et disparaissent en LEDs jaunes et rouges, dans des explosions ou des désintégrations, les taxis engueulent les passants qui engueulent les taxis, des jeunes se lancent à la figure des ballons de baskets et des mots mexicains, et j'arrive enfin à mon appartement du 18ème étage, où je n'entends plus que le son très présent mais assourdi de la ville autour de moi, pour rejeter toute la puissance de ce bruit et de cette fatigue sur le pauvre lecteur alangui que vous êtes…


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